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Travailleurs des plateformes : trois leçons pour une première élection

Idées | Bloc-notes | publié le : 01.06.2022 | Antoine Foucher

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Travailleurs des plateformes : trois leçons pour une première élection

Crédit photo Antoine Foucher

Du 9 au 16 mai dernier se sont tenues les premières élections des représentants des travailleurs des plateformes. Des résultats publiés par l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (Arpe), on peut d’ores et déjà tirer trois enseignements.

Le premier, c’est que les travailleurs des plateformes, dans leur grande majorité, ne veulent pas être salariés, c’est-à-dire subordonnés. Que ce soit chez les chauffeurs ou les livreurs, ils ont placé en tête (et de très loin chez les chauffeurs, avec plus de 42 % des voix) des organisations qui défendent clairement et ouvertement le statut d’indépendant, et considèrent la requalification de la relation de travail en salariat comme un combat idéologique instrumentalisant les travailleurs en s’asseyant sur leurs attentes. À plus de 80 % chez les chauffeurs et plus de 60 % chez les livreurs, les voix se sont portées sur des syndicats soutenant l’indépendance des travailleurs dans leur travail. Exit donc le débat sur la requalification, et on va donc enfin pouvoir parler des vrais sujets, c’est-à-dire ceux qui préoccupent les travailleurs : revenus, conditions de travail, protection sociale, formation… On notera au passage qu’il s’agit d’une sérieuse alerte pour la confédération européenne des syndicats (CES), qui a fait de la requalification son premier combat : quand on donne la parole aux travailleurs, du moins en France, ils disent exactement le contraire de ceux qui sont censés les représenter au niveau européen… Gênant sur le moment, intenable dans la durée.

Le deuxième enseignement, c’est que le pari du dialogue social, dans un secteur qui n’existait pas il y a dix ans, est en passe d’être réussi. Introduire ce mode de régulation dans un business complètement nouveau n’avait rien d’évident. Tout le monde tremblait pour le taux de participation. Résultat ? Quasiment 4 % pour les VTC (3,91 %), c’est-à-dire un étiage proche du scrutin TPE (5,44 % en 2021), qui en est, lui, à sa troisième édition, et fait l’objet d’une campagne électorale sur fonds publics bien plus massive. Pas de quoi se satisfaire donc, mais rien non plus qui permette de dire que le résultat n’est pas légitime, sauf à dire que tous les représentants des salariés des TPE ne le sont pas non plus… C’est plus difficile côté livreurs, avec 1,83 %, mais on le savait à l’avance : avec un turnover de plus de 80 % et un collège électoral constitué en grande partie de personnes travaillant avec les plateformes pour compléter leurs revenus, et non en vivre entièrement, l’intérêt du scrutin ne pouvait être que plus faible. Il n’empêche que les élections se sont tenues, que c’est désormais au tour des plateformes de passer sous les fourches caudines de la représentativité, et que le dialogue social normatif va pouvoir démarrer à l’automne. Quand le process a été imaginé en 2020, qui aurait pu croire que la greffe, jusqu’à présent en tout cas, prendrait aussi bien ?

Enfin, au risque d’anticiper un peu trop et de céder à une tentation universaliste si française, force est de constater que ce modèle de régulation des plateformes par le dialogue social, que la France est en train de mettre en place chez elle, attire les regards au-delà de nos frontières… Les instances européennes, Commission en tête, le regardent avec intérêt, et se demandent si la négociation entre partenaires sociaux, après tout, n’est pas la meilleure (la moins mauvaise pour les plus sceptiques) manière de réguler ce nouveau secteur et d’élaborer un compromis satisfaisant entre les exigences des plateformes et les attentes légitimes des travailleurs. Pourquoi pas, à la place ou à côté de la directive actuellement en discussion, un dialogue social européen fixant le cadre de régulation, complété par des dialogues sociaux nationaux apportant des résultats concrets ?

Auteur

  • Antoine Foucher