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Communication interne : la Covid-19 a délié les langues

Décodages | Conditions de travail | publié le : 01.06.2022 | Lucie Tanneau

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Communication interne : la Covid-19 a délié les langues

Crédit photo Lucie Tanneau

Aucune entreprise n’avait pu imaginer la crise sanitaire. Cet impensé a obligé les dirigeants à échanger avec leurs collaborateurs d’une manière inédite, hybride, et en abordant des sujets de performance, de vie quotidienne, ou encore d’organisation jamais discutés auparavant. La Covid-19 aurait donc réussi à interroger des pratiques et à renforcer le rôle du manager. Cette communication élargie plus authentique, disent certains, survivra-t-elle à la crise ?

Face à la surprise du premier confinement, en mars 2020, les entreprises ont dû réagir, s’adapter… et communiquer. Sur l’organisation, le chômage partiel, les résultats, les perspectives, les consignes sanitaires… L’information a dû être construite rapidement et les directions de la communication ont dû trouver des moyens de faire passer les messages de façon efficace, à tous les collaborateurs, quasiment en même temps. Conséquence ? Un changement à la fois de rythme et de contenu inédit, et des expérimentations de moyens digitaux, eux aussi nouveaux. « Face à ce premier confinement qui était un impensé total, les dirigeants n’ont pas su quoi faire et ont été sincères », réagit d’emblée le sociologue et consultant Philippe Robert-Tanguy, qui a mené une étude sur le sujet. « Depuis, il y a une vraie prise de conscience qu’il y a un système organisationnel à repenser, et un certain nombre d’entreprises sont en questionnement. Elles comprennent qu’il y a de l’attente et une nécessité de faire bouger les choses », constate-il. Avec un enjeu fort : garder le lien alors que le travail hybride est voué à durer, et renforcer le sentiment d’appartenance des collaborateurs, « alors que les préoccupations stratégiques sont parfois mal comprises », expose le sociologue, qui constate des expérimentations au niveau des moyens. L’agence Steeple a mené une enquête sur la communication interne au sortir du premier confinement. 58 % des entreprises disaient alors avoir innové sur leur manière de communiquer en interne pendant la crise et 83 % des répondants considéraient déjà que la communication interne était un projet à privilégier pour l’après-crise. Ces tendances n’ont fait que se renforcer alors que la crise s’étire en longueur

« Accélération digitale. »

Au rang des nouvelles habitudes en matière de communication interne, les outils digitaux sont évidemment les premiers cités. « Les communicants ont dû se réinventer en mode hybride. Les usages du digital ont explosé », confirme Sophie Palès, la déléguée générale de l’Association française de communication interne (AFCI). « Il y a eu des phases de tests ; désormais, nous sommes au rééquilibrage avec une professionnalisation des outils », constate-elle. Terminé les « live au Smartphone ». « Désormais les entreprises utilisent des moyens plus professionnels pour organiser des live avec les dirigeants », cite-elle en exemple. Ces conférences en ligne, tchat ou autre live participatif semblent en tout cas complètement entrés dans le paysage post-Covid. « On a vu apparaître beaucoup de Webex ou de conférences en ligne à grande échelle, ou s’adressant à la communauté managériale », constate aussi Philippe Robert-Tanguy. « Ce sont des exemples qui se sont généralisés depuis », reprend-il. À la Société Générale, par exemple, des événements « all staff » et « ambassadeurs » (les 1 600 managers du groupe) ont été rapidement mis sur pied pendant la crise. Et continuent d’exister. « Avant, nous n’avions jamais expérimenté une plateforme informatique permettant de supporter autant de connexions en visio en même temps, avec la bande passante nécessaire. Maintenant, grâce au travail remarquable de nos équipes IT, c’est devenu une réalité », constate Valérie Siniamin-Finn, la directrice de la communication interne. « Nous avons renforcé nos modes de communication managériaux et nos outils digitaux pendant la crise, avec un fournisseur dédié », poursuit-elle, évoquant une véritable « rupture ». « En deux ans, il y a eu une accélération digitale nette, avec des choses que l’on fait maintenant que l’on n’aurait jamais pu faire avant. La bascule informatique des groupes bancaires a été phénoménale », insiste-elle. À la RATP, les moyens ont aussi été mis rapidement au niveau de la DSI afin que l’ensemble des membres du top management puissent travailler depuis leur domicile en quinze jours. « À la RATP, seuls 2 000 collaborateurs sur les 45 000 que compte le groupe peuvent faire du télétravail, donc, clairement, ce n’était pas dans notre culture. Mais la crise l’a fait entrer dans les mœurs », constate quant à elle Élodie Chadel-Amanou, la responsable de la communication interne de la régie. Il existait avant la crise des web-conférences semestrielles. Elles sont désormais lieu une fois par mois. Avec un constat : si les outils ont changé, avec un bond technologique et informatique très rapide, le fond a lui aussi connu de profonds remaniements. « Désormais, la situation sanitaire occupe quelques slides en début de visioconférence, puis on aborde des sujets d’actualité », raconte Élodie Chadel-Amanou. Alors que la RATP a l’habitude des crises (incidents techniques ou liés aux voyageurs, suicides…), la responsable communication reconnaît que celle-là a été exceptionnelle et a renforcé le pilotage en binôme communication et RH. « Le binôme est classique, car les RH ont vocation à diffuser de l’information auprès de l’ensemble de l’entreprise, mais à ce point-là je n’avais jamais vu ça », constate-t-elle. « On devait organiser une coordination quasiment militaire, afin que tous les départements de l’entreprise aient les informations, fiables et remises à jour, sans perte de contenu, quasiment en temps réel », reprend-elle.

« Temps d’échanges. »

Une reconfiguration du pilotage également constaté à la Société Générale. « Pendant la crise, nous avons favorisé les échanges en mettant en place des réunions hebdomadaires avec le cercle managérial groupe. Depuis six mois, en période post-Covid, nous sommes revenus à une réunion mensuelle », raconte Valérie Siniamin-Finn, la directrice de la communication interne. « Le DG, Frédéric Oudéa, et toute l’équipe de direction se sont rendus très disponibles pendant toute cette période. On constate que les interventions des dirigeants sont désormais plus courtes. Une part belle est donnée au temps d’échanges et d’interaction avec plus de sessions de questions/réponses. La participation est plus active et ne se limite pas aux informations descendantes », complète-t-elle. Sur les sujets abordés, surtout, ces échanges virtuels ont libéré la parole. « Nous avons toujours été très transparents, mais on sent que les gens osent davantage poser des questions, et qu’ils acceptent aussi que les dirigeants n’aient pas immédiatement toutes les réponses », note-t-elle. Pour Laurent Borell, conseiller en communication auprès de grands comptes (Nabis conseil), les agences de communication ont été upgradées [revalorisées, NDLR] ». « Avant, nous n’avions pas le 06 du dirigeant, maintenant nous l’avons », illustre-t-il. « Les entreprises se sont rendu compte qu’elles devaient émettre un propos plus clair, de la part des dirigeants, DRH ou direction de la communication », constate-t-il. Avant de leur donner un conseil : « Ils doivent « désiloter » et se concentrer sur la vie de l’entreprise et son objet social pour répondre vraiment aux préoccupations des collaborateurs. » Le consultant constate par ailleurs que la crise a fait progresser les sujets de QVT, d’environnement et de bien-être au travail dans l’ensemble des entreprises, et plus seulement dans celles confrontées à des tensions. « La crise a exacerbé les questions existentielles et les entreprises doivent y répondre pour éviter les vagues de démission, ça renforce nécessairement le rôle des communicants et le besoin d’outils et de nouveaux formats, dans le nouveau contexte hybride », résume-t-il.

Accompagnement managérial.

La société Ippon Technologies a ainsi inventé un format de « all hands » à l’américaine pendant la crise. Une fois par mois pour l’ensemble des collaborateurs (250 en France), ces rendez-vous à distance permettent de faire le point sur « le contexte sanitaire, la météo business et les événements à venir », explique Maïlys Levasseur, responsable marketing et communication. Des « all hands managers » sont aussi créés, « souvent en amont du général ou pour sonder les managers et directeurs sur des décisions à prendre », raconte-t-elle. Ces meetings virtuels sont restés. Un signe parmi d’autres d’un changement fondamental créé par ces deux ans de crise : la place du manager s’est affirmée.

« Nous sommes dans une période de recomposition de l’organisation de la communication en entreprises », contextualise Sophie Palès de l’AFCI. « Aucune entreprise n’a encore complètement pris le virage, mais il y a une tentative de sur-mesure et d’individualisation de la communication, qui passe par les managers, afin de travailler une approche plus locale avec des décryptages, assurés par les managers », explique-t-elle. Pour elle, les communicants seront bientôt « moins dans un rôle descendant, mais davantage dans un rôle d’animation d’un réseau, avec un travail important d’accompagnement managérial à opérer ». « Il y a une préoccupation majeure pour que le manager redevienne la courroie de transmission », confirme également Philippe Robert-Tanguy. « Cela demande du temps mais la réflexion est engagée », souligne le sociologue. À la Société Générale, la prise de conscience a « été très rapide », se félicite Valérie Siniamin-Finn. « Nous avons compris que nous devions les rassurer, pour qu’ils puissent eux-mêmes rassurer leurs équipes, et que nous devions surtout les équiper et leur faire changer d’état d’esprit, pour adopter une posture de bienveillance, de confiance et d’écoute encore renforcée », raconte-t-elle. Si l’AFCI défend depuis longtemps le positionnement de clarifier les choses auprès des équipes, « là, les dirigeants l’ont entendu », croit-elle.

Nouvelle demande.

Ces changements sont-ils voués à durer ? Il est trop tôt pour l’affirmer, mais le travail hybride, qui se généralise au moins quelques jours par semaine, rend nécessaire l’utilisation de ces outils digitaux démocratisés pendant la crise. Ceux-ci permettent des économies de temps et d’argent, et nombre de dirigeants, managers et collaborateurs n’imaginent donc plus revenir en arrière. Faire deux heures de transport pour un point hebdomadaire d’une heure paraît désormais aberrant. Sur le sujet de l’information et de la communication corporate, une nouvelle demande a aussi émergé, qu’il va être difficile de contenir. Les collaborateurs veulent savoir ce qui concerne leur entreprise et ce qui les concerne, de manière plus individuelle. « Nous nous rendons compte que nos salariés ne sont pas captifs et qu’il faut aborder la stratégie, et que cette stratégie soit en résonance avec leur quotidien », résume-t-on à la Société Générale. « Une crise chasse l’autre et le contexte d’incertitude est en train de s’installer, il y a donc des points d’organisation de travail sur lesquels on ne reviendra pas », constate Sophie Pales. « Alors que le rapport au lieu de travail s’est distendu, se pose la question du rapport au collectif. Et, derrière elle, les enjeux des sujets et des modalités de la communication sont très forts », encourage-t-elle. L’AFCI organise des échanges entre pairs sur ces sujets. « Le temps est nécessaire pour décanter des solutions », remarque la déléguée générale de l’association.

« Face à l’incertitude radicale à laquelle nous sommes confrontés, les entreprises, y compris celles du CAC 40, ont peu de réponses à apporter. Car elles recherchent une continuité de pensée au lieu de penser les ruptures », renchérit le sociologue Philippe Robert-Tanguy. « Dans la crise, elles ont donné des informations économiques et des mesures rapides qu’elles ont su expliquer. Donner une stratégie à trois ou cinq ans est plus complexe. Les dirigeants ont pris conscience de cette limite dans leur communication et ont une volonté de renforcer la communication vers leurs managers pour qu’ils soient le relais vers les collaborateurs », souligne-t-il. « Mais ils ont une problématique de contenu dans ce monde incertain. Quand il est difficile d’imaginer une pensée stratégique, il est d’autant plus difficile de l’exprimer », regrette-il.

Auteur

  • Lucie Tanneau