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Actualité des trois mises à pied

Idées | Juridique | publié le : 01.05.2022 |

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Actualité des trois mises à pied

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Rien de plus infâmant pour un officier de cavalerie que d’être privé de son cheval à titre disciplinaire, et devoir alors rejoindre « la piétaille ». Dès le XIXe siècle, le droit du travail militaro-industriel avait repris cette sanction, qui s’est depuis sophistiquée. Car il existe aujourd’hui trois types de mises à pied bien différentes, et mieux vaut ne pas se tromper…

1. Mise à pied disciplinaire

C’est la sanction la plus classique avant le licenciement. Pour être infligée, elle doit figurer dans le règlement intérieur, avec une durée maximum ne pouvant être dépassée par le chef d’entreprise. Cas unique : le conseil des prud’hommes pourra ici réduire la sanction pour l’aligner sur celle prévue par le règlement intérieur.

Mais sanction peu banale : car l’interdiction de venir travailler est sans doute moins durement ressentie que l’abattement strictement proportionnel sur le salaire. Aux salariés lui reprochant de constituer une sanction pécuniaire, ce qui la rendrait illégale, nos juges ont répondu qu’il s’agissait d’un banal mécanisme contractuel : pas de travail, pas de salaire.

Conséquence : l’exécution du contrat étant alors suspendue, le collaborateur exclu s’étant blessé en revenant dans l’entreprise ne sera pas pris en charge au titre des accidents de travail (Cass. 2e civ., 21 septembre 2017).

2. Mise à pied conservatoire

L. 1332-3. « Lorsque les faits reprochés ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure disciplinaire ait été respectée. »

Elle ne constitue pas une sanction, mais une simple mesure d’attente permettant d’écarter immédiatement un salarié fautif (ex. : harcèlements) pendant la durée de la procédure légale, ou parfois conventionnelle.

Mais elle est aussi utile lorsque l’employeur a un doute sur l’existence ou la gravité des fautes, voire l’identité du véritable fautif. Ainsi en cas de rixe sans témoin ni preuve vidéo, il est possible de mettre à pied les deux protagonistes ; quand l’auteur des coups sera dûment identifié, il sera licencié pour faute grave, sa mise à pied n’étant pas payée. L’autre salarié en revanche se verra intégralement verser sa rémunération.

Quelle procédure ? Rien dans le Code. Elle peut donc être prononcée oralement, mais cela pourrait poser de délicats problèmes de preuve. Une lettre remise immédiatement en main propre sera donc préférée, précisant expressément son caractère « conservatoire ». Sans oublier qu’elle ne constitue pas une exception au délai maximum de deux mois entre la connaissance des faits et la convocation à l’entretien…

La GB (Grosse Bourde) ? Indiquer devant témoins : « Je t’inflige immédiatement une mise à pied de trois jours ! » D’abord car le terme « infliger » évoque une sanction. Ensuite car une mise à pied conservatoire est à durée indéterminée (« pendant la durée de la procédure de licenciement »), contrairement à la mise à pied disciplinaire. Une telle affirmation transformant la mise à pied conservatoire en mise à pied disciplinaire, aucun licenciement ne pourra donc être prononcé ensuite : « non bis in idem ».

Certes, comme l’a rappelé la Cour de cassation le 9 février 2022, « l’employeur n’est pas tenu de procéder à une mise à pied conservatoire avant d’engager une procédure de licenciement pour faute grave », ou lourde. Mais si elle n’est pas obligatoire, elle est recommandée dans ces deux hypothèses.

D’abord car point n’est besoin de laisser l’informaticien terminer de tripatouiller le logiciel de paye, ou deux mécaniciens s’étant battus à coups de clefs de 42 se revoir en tête-à-tête le lendemain matin.

Ensuite car la faute grave étant celle « qui empêche la poursuite immédiate du contrat de travail », laisser un salarié travailler comme d’habitude pendant la durée de la procédure (une semaine minimum) peut jeter le doute sur la gravité de la faute et fragiliser la position patronale : L. 1332-3 indique que la mise à pied conservatoire doit être « indispensable » au vu des faits reprochés.

Quelle que soit la gravité de la faute, l’employeur devra ensuite rapidement prendre position : sept jours entre la mise à pied et la convocation à l’entretien, « sans fournir aucun motif de nature à justifier ce délai », c’est trop long (CS, 14 avril 2021). A fortiori plus de deux mois, même si pendant cette période les conseils respectifs des parties ont eu des échanges confidentiels sur l’éventualité d’une rupture conventionnelle (CS, 2 février 2022).

Avec là encore une conséquence catastrophique en cas de délai excessif : mise à pied conservatoire requalifiée par les juges en mise à pied disciplinaire, application de la règle « non bis in idem » (bis). Donc défaut automatique de cause réelle et sérieuse, quel que soit le motif du licenciement invoqué ensuite, « l’employeur ne pouvant, à raison des mêmes faits, décider le licenciement de l’intéressé ».

Un arrêt du 9 mars 2022 met enfin en scène une situation inédite : une vendeuse devant être licenciée pour vol et mise à pied conservatoire pendant la procédure envoie un SMS à l’une de ses collègues afin qu’elle réalise une petite mise en scène conduisant à son absolution : « Par l’emploi d’un stratagème consistant à impliquer une collègue, la salariée avait tenté de dissimuler frauduleusement un vol commis au préjudice de son employeur alors qu’elle était toujours tenue, à son égard, d’une obligation de loyauté. De tels faits mettaient en cause sa probité, peu important qu’aucune faute antérieure à sa mise à pied conservatoire ne puisse lui être reprochée » (faute grave).

Et si finalement aucune faute ne peut être reprochée au collaborateur mis à pied ? A-t-il droit à une indemnisation du fait de ces soupçons ? Non, si ses salaires lui ont été intégralement versés et qu’aucune circonstance vexatoire (ex : interpellation délibérément publique) n’a été constatée à cette occasion.

3. Mise à pied « spéciale » du représentant du personnel

Troisième mise à pied, mais en réalité seconde forme de mise à pied conservatoire : la mise à pied « spéciale » réservée aux représentants du personnel en voie de licenciement. Mais cette fois expressément pour faute grave et donc a fortiori lourde.

La procédure visant le salarié (entretien préalable) s’ajoutant ici à celle visant le délégué (consultation du CSE + demande d’autorisation à l’inspection du travail) étant nécessairement fort longue, l’employeur peut « en cas de faute grave, prononcer la mise à pied immédiate de l’intéressé dans l’attente de la décision définitive. Si le licenciement est refusé, la mise à pied est annulée et ses effets supprimés de plein droit ».

Mais l’intérêt d’une telle mise à pied se révèle aujourd’hui doublement limité.

1. Car la très subtile Cour de cassation a admis que si Janus-le-contractant-salarié ne pouvait alors entrer dans l’entreprise du fait de la suspension obligée de son contrat, Janus-le-représentant-du-personnel pouvait, lui, le faire au titre de son statut d’ordre public maintenu, sous peine de délit d’entrave à ses fonctions. Mais ce qui est parfaitement légitime lorsqu’il s’agit de venir assister à une réunion du CSE (ne pas oublier de convoquer normalement un délégué mis à pied), l’est nettement moins lorsque douze délégués grévistes mis à pied veulent entrer avec sacs de couchage et sono…

2. Car la procédure statutaire de licenciement est alors nettement accélérée : consultation du CSE dans les dix jours de la mise à pied, puis saisine de l’inspecteur du travail dans les 48 heures. Problème : ces délais sont difficilement tenables dans la vraie vie… et leur non-respect pourrait générer un refus d’autorisation.

Et si enfin l’autorisation de licenciement est refusée par l’inspection ? La mise à pied est rétroactivement annulée « et ses effets supprimés de plein droit » ; le salarié touchera donc automatiquement les salaires et autres primes qu’il aurait touchés s’il avait continué à travailler. Même si l’employeur a fait un recours hiérarchique auprès du ministre, ou attaqué cette décision devant la juridiction administrative. Idem si l’autorisation de licenciement est ultérieurement annulée par le juge administratif.

La dernière GB ? L’employeur s’étant vu opposer un refus et ne rétablissant pas immédiatement dans ses fonctions le délégué mis à pied commet, outre une entrave à ses fonctions, une violation du statut protecteur : saisine du conseil des prud’hommes en référé, ordonnance de réintégration forcée sous astreinte. Mais aussi l’opportunité pour le délégué d’une prise d’acte (CS, 29 septembre 2021). Si on additionne l’indemnisation due au salarié évincé et celle du représentant du personnel illégalement écarté, entre 20 et 40 mois de salaire.