Dans cet ouvrage collectif, des ouvriers, employés, cadres du privé, fonctionnaires et ceux qui les défendent évoquent leur sentiment de dépossession éprouvé au travail vis-à-vis de leur vie, de leur cœur de métier et de leurs libertés d’agir et de penser. Ce sentiment produit du désenchantement et/ou de la révolte mais plus rarement une prise de conscience collective, constatent les auteurs qui fustigent les lois Travail et l’ubérisation du monde. La dépossession fait parfois renoncer à la lutte, car la résistance se paie aujourd’hui plus cher assène-t-on dans ce livre qui vise à mieux comprendre les mutations en cours dans le monde du travail à partir de récits de vie. Partant à la rencontre de ces dépossédés, les auteurs pointent la « crise de la représentation qui remonte au milieu des années 1980 et a vu monter l’abstention en même temps que les partis extrêmes, la disqualification des experts et la décrédibilisation des politiques ». De l’industrie à l’enseignement, de la fonction publique à la santé, de l’artisanat à l’intermittence du spectacle en passant par le commerce de cosmétiques et la sidérurgie, les auteurs ont recueilli dix-huit témoignages empreints de désenchantement. Comme souvent, ceux qui acceptent de témoigner à visage découvert pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail sont en majorité syndiqués. Les plus intéressants relèvent souvent les mécaniques d’intensification du travail, de restructuration ou réorganisation qui améliorent la profitabilité ou réduisent les coûts mais contribuent à la perte de sens et à la pénibilité. Un agent forestier se plaint de passer trop de temps à remplir des tableaux Excel au détriment des inspections sur le terrain qui permettent de mieux valoriser les arbres et protéger la forêt. Une vendeuse de Sephora constate que les non-remplacements des partants en magasin fatiguent les équipes restantes. Un sidérurgiste raconte sa mobilisation pour sauver l’emploi et l’activité industrielle menacés par des logiques financières court-termistes. Au fil des chapitres, on entre dans le quotidien d’un agent de La Poste, d’un magasinier, d’une infirmière ou d’un ouvrier travaillant sur une chaîne automobile mais aussi d’un enseignant et d’un cadre d’un grand magasin. Des témoignages riches de sens mais qui mériteraient d’être contrebalancés par la parole patronale.

sous la direction de Jean-François Diana et Denis Robert, Massot Éditions, Blast.