Alors que la question des compétences devient centrale pour les entreprises en pleine transformation, la VAE, dispositif phare pour accélérer le mouvement en reconnaissant la valeur de l’expérience, aurait besoin d’un grand ménage de printemps. Objectif : faciliter l’employabilité des individus et relever le défi de la double transition écologique et digitale.
Considérée il y a vingt ans lors de sa création comme « révolutionnaire », la VAE (validation des acquis de l’expérience) aurait-elle failli à devenir ce dispositif permettant de faire reconnaître son expérience pour obtenir tout ou partie d’un diplôme et assurer ainsi la promotion sociale de chacun ? « Si personne ne connaît réellement le nombre de bénéficiaires répartis dans des dizaines de structures dépendant de plusieurs ministères, les experts sont tous unanimes pour reconnaître que le système ne fonctionne pas », souligne David Rivoire, un des trois auteurs du rapport sur la redynamisation de ce dispositif, rendu à la ministre du Travail, Elizabeth Borne, le 14 mars dernier. Avec Claire Khecha, directrice générale de l’Opco Constructys lors du lancement de la mission en 2019 (aujourd’hui déléguée générale de la Fédération des acteurs de la compétence), et Yanic Soubien, ex-vice-président de la région Normandie en charge des politiques de l’emploi et de la formation professionnelle, ce praticien de longue date de la VAE à la tête du cabinet VAE Les 2 Rives s’était en effet vu confier par Muriel Pénicaud la mission de repenser l’outil pour le rendre plus opérationnel. Car plusieurs rapports n’ont cessé au cours des ans de tirer la sonnette d’alarme : trop long, trop complexe, le cheminement des candidats à la VAE est un parcours du combattant qui a eu par ailleurs toutes les difficultés à intéresser tous ceux sortis de l’école sans diplôme, et ayant enchaîné une succession de petits boulots, auxquels le dispositif était pourtant destiné.
« Quand nous avons accepté la mission, il n’était pas question pour nous de tirer un nouveau bilan ni de proposer des ajustements à la marge », poursuit David Rivoire. Car déjà en 2006, une première simplification avait été mise en œuvre sans réussir à créer une véritable dynamique. « Nous avions d’ailleurs demandé à la ministre de l’époque de ne pas nous brider », ajoute-t-il. Les défis à relever sont en effet de taille : dans un contexte économique mouvant, la question de la compétence est devenue un élément central pour les entreprises. Comment se transformer, sans avoir les profils idoines ? Et comment, pour les salariés, maintenir son employabilité pour se repositionner sur les nouveaux emplois quand le sien est menacé ? La question n’est pas nouvelle mais les changements étant de plus en plus rapides, la notion de « upskilling » ou « reskilling » est au centre de toutes les réflexions : chacun doit pouvoir non pas repartir de rien mais s’appuyer sur ses acquis pour les compléter avec ce « petit plus » qui lui manque ou utiliser ses compétences transversales pour partir à la conquête de nouveaux métiers ou de nouveaux secteurs d’activité.
Encore faut-il pouvoir les faire reconnaître et plus encore, préparer les prochaines étapes, en faisant valider tout au long de sa carrière, toutes les compétences acquises de manière formelle ou informelle dans le cadre de formations classiques, en ligne, en situation de travail et même dans sa vie extraprofessionnelle. « Car aujourd’hui, c’est tout au long de sa vie qu’il va falloir se former. Plus que les diplômés, c’est l’agilité et la capacité d’apprendre qui deviendront déterminantes », assène l’expert. Un constat de base qui a conduit les auteurs du rapport à proposer un changement radical : « Il faut passer d’une VAE “sanction”, l’obtention du diplôme visé sanctionnant les acquis passés, à une VAE “parcours”, beaucoup plus rapide et plus dynamique. Centrée sur le futur, elle vise à mesurer l’écart entre le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir pour réaliser son projet professionnel », décrit David Rivoire.
Cette stratégie, qui renverse la perspective, nécessite de repenser l’ensemble de la VAE. À commencer par la question de la recevabilité de la demande : actuellement, celle-ci ne s’appuie pas sur une démarche homogène et dépend beaucoup des examinateurs. C’est pour cela que le rapport prévoit la mise en place d’un guichet unique à partir de critères à établir. Ce premier filtre sera complété par un regard « humain » qui va avoir un rôle de conseiller : les candidats ne postuleront pas pour un diplôme défini mais en fonction de leur projet, ce conseiller-accompagnateur leur transmettra plusieurs chemins possibles, plus ou moins longs, et ce sera après s’être entretenu avec le candidat qu’il coconstruira avec lui un plan d’action prenant différentes formes : « Il y aura du formel et de l’informel. Et pourquoi pas l’identification de compétences intermédiaires sous la forme d’“open badges”. Ces certifications comme celles que l’on peut acquérir par exemple lors du suivi d’un MOOC n’ont pas à se substituer au contenu des diplômes mais pourquoi pas dans certains cas faciliter la création de passerelles entre les deux ? », propose David Rivoire. Le suivi de cette feuille de route permettra en outre au bénéficiaire de ne pas attendre la tenue du jury pour savoir ce qui lui reste à valider contrairement à ce qui est actuellement la règle.
Au terme de ce parcours, la « validation » ne sera ainsi plus qu’une formalité. « Et ce ne sera pas le jury mêlant enseignants et professionnels, investis et donc rémunérés pour effectuer cette tâche, qui décidera de la date mais le bénéficiaire quand il estimera être prêt », insiste le co-auteur du rapport qui propose pour enfoncer le clou de transformer la VAE en REVA (Reconnaissance de l’expérience dans sa globalité et validation des acquis de cette expérience).
Cette réforme ambitieuse s’appuie sur deux principaux piliers : la formation des accompagnants, élément clé de ce nouveau paradigme, et la création d’une « start-up d’État », préfiguration du Service public de la reconnaissance de l’expérience et de la validation des acquis. Cette structure sera chargée dans un premier temps de piloter les modifications nécessaires pour passer de l’ancien au nouveau système avant d’assurer sa régulation et gérera la future application numérique collaborative REVA qui centralisera les demandes et les démarches en cours. De quoi aussi réorienter les financements pour aider les candidats à passer à l’action : aujourd’hui centrés sur la préparation du dossier, ils pourront demain faciliter le suivi de compléments de parcours sous toutes leurs formes à partir du moment où ceux-ci s’inscriront dans la mise en œuvre de la feuille de route co-élaborée par le candidat et son accompagnateur. Objectif : en finir avec une vision administrée du financement de la formation centrée sur « le taux horaire collectif » remplacé par un « accompagnement forfaitaire individualisé ».
Si les pistes définies dans ce rapport n’ont pas encore été entièrement validées, les pouvoirs publics ont commencé à « expérimenter », concrètement sur le terrain, le système REVA. Lancée en novembre dernier, une première cohorte de 300 personnes a d’ores et déjà permis de mesurer les impacts positifs de cette transformation avec une diminution de 16 à 4 mois du délai nécessaire pour l’obtention des certifications, une division par trois du nombre d’abandons et un taux de réussite de 90 %. Une seconde expérimentation devrait commencer en mai ou juin prochain avant que le futur gouvernement ne statue sur le sujet…
Si dans leur rapport les trois auteurs citent le rôle à venir des « open badges » basés sur des compétences intermédiaires, ils considèrent toutefois que ce système restera un système « parallèle » à celui visant l’obtention de diplômes. « Ce sont deux démarches différentes même si le fait d’avoir suivi des badges peut ensuite permettre au bénéficiaire de montrer qu’il possède cette compétence », explique David Rivoire pour qui il ne peut pas y avoir d’automaticité. Car le mode de validation n’est pas identique : dans le cas de diplôme, il est soumis à l’appréciation d’un jury. Dans le cas de badges, c’est à l’individu de s’autoévaluer pour estimer s’il a ou non acquis la compétence visée.
La position de David Rivoire est paradoxale par rapport aux réflexions qui se développent partout en Europe autour de cette notion d’« open badge ». Plus novatrice dans le mode de validation que la plupart d’entre elles qui, comme en Finlande, reposent sur la capacité de l’apprenant de montrer dans une situation professionnelle comment il met en place ce qu’il vient d’apprendre, elle est en revanche plus conservatrice sur sa reconnaissance formelle. Le gouvernement d’Helsinki travaille ainsi main dans la main avec des chercheurs, sur le terrain, pour créer un système à plusieurs étages entre micro-compétences, demandant parfois moins d’une heure de formation, des « open badges » classiques regroupant plusieurs micro-compétences mais aussi des « constellations » agrégeant des compétences autour de thématiques particulières telles les compétences digitales faisant quasiment jeu égal avec les diplômes. « Nous sommes en train d’étudier comment rassembler toutes ces compétences dans des portfolios, dans lesquels chacun pourra décrire tout ce qu’il a appris et ce qu’il maîtrise, indique Sanna Brauer, enseignante-chercheuse à l’université des sciences appliquées d’Oulu et impliquée dans ces réflexions. Ces parcours à la carte pourraient être dans une seconde étape sécurisés grâce à la blockchain. Ce qui pourrait autoriser demain les individus à créer leurs propres diplômes en fonction de leur projet professionnel. »
La philosophie de ces précurseurs semble avoir aussi séduit le candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron qui pourrait en faire un thème de son second mandat. De quoi, si elle était mise en œuvre, sonner la fin de la prédominance absolue du diplôme acquis sur les bancs de l’école, passeport absolu pour l’ensemble de sa carrière. Une véritable révolution dans le ciel hexagonal !