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Décodages

Les entreprises à l’épreuve du conflit en Ukraine

Décodages | RSE | publié le : 01.06.2022 | Valérie Auribault

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Les entreprises à l’épreuve du conflit en Ukraine

Crédit photo Valérie Auribault

 

La guerre en Ukraine a suscité l’émoi. Les entreprises ont été sommées de se positionner, voire de cesser toute activité en Russie. La responsabilité sociétale des entreprises semble amorcer un virage face à des salariés et des dirigeants qui souhaitent toujours plus s’engager.

Le 24 février 2022, vers 5 heures du matin, les premières bombes russes s’abattaient sur l’Ukraine. L’émotion gagnait tous les esprits, y compris au sein des entreprises. Celles-ci ont alors été sommées de prendre position, voire de sanctionner la Russie qu’elles devaient quitter sans délai. Dans les semaines qui suivirent, des centaines d’entre elles ont cessé leurs activités sur le sol russe. L’Oréal indiquait fermer temporairement ses magasins et les sites d’e-commerce de ses marques et suspendait ses investissements industriels et publicitaires. Le groupe LVMH, Renault, H&M, Ikea, Decathlon, les unes après les autres, les entreprises renonçaient à leur présence en Russie. D’autres, pointées du doigt par l’opinion publique, annonçaient qu’elles ne pouvaient tout laisser en plan et s’en expliquaient : « Partir serait imaginable sur le plan économique mais pas du point de vue humain », déclarait Yves Claude, PDG du groupe Auchan au « JDD ». « Il est de notre devoir de prendre soin de nos 630 employés ainsi que des plus de 2 500 collaborateurs de nos franchisés qui travaillent en Russie et qui ne sont pas responsables de la situation actuelle », justifiait, de son côté, l’entreprise de cosmétiques Yves Rocher France. Celle-ci, également présente sur le sol ukrainien, mettait, simultanément, en place des mesures d’aide auprès de ses équipes locales. Tout comme le groupe Lactalis, qui a fait le choix de demeurer à la fois en Ukraine et en Russie. « En Russie, nos équipes locales fabriquent des produits alimentaires essentiels pour des civils, qui ne sont pas responsables de cette guerre. Nous avons une responsabilité morale et matérielle vis-à-vis de nos employés sur place, de leur famille et des producteurs de lait. Si nous quittons nos sites de production, leur propriété sera transférée aux autorités russes. Cela va à l’encontre de l’objectif des sanctions internationales qui visent à fragiliser l’économie russe », indique la multinationale. En parallèle, le groupe agroalimentaire reste mobilisé en Ukraine pour soutenir ses collaborateurs sur place : salaires et primes ont été versés de manière anticipée, des propositions de postes ont vu le jour dans les pays voisins où une aide financière et logistique a été mise en place pour les réfugiés.

Afficher son engagement ou rester incognito.

Si les entreprises, comme TotalEnergies, ont donné des raisons objectives de poursuivre leurs activités sur le territoire russe, elles ont, malgré tout, continué à subir la pression médiatique. Pour autant, ni le producteur français de gaz et d’électricité, ni Leroy Merlin, ni Auchan, n’ont subi le boycott réclamé notamment sur les réseaux sociaux et aucune baisse de fréquentation n’a été enregistrée dans les stations-service et au sein de leurs magasins en Europe. Cependant, l’opinion publique continue d’exprimer son effroi face aux atrocités commises en Ukraine. Pour Martin Richer, fondateur du cabinet Management et RSE, « les entreprises doivent résister à la pression médiatique au profit d’une vraie réflexion sur les impacts d’une telle décision, en lien avec leur politique RSE. Il ne faut pas oublier que bon nombre de personnes trouvent des moyens d’existence – et parfois de résistance – grâce à la présence de ces entreprises dans ces pays ». Face à l’émotion, certains acteurs économiques ont d’emblée communiqué leur soutien aux Ukrainiens et relaté leurs actions. D’autres ont préféré agir en mode incognito. « Le positionnement est en fonction des profils, note Benjamin Combes, fondateur et consultant RSE des Ateliers Durables. Pour les entreprises impliquées dans des activités basées en Ukraine, des mécanismes importants de solidarité ont pu voir le jour. Pour les autres, moins concernées mais prises par l’émotion, d’autres types de soutien ont pu se mettre en place, comme des collectes. Mais le sujet est complexe et les effets peuvent se répercuter sur le long terme. » Depuis ses locaux, basés à Lyon, Émilie Legoff, fondatrice et présidente de la start-up Troops, n’a pas hésité à s’engager dès les premières heures du conflit. « Un tiers de nos recrues se trouvent en Ukraine. C’était un devoir de les savoir en sécurité, de les protéger et de veiller à leur bien-être. Nous les avons contactés immédiatement pour avoir des nouvelles et pour les aider, se souvient-elle. Nos collaborateurs ont rapidement passé la frontière slovaque où ils ont trouvé des locaux. Nous leur avons envoyé des duvets, des matelas. » Avec une soixantaine de start-up du secteur du digital, Émilie Legoff a créé une association « en 24 heures ! », souligne-t-elle. Des partenariats ont été mis en œuvre avec des groupes industriels du domaine de l’agroalimentaire. « Ils nous ont donné de la nourriture que nous avons acheminée jusqu’à la frontière ukrainienne », poursuit Émilie Legoff. Grâce à leur savoir-faire dans le domaine du digital, Troops et ses partenaires ont mis en place des applications pour guider les chauffeurs des ONG acheminant la nourriture tout au long de leur trajet.

Pour une RSE engagée.

Plus de trois mois après le début du conflit, peu d’entreprises communiquent sur le sujet, alors que les responsables politiques européens multiplient les sanctions envers l’agresseur russe. Pourtant, les choses bougent. « Nous constatons une évolution sur le positionnement de la sphère politique, relève Benjamin Combes. L’entreprise française n’avait pas l’habitude de s’aventurer sur ce terrain, contrairement aux entreprises américaines dont l’engagement reste très lié à l’actualité, notamment en matière de racisme ou de sexisme. Mais l’entreprise doit être vigilante et se poser les bonnes questions : quelle peut être son action au sein de son périmètre et de son activité ? Et pour quel impact ? Les collaborateurs sont-ils capables d’entendre ce choix ? » La Fondation Jean-Jaurès constate, dans une enquête menée conjointement avec l’Ifop en mai 2021, le souhait d’une plus grande responsabilité des entreprises au-delà de leur activité. Les salariés souhaitent y participer et sont particulièrement sensibles au positionnement de leur employeur sur des sujets politiques à dominante économique ou sociétale, indique le rapport. Ainsi, 71 % des salariés et 79 % des cadres dirigeants considèrent que leur entreprise joue un rôle important au sein de la société. Les salariés (63 %) et les dirigeants (79 %) souhaitent que leur entreprise devienne une entreprise à missions. « Certains salariés estiment que le conflit en Ukraine n’est pas suffisamment abordé par leurs dirigeants », constate Benjamin Combes. « La question de la RSE n’est pas juste annexe et accessoire, estime Ellie Martinaud, chargée de communication chez microDON, entreprise solidaire d’utilité sociale qui propose des solutions innovantes pour faciliter l’engagement solidaire au service de l’intérêt général. L’élan de solidarité est de plus en plus visible. Nous le constatons pour diverses causes : le climat, les droits des femmes, le domaine de l’enfance, de la santé, du handicap… Il y a une réelle évolution en matière de générosité. L’entreprise ne peut pas passer à côté. Les jeunes talents réclament des engagements de la part de leur entreprise. » L’incendie de Notre-Dame-de-Paris, la crise sanitaire, et maintenant l’invasion en Ukraine : microDON a constaté l’engagement réel et massif de ses clients et de ses partenaires. « Dès le début du conflit, dix enseignes partenaires, sur les trente-sept que nous comptons, ont bousculé leurs calendriers de campagnes afin de mettre en place l’arrondi solidaire. Un million d’euros a été collecté. 100 % des dons seront reversés à des associations comme la Croix-Rouge française et la Fondation de France », indique Ellie Martinaud. D’autres ont perçu la volonté de leurs employés d’agir et de s’impliquer et accompagnent ce besoin. « La volonté d’engagement est profondément ancrée dans la culture des collaborateurs de Sanef. Ce fut le cas pendant la crise sanitaire, explique Christine Allard, directrice de la communication et des relations institutionnelles chez le groupe Sanef. Nous avons lancé une démarche de mécénat social « Sanef Solidaire » permettant à nos collaborateurs de parrainer certaines actions associatives. Nous n’avons eu aucun mal à trouver des volontaires. Les salariés ont envie de se sentir utiles. » Utiles au point d’inciter leur entreprise à s’investir. Le groupe Up, société coopérative et participative (Scop), est impliqué de longue date dans des actions pour lutter contre l’illettrisme et le changement climatique. « De par notre histoire et notre statut, nous avons l’habitude que le dialogue social soit extrêmement riche et le partage de l’information très dense », indique Audrey Richard, directrice des ressources humaines au sein du Groupe Up et présidente de l’Association nationale des DRH (ANDRH). Avec ses 3 500 collaborateurs répartis dans vingt-huit pays, la coopérative s’est engagée d’emblée pour soutenir les Ukrainiens. « C’était aussi une demande de nos salariés implantés dans différents pays. Ils ont souhaité porter secours en accueillant, notamment, des réfugiés chez eux », souligne Audrey Richard.

S’engager pour fidéliser les talents.

Au-delà des engagements économiques, sociétaux et environnementaux, la RSE permet désormais de consolider les rapports entre l’entreprise et les salariés. « Le fait de permettre à nos collaborateurs de s’engager au travers des actions de la Fondation par exemple, peut les aider à mieux comprendre la raison d’être de l’entreprise. C’est un facteur d’attachement et de motivation sincère qui nourrit la fierté d’appartenance. D’une manière générale, ceci peut aussi aider l’entreprise à prendre conscience du rôle qu’elle doit jouer au sein de la société civile », estime Estelle Verdureau, responsable RSE au sein du groupe Up et déléguée générale de la Fondation Up. Cet engagement peut aussi lui permettre d’attirer les jeunes talents. Selon le baromètre « Talents : ce qu’ils attendent de leur emploi », de Boston Consulting Group, la Conférence des Grandes écoles et Ipsos, ils sont 76 % à considérer que leur poste doit être en phase avec leurs valeurs. Le cas inverse pourrait conduire à subir le phénomène de la grande démission apparu aux États-Unis à partir de juillet 2020, en pleine crise sanitaire. « Ces salariés ont démissionné pour des questions de sens, de vision qui divergeaient entre eux et l’entreprise. Le groupe Up a peu connu ce phénomène à ce stade car nous permettons cet engagement auquel nos postulants sont sensibles. La clé, c’est de travailler la communication et expliquer la stratégie de l’entreprise », insiste Audrey Richard. L’entreprise peut-elle, pour autant, devenir une tribune ? « Aujourd’hui, s’autoriser à accueillir des profils militants ouvre des portes entre vie publique et vie privée. Mais ces profils effraient, car « business is business », rappelle Benjamin Combes. Sauf que la ligne entre vie professionnelle et vie personnelle est plus mince aujourd’hui qu’il y a dix ou vingt ans. Nous le voyons avec le télétravail, la perméabilité est plus importante. » Selon une étude réalisée par Microsoft, 41 % des salariés envisageraient de démissionner en 2022. L’étude conseille aux entreprises d’être à l’écoute des salariés.

Auteur

  • Valérie Auribault