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Les seniors face à la discrimination liée à l’âge

Décodages | Emploi | publié le : 01.06.2022 | Irène Lopez

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Les seniors face à la discrimination liée à l’âge

Crédit photo Irène Lopez

Avec le recul de l’âge du départ à la retraite, maintenir les plus de 50 ans dans l’emploi ou les recruter est un enjeu du XXIe siècle. Qui, du Gouvernement, des entreprises ou de la société civile peut faire bouger les lignes ?

Le dixième baromètre du Défenseur des droits et de l’Organisation internationale du travail révèle que l’âge est le premier critère de discrimination ressenti par les salariés. Être âgé de plus de 45 ans est perçu comme un inconvénient par 29 % des agents publics et 27 % des salariés du privé. En Europe, la France fait partie des mauvais élèves : toujours selon le Défenseur des droits, 20 % des offres d’emploi analysées en France affichent un critère d’âge contre 1 % chez les Britanniques… alors que cette pratique est discriminatoire ! Le taux d’emploi des 60-64 ans en France est de 18 % contre 30 % pour la moyenne des 27 pays européens. Pour le réseau Equinet qui étudie l’âgisme à travers l’Union Européenne, le premier domaine où l’âge est vecteur de discrimination est l’emploi. L’âgisme regroupe toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris fondées sur l’âge. Il concerne les seniors comme les plus jeunes. Mais force est de constater que les 50 ans et plus au chômage forment la catégorie qui bénéficie le moins de la reprise économique post-Covid : selon la direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares), au dernier trimestre 2021, les 50 ans et plus avaient passé en moyenne 697 jours au chômage avant, soit de retrouver un emploi, soit de prendre leur retraite. C’est deux fois plus que les 25-49 ans (355 jours).

Le manque de sensibilisation des pouvoirs publics.

En 2019, l’Association nationale des DRH (ANDRH) avait proposé la création d’un index seniors sur le modèle de celui mis en place par le Gouvernement la même année pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Parmi les indicateurs objectifs et partagés envisagés : le taux de recours aux dispositifs permettant une sortie progressive de l’emploi (retraite progressive, cumul emploi-retraite…), le taux de formation professionnelle des plus de 45 ans, le taux de recrutement des plus de 45 ans, le taux de départ à la retraite après l’âge légal et l’écart entre le taux d’arrêt maladie des salariés seniors par rapport à la moyenne de l’entreprise… Mais cette proposition n’a pas été retenue par les pouvoirs publics. « Réformer les retraites pour travailler plus longtemps est un choix économique dont on peut comprendre l’intention. Mais projeter cela sans y associer une démarche volontariste sur l’emploi des seniors, c’est un marché de dupes ! », s’insurgeait alors Benoit Serre, vice-président délégué de l’ANDRH, aujourd’hui DRH de L’Oréal France.

Un acte inédit de dix engagements.

Ce sont donc les entreprises qui se sont emparées du sujet. À l’initiative du Groupe L’Oréal et du Club Landoy, un think tank dédié à la révolution démographique créé par le groupe Bayard, 32 entreprises ont pris des engagements en France sur la place des plus de 50 ans dans l’entreprise. Parmi elles, SAP, La Poste, BNP Paribas, Sodexo, Renault, Michelin, Siemens, Galeries Lafayette… Elles ont signé un acte inédit qui se décline en dix engagements clés autour du recrutement, de la formation, du maintien dans l’emploi, de l’accompagnement des évolutions de carrière, du bien-être au travail, du départ à la retraite et de la sensibilisation aux stéréotypes liés à l’âge. Les entreprises signataires s’engagent à mener une politique active sur ce sujet et à partager leurs bonnes pratiques pour faire des émules parmi les autres entreprises.

Chez SAP, entreprise allemande qui conçoit et vend des logiciels qui compte 35 % d’employés de plus de 50 ans, les plus de 55 ans bénéficient d’une semaine de congé supplémentaire. En outre, à partir de 57 ans, ils peuvent continuer leur activité à 50 % tout en conservant 75 % de leur rémunération.

La Poste recrute et intègre des plus de 50 ans.

Également signataire de la charte, La Poste faisait déjà partie des « bons élèves ». Près d’un postier sur deux a plus de 50 ans. Ils continuent à bénéficier de progression de carrière. L’entretien professionnel annuel permet à tout âge d’aborder les perspectives de poursuite d’activité et de déroulement de carrière. 80 % des postiers de plus de 50 ans suivent au moins une formation par an et ils bénéficient de 30 % des promotions. Côté recrutement, La Poste est l’une des premières entreprises qui recrute et qui intègre des nouveaux collaborateurs de plus de 50 ans. En 2021, 2 384 personnes de plus de 50 ans ont intégré La Poste en CDI ou en CDD.

L’entreprise postale et bancaire a ainsi choisi de faire appel à des seniors par le biais de contrats de travail adaptés. Capitaliser sur l’expérience de ces derniers tout en leur permettant une reprise d’activité : tel est l’objectif de ce dispositif appelé « Contrat à Durée Déterminée Seniors ». Au cours de sa carrière, Jacques Cadot a eu des expériences professionnelles assez diverses. Après avoir occupé une fonction dans la restauration de luxe, il a également été responsable du développement commercial chez un tapissier d’ameublement en Suisse. Depuis mars 2020, c’est en qualité de chargé de clientèle à La Poste d’Annecy Cité du Lac en Haute-Savoie qu’il officie. Il témoigne : « J’ai suivi un cursus de formation de chargé de clientèle de trois fois une semaine dispensé par l’École de la Banque et du Réseau, entrecoupées de période d’immersion au bureau de poste. J’ai ainsi pu prendre la mesure de la fonction du métier de chargé de clientèle. Pour moi, l’apprentissage de ce métier demande un peu de ressources et de volonté. L’entraide, le soutien, l’accompagnement, la bienveillance et la confiance de toute l’équipe du bureau m’ont séduit. J’ai même souhaité être reconduit sur mon CDD de 18 mois. »

La lutte contre le racisme anti-âge.

Si beaucoup d’entreprises se targuent dans leur communication de prendre soin des plus de 50 ans, les mesures concrètes, telles que celles de SAP ou de La Poste, restent encore anecdotiques. Que faut-il pour que les entreprises s’emparent davantage du sujet ? Une mobilisation de la société. Il y a deux ans, la SFGG (Société française de gériatrie et de gérontologie) et 46 autres organisations de 30 pays différents lançaient la campagne « #OldLivesMatter » pour lutter contre le racisme anti-âge et sensibiliser les citoyens, les médias et les institutions au respect des aînés. Elle a été inspirée par les événements tragiques de mai 2020 aux États-Unis (mort de l’afro-américain George Floyd, étouffé lors de son interpellation par la police) et du slogan « #BlackLivesMatter », puis par « #AllLivesMatter » qui appelait à l’égalité de tous : noirs, jeunes et âgés. Trois vidéos « #OldLivesMatter » créées par Jean-Paul Lilienfeld (réalisateur de « La Journée de la Jupe » (2010) avec Isabelle Adjani), représentent trois cas de racisme ordinaire et universel envers les âgés. « Nous avons souhaité montrer à quel point l’âgisme est une discrimination si courante qu’on ne la voit plus », explique le professeur Olivier Guérin, ancien président de la SFGG. « Nous devons éliminer les préjugés âgistes. Parce qu’un jour, si tout va bien, nous serons tous vieux. »

Auteur

  • Irène Lopez