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Olivier Faron : « La micro-certification est un enjeu d’avenir »

Dossier | publié le : 01.05.2022 | Benjamin d’Alguerre

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« La micro-certification est un enjeu d’avenir »

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

 
Ancien administrateur général du CNAM et aujourd'hui recteur de l'Université de Strasbourg, Olivier Faron a été l'un des premiers dirigeants d'un institut d'enseignement supérieur à rendre tous ses diplômes accessibles par la validation des acquis de l'expérience (VAE). Aujourd'hui, il estime que la modularisation des certifications préconisée dans le rapport Rivoire peut constituer un accélérateur de formation, à condition que l'accompagnement suive. Rencontre.
 
Quel est l’héritage de ces vingt années de VAE ?

Olivier Faron : J’en vois deux. Le premier, c’est que la VAE s’est installée dans le paysage. D’abord confidentiel, c’est désormais un dispositif connu et banalisé. Lorsque j’étais encore administrateur général du Cnam, nous avions réalisé une analyse auprès des publics qui y étaient inscrits : la majorité en avait entendu parler alors que ces personnes n’étaient pas spécialement acculturées à l’univers de la formation professionnelle. Le second héritage, c’est qu’en vingt ans, la VAE a fait des petits. Les dispositifs de reconnaissance des compétences acquises sur le terrain, hors de tout parcours académique, sont en quelque sorte les enfants de la VAE. On peut évidemment citer le cas de la formation en situation de travail (Fest), par exemple, mais je pense aussi à des initiatives plus confidentielles comme l’ « Université des patients » fondée en 2010 à la Sorbonne par le professeur Catherine Tourette-Turgis qui consiste à concevoir et animer des parcours diplômants à destination des personnes atteintes d’une maladie qui désirent transformer leur expérience de malades en expertise au service de la collectivité. Tout cela n’aurait sans doute jamais pu exister si la VAE n’avait pas posé les premiers jalons. Il faut d’ailleurs se féliciter que celle-ci soit désormais accessible par le biais du CPF, cela ne peut que contribuer à sa démocratisation. Indéniablement, au cours des vingt années écoulées, la VAE a connu de véritables sauts qualitatifs.

Et concernant l’aspect quantitatif ?

O.F. : C’est effectivement le bémol. Les chiffres ne sont pas au rendez-vous en dépit de la création de dispositifs de type VAE collective qui permettent d’embarquer plusieurs personnes dans un parcours. Dans son fonctionnement, la VAE reste associée à un système administratif lourd et contraignant qui peut vite se révéler bloquant pour les candidats. Cela s’explique en partie par l’environnement intellectuel dans lequel baignaient ses créateurs en 2002. À ses débuts, la validation des acquis de l’expérience était presque entièrement agencée autour de l’objectif d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur. Ce n’est qu’ensuite que le monde de la formation professionnelle s’est mis à concevoir et à délivrer ses propres diplômes qui eux-mêmes sont devenus éligibles à la VAE mais sans que le cadre très contraignant de l’obtention ne soit modifié en profondeur. Aujourd’hui, le rapport Rivoire-Khecha-Soubien propose de révolutionner le paysage institutionnel de la VAE en proposant une nouvelle lecture du dispositif qui substitue une logique d’acquisition de blocs de compétences à l’objectif diplômant des débuts. Cette évolution repositionne la VAE comme un dispositif de reconnaissance progressif des savoir-faire appris en situation professionnelle sous forme d’acquisition de micro-certifications tout au long de la vie. Cette question de la micro-certification est d’ailleurs un enjeu d’avenir pour le monde de la formation professionnelle. Dans le rapport, cet objectif s’accompagne d’une proposition de réforme d’un système de gestion devenu lourd et complexe pour les usagers. Sur ce point, le développement des technologies de type IA ou Big Data constitue un facteur d’accélération essentiel puisqu’il est désormais possible de constituer des portefeuilles numériques de compétences acquises, ce qui n’était évidemment pas imaginable au moment de la création du dispositif en 2002. En définitive, la vraie question qui va se poser, c’est celle du positionnement de l’évaluateur final. Hier, le rôle des jurys de VAE consistait à sanctionner un parcours de formation de façon assez administrative et traditionnelle. Demain, il s’agira davantage de jauger de la qualité de l’évolution des compétences acquises par la personne en situation de travail. Ce n’est pas un changement anodin car il repositionne la question de l’accompagnement des candidats à la VAE comme élément central du dispositif.

Comme il existe des conseillers en évolution professionnelle pour le Projet de transition professionnelle (PTP) ou certaines situations de mobilisation du CPF, peut-on alors imaginer le développement du métier de « coach en VAE » ?

O. F. : Probablement. En tous cas, cette logique d’accompagnement des parcours va devoir se traduire en termes de services rendus au public. Il faudrait idéalement voir cette fonction d’accompagnateur de VAE se développer au sein de tous les services en lien avec la formation et l’emploi. Lors de la réforme de 2018, le Cnam a formé un certain nombre de conseillers en évolution professionnelle sur cette problématique. Un opérateur tel que Pôle Emploi devrait faire de même afin de ses agents puissent plus facilement proposer ce type de parcours à leurs usagers car une fois les premiers blocs de compétences acquis et reconnus sous la forme d’open-badges comme le préconise le rapport Rivoire, le processus de qualification doit se poursuivre en enchaîner, par exemple, sur la proposition de formations complémentaires pour aborder l’étape suivante du parcours. Il existe donc toute une logistique de la reconnaissance et de l’acquisition des compétences tout au long de la vie, ce qui va exiger de développer par la formation professionnelle le savoir-faire des accompagnateurs des candidats à une VAE.

Pensez-vous que la proposition du rapport de reconnaître chaque bloc de compétences acquis sous forme d’« open-badges » numériques soit de nature à inciter les candidats à se lancer dans de tels parcours.

O.F. : En tous cas, c’est complémentaire avec le reste des propositions du rapport. Les « open-badges », initialement créés pour valider des modules courts, présentent l’avantage de faciliter la reconnaissance des compétences acquises dans le cadre de parcours répondant aux besoins d’employabilité immédiate tout en permettant au système de fonctionner de façon plus fluide qu’actuellement. Ils peuvent constituer là aussi un saut qualitatif dans le dispositif à condition cependant que les organismes de formation s’en saisissent pour en faire un outil de dynamisation de la VAE.

Derrière cette proposition de réforme de la VAE, une réforme plus vaste de la modularisation des diplômes en général n’est-elle pas en train de se profiler ?

O.F. : Certains grands organismes de formation ont déjà modulé leur offre de formation pour la rendre accessible à la VAE. À titre personnel, c’est ce que j’avais fait au Cnam où désormais presque 100 % des cursus sont éligibles à la validation des acquis de l’expérience. Aujourd’hui, on peut même passer des doctorats par VAE au Cnam. Cependant, cette évolution n’a pas été facile. J’ai dû faire face à une grande résistance de la part des enseignants-chercheurs qui craignaient que cette transformation aboutisse sur des diplômes au rabais, mais ce ne fut pas le cas. Quant à l’acquisition de diplômes par blocs, elle est déjà possible par le biais de la VAE partielle. Le processus de modularisation n’est toutefois pas simple à imposer dans les établissements à cause de la sacralisation du diplôme qui existe en France. Ce qui pourrait changer en instaurant un système d’« open-badges », c’est la possibilité d’aller vers des diplômes « à la carte ». Par exemple : il est notoire que notre pays manque d’ingénieurs. Pourquoi ne pas proposer aux écoles qui en forment de développer une modularisation de leurs diplômes pour permettre à des techniciens qui ne disposent pas de ce statut d’y accéder grâce à des modules reconnaissant ce qu’ils ont pu apprendre en situation de travail dans leur carrière ? Ce genre d’initiative accélérerait la montée en compétences dont notre pays a besoin et pourrait même permettre de dégripper un ascenseur social un peu rouillé depuis pas mal de temps.

Outre sa complexité administrative, la VAE s’est longtemps heurtée à l’insuffisance de ses financements. Faut-il imaginer une nouvelle répartition des fonds de la formation, voire une nouvelle contribution pour mieux financer le dispositif ?

O.F. : Nous avons connu cinq années pendant lesquelles l’État a beaucoup investi dans les différents dispositifs de formation, que ce soit l’apprentissage ou le CPF. Est-ce que ce sera toujours le cas demain ? Je ne sais pas. La situation financière de France compétences n’est pas enviable. À un moment, il faudra que les pouvoirs publics fassent des choix en matière de prioritéS financières pour favoriser les formations débouchant sur une employabilité rapide. Je ne pense pas qu’il faille imposer une cotisation supplémentaire aux entreprises pour financer spécifiquement la VAE. Peut-être une nouvelle clé de répartition des fonds existants est-elle nécessaire ? En tous cas, cette problématique se pose à l’heure où de plus en plus d’acteurs sont susceptibles d’abonder le CPF à laquelle la VAE est éligible. Il existe sûrement des solutions à explorer de ce côté-là.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre