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Le coaching : au service du capitalisme

Idées | Livres | publié le : 01.05.2022 | Lydie Colders

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Le coaching : au service du capitalisme

Crédit photo Lydie Colders

Dans son enquête « Aux bons soins du capitalisme », la sociologue Scarlett Salman critique l’usage du coaching en entreprise. En « transférant la responsabilité de l’entreprise vers l’individu », cet outil serait emblématique du néolibéralisme.

Le coaching individuel symbolise-t-il un capitalisme à visage humain ? Ou témoigne-t-il d’un libéralisme captant la subjectivité des managers ? Au nom « du bien-être », les critiques pleuvent depuis vingt ans sur cet accompagnement des cadres supérieurs. Mais qu’en est-il en pratique ? Explorant « ce tournant personnel du capitalisme », (l’individu « entrepreneur de soi »), cette longue enquête de la sociologue Scarlett Salman sonde les ambivalences du coaching, à partir d’exemples concrets. Son livre, riche en entretiens (elle a interviewé 80 coachs, DRH et cadres) interroge son utilisation dans les grands groupes. Pourquoi un DRH, voire un patron « prescrit-il » un coaching ? Comment s’exerce-t-il ? Quels sont ses effets sur l’attitude des cadres ? En plongeant au cœur du sujet, la chercheuse démontre une recherche de performance individuelle déguisée, occultant « les contradictions organisationnelles ».

Une approche « productiviste »

Prise de poste, nouvelles responsabilités, « les cadres se voient le plus souvent prescrire un coaching pour modifier leur comportement et leurs relations avec leurs collaborateurs ». Mais la sociologue relève que « les enjeux temporels » (sentiment d’urgence, « d’un trop-plein » débordant sur sa vie privée) sont aussi traités dans cet accompagnement. Au travers d’exemples de managers débordés, (comme ce directeur régional dans l’assurance dont l’activité s’agrandit suite à une fusion), elle pointe un coaching visant alors « l’optimisation de soi » par diverses techniques (planifier son temps, revenir au sens du métier). Une aide appréciée des cadres pour « reprendre prise sur le flux de leurs activités ». Problème : cette injonction douce relève pour elle « d’une hygiène individuelle » visant en réalité l’engagement. Le coaching « alourdit la responsabilité morale du cadre » éludant celle de l’entreprise, dans un travail multitâche, envahi par le numérique.

Règne de l’autocontrôle

Dans la seconde partie, Scarlett Salman explore la duperie du coaching plus psychologique utilisé pour améliorer les relations de travail, symbole « d’une rhétorique managériale » à l’œuvre. Cadre à haut potentiel manquant de diplomatie, manager jugé trop exigeant ou en conflit avec sa direction sont alors invités « à travailler sur eux » pour changer de comportement. Croisant témoignages et analyse, Scarlett Salman fustige un accompagnement favorisant « une logique d’autodiscipline », « un polissage des interactions ». Et qui peut aussi « sonner comme un rappel à l’ordre » masqué en cas de conflit. Là aussi, cet outil renforce l’idée « que les problèmes de communication ou de tensions professionnelles sont imputables à la personnalité de l’individu », sans sonder le collectif. Dans sa critique d’un capitalisme érigeant « la personne en projet », la sociologue illustre finement que le coaching joue finalement « un rôle conservateur du système en place ». Une forme d’instrumentalisation, en somme.

Aux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise,

Scarlett Salman, Éd. Presses de Sciences Po, 320 pages, 25 euros.

Auteur

  • Lydie Colders