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Deux décennies en demi-teinte

Dossier | publié le : 01.05.2022 | Benjamin d’Alguerre

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Deux décennies en demi-teinte

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

La VAE, échec ou réussite ? Difficile à dire. Les chiffres que ses créateurs escomptaient en 2002 n’ont jamais été atteints en vingt ans, mais, pour autant, le dispositif a tout de même trouvé une (petite) place au sein du monde de la formation professionnelle.

Olivier* fait partie des dégoûtés de la VAE. Pas simplement déçu, non. Véritablement « écœuré » de son propre aveu. Pour ce quadra armé d’un simple BTS compta-gestion, la validation des acquis de l’expérience semblait constituer un Graal pour transformer sa connaissance de la langue japonaise apprise en autodidacte – conséquence d’un biberonnage à la culture geek et manga – en licence langues, traduction et communication spécialité Langues-O afin de pouvoir postuler auprès de maisons d’édition spécialisées et quitter la petite structure associative où il se sent végéter. Engagé la fleur au fusil dans une démarche de VAE, il est vite rattrapé par la réalité du dispositif : manque de temps pour concilier son boulot de tous les jours et la rédaction de son dossier, sentiment récurrent de solitude, administration universitaire aux abonnés absents… En désespoir de cause, il jette l’éponge au bout d’un an et jure depuis qu’on ne l’y reprendra plus. Combien sont-ils dans son cas à déposer un dossier puis à suivre le parcours jusqu’au bout ? Difficile à dire tant la statistique générale manque encore pour établir un panorama complet de la validation des acquis de l’expérience. Une seule chose est certaine : « Le recours à la VAE est plutôt en régression. Avant le travail engagé par plusieurs ministres et la mission confiée à David Rivoire, on se trouvait clairement sur une pente descendante avec de moins en moins de dossiers acceptés et de validations finales accordées », observe Danielle Kaisergruber, ancienne présidente du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) et spécialiste des relations entre monde académique et monde professionnel. De fait, la dernière note de la Dares sur le sujet, date de 2017 et tire le bilan de l’année 2015. À l’époque, on recensait 60 000 dossiers déposés, 41 400 passages devant un jury et 24 600 certifications complètes effectivement délivrées. Déjà à l’époque, la direction des statistiques du ministère du Travail notait une inflexion du nombre de recours à la VAE. Cinq ans plus tôt, en 2010, le nombre de certifications délivrées s’élevait à près de 30 000. Loin des 50 à 60 000 validations annuelles sur lesquelles tablaient Nicole Péry, secrétaire d’État au Droit des femmes et à la Formation professionnelle du gouvernement Jospin, et Vincent Merle, son directeur de cabinet, en 2002 lors de la création du dispositif.

Lourd et scolaire

« La VAE a été victime d’une forme de “procéduralisation” qui a contribué à son échec. L’empilement des démarches administratives à accomplir tout au long du processus a transformé le dispositif en véritable parcours du combattant pour les candidats. Résultat, aujourd’hui, la VAE, c’est beaucoup d’appelés et peu d’élus… » regrette Damien Brochier, chargé de mission partenariats et formation professionnelle au Cereq. Cette sur-administration du dispositif fut, à l’époque, une concession au monde de l’enseignement supérieur qui avait opposé une levée de boucliers à la VAE accusée de « brader » ses diplômes, se souvient Michel Abhervé, ancien professeur associé d’économie sociale à Paris-Est-Marne-la-Vallée et membre, en 2002, du Comité de coordination de la formation professionnelle, sorte d’ancêtre du Cnefop, lui-même intégré depuis à l’opérateur France compétences. « Pour réussir à imposer la VAE face à l’enthousiasme plus que mesuré de l’Éducation nationale, Vincent Merle a dû manœuvrer subtilement : il n’a pas parlé d’acquisition de diplômes par la situation de travail – impensable à l’époque – mais est parti du diplôme pour l’adosser à des compétences accessibles en situation de travail et trouver leur équivalent dans les référentiels de l’Éducation. C’était un compromis intellectuel, mais cela a fonctionné. Son autre astuce fut d’empêcher les jurys d’être entièrement composés d’enseignants en y intégrant les partenaires sociaux. » Une approche fine et quelque peu alambiquée qui a arraché l’adhésion des pédagogues en bout de course, mais contribué à rendre le système lourd, lent – six mois sont nécessaires à la réunion d’un jury – difficilement gérable et… très scolaire. « Lorsqu’ils se sont retrouvés dans les jurys, nombre d’enseignants ont reproduit ce qu’ils maîtrisaient le mieux, à savoir le cadre assez formaté de l’examen théorique, ce qui ne correspondait pas aux besoins des candidats, surtout parmi ceux qui avaient quitté l’école assez tôt », explique Damien Brochier.

« Dans certaines disciplines, elle a trouvé sa voie »

Même si les résultats ne sont pas au rendez-vous, parler d’échec de la VAE après deux décennies serait exagéré. « Dans certaines disciplines, elle a trouvé sa voie. C’est le cas dans certains métiers sociaux ou techniques », détaille le chargé de mission du Cereq. Le diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS) en est un bon exemple. Souvent choisi par des femmes ayant élevé des enfants et cherchant à transformer leur expérience maternelle en qualification professionnelle, il a permis de faire grimper les chiffres du recours à la VAE. Jusqu’aux années 2010, du moins. « Un temps, cet accroissement du nombre d’auxiliaires de vie correspondait aux besoins des collectivités territoriales qui finançaient les parcours de VAE. Ça s’est tassé ensuite lorsque les conseils généraux, notamment, ont réduit la voilure quand ils se sont rendu compte que la reconnaissance d’une qualification par la VAE entraînait une hausse du salaire des aides à domicile et donc de leur contribution », indique Michel Abhervé. Sans compter les institutions qui y ont recouru abusivement. Le rapport conjoint des Inspections générales des finances (IGF) et des affaires sociales (Igas) sur les Ehpad du groupe Orpéa rendu le 5 mars dernier à la ministre en charge de l’Autonomie Brigitte Bourguignon faisait état d’aides-soignantes placées d’autorité en VAE par l’employeur sans que cela se traduise par un réel parcours de certification mais afin de pouvoir les embaucher à ce statut sans par ailleurs les rémunérer selon la grille des salaires correspondantes…

Le risque du low-cost

Les exemples de réussite sont plutôt venus de la VAE collective où les candidats peuvent s’épauler, se conseiller, éviter la solitude et bénéficier du conseil de formateurs-accompagnants. Air France ou Véolia ont testé la formule. Avec succès, souvent. « Les candidats montrant moins d’assurance dans la rédaction de leur rapport ou lors de leur grand oral face au jury sortent plus positivement d’un parcours de VAE collective que s’ils doivent y faire face seuls », résume Danielle Kaisergruber. Mais même réalisée individuellement, la VAE présente davantage de chances de sortie positive si elle est bien préparée en amont et accompagnée pendant. Au sein du groupe IGS où une cinquantaine de parcours sont suivis chaque année sur des certifications aux carrières RH, informatiques, managériales ou immobilières, « toute candidature fait en premier lieu l’objet d’un entretien de faisabilité », explique Catherine Azema, responsable des cursus en VAE. Le niveau de qualification d’origine aide aussi. « Ceux que nous accueillons disposent souvent déjà d’un niveau Bac + 2 ou + 3 se positionnant sur une reconnaissance de diplômes à Bac + 4 ou + 5. » Et bénéficient d’un accompagnement quasi tutoral par des formateurs spécialisés durant leur parcours. Depuis deux ans, par ailleurs, une expérimentation sur le « découpage » de parcours en blocs de compétences, comme le préconise le rapport REVA, est en cours. Sur cette modularisation, Danielle Kaisergruber avertit : « Attention au risque qu’un excès de découpage ne finisse par aboutir à l’obtention de diplômes ou de titres “low-cost”. La VAE, même si elle est facilitée, doit rester un dispositif exigeant. Après tout, il s’agit de faire réfléchir une personne sur le sens de son travail et l’expérience qu’elle en tire et qu’elle peut décliner en savoir-faire professionnel. Les rédacteurs du rapport semblent d’ailleurs conscients de ce risque. » Ne pas remplacer un système complexe par un système simpliste en quelque sorte. Une équation pas si aisée à résoudre.

* Le prénom a été modifié

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre