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Travail à distance : une nouvelle communication nécessaire

Décodages | Travail hybride | publié le : 01.05.2022 | Lucie Tanneau

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Travail à distance : une nouvelle communication nécessaire

Crédit photo Lucie Tanneau

Mail envoyé trop vite, visioconférence sans caméra ou trop longue, conversation à n’en plus finir sur une messagerie instantanée… La communication à distance, unique source d’échanges pendant les confinements, puis nouvelle norme des travailleurs hybrides, révèle des malentendus nombreux, qui peuvent vite dégénérer. Les entreprises en ont-elles conscience ? Que font-elles pour y remédier ?

« Bonjour, j’aimerais te voir pour un point RH lundi. Bien à toi. » Ce simple message a fait passer un très mauvais weekend à son destinataire. Et pourtant, la rencontre à venir était franchement positive. « On avait une jeune en période d’essai et je voulais lui dire qu’on voulait la garder, que j’étais content de son travail, donc je l’ai invitée », raconte Jérôme Chemin, secrétaire général adjoint à la CFDT en charge du numérique et de la qualité de vie au travail. Il n’a pas imaginé une seule seconde que le message pouvait être mal compris. « Pour elle ce « point RH » avait une connotation négative : elle a eu peur de se faire virer ! », regrette-il. Un exemple parmi des milliers, comme on en a tous connu pendant ces deux ans de pandémie et de télétravail, des difficultés de la communication à distance. Se faire comprendre en face à face ou par mail, messagerie instantanée, tchat, téléphone ou même en visioconférence n’a rien à voir… le sourire ne passe pas par l’écrit. Christophe Nguyen, psychologue fondateur du cabinet Empreinte humaine, qui intervient en entreprise a vécu une mésaventure similaire. « On a dû arrêter une période d’essai qui ne se passait pas bien. Tous les autres jeunes se sont inquiétés, seuls chez eux. Sans la machine à café pour débriefer avec ses collègues, on interprète beaucoup plus », réalise-t-il. « Il faut être beaucoup plus explicite à distance pour limiter les malentendus », met-il en garde. L’utilisation du rouge pour souligner une date dans un mail peut aussi être très mal perçue. La couleur de maître d’école serait donc à éviter.

Autre exemple, en vidéo cette fois. Jérôme Chemin raconte une visioconférence à laquelle il a assisté. Alors qu’une collègue raconte qu’elle a passé beaucoup de temps sur un rapport, une autre, dans la conversation écrite poste : « C’est ni fait ni à faire ». Un message désagréable… mais qui n’avait rien à voir avec le rapport ! « Elle parlait de complètement autre chose, il y avait deux conversations parallèles, une à l’oral et une à l’écrit », reprend Jérôme Chemin. « Il n’empêche, avant de comprendre, on se prend la gifle, et c’est très violent », souligne-t-il. Par mail également, les collaborateurs oublient de plus en plus la politesse. Le « bonjour » est encore là le lundi matin, puis au fil de la journée ou de la semaine, il disparaît et laisse place à des demandes de plus en plus laconiques. Formulées de la même façon dans l’open space celles-ci ne seraient pas forcément choquantes, mais à distance, au milieu d’un flux ininterrompu de mails, messages et un enchaînement de réunions à distance ce manque de forme peut lasser, frustrer, voire énerver. « Cette infobésité nous fait tous mal à la tête », acquiesce David Mahé, le président de Human &work, dont les 200 salariés accompagnent les entreprises pour développer un modèle plus inclusif. Depuis le début de la crise le nombre de mails envoyés a explosé. Selon une étude de Statista, plus de 306,4 milliards de courriers électroniques sont envoyés chaque jour dans le monde, dont 1,4 milliard en France. « La communication à distance rajoute de la charge mentale car on perd la communication informelle qui permet de prendre du recul. On perd en feedbacks, et on ne pense même plus à souffler entre deux tâches », remarque-t-il. On passe de la boîte mail à la visio, des SMS au téléphone… et on recommence ! David Mahé donne un premier conseil : « Segmenter ses journées entre les temps où l’on communique, ceux où l’on est en réunion, et ceux pendant lesquels l’on doit se concentrer sur des dossiers. Cela permet d’inviter les salariés à être intensément présents dans leur tâche, au présent », encourage-t-il. D’autant que l’on reste concentré moins longtemps derrière son écran. En moyenne 20 minutes, selon les études.

La caméra ou l’omelette.

Concrètement ? On regarde ses messageries électroniques (y compris instantanée) en arrivant au bureau, puis à 11 h, à 14 h après la pause déjeuner et en fin de journée avant de repartir. Et non à longueur de journée. « Ce sont des techniques utilisées par les indépendants depuis longtemps que les entreprises doivent importer », propose David Mahé. Bien sûr, il faudra alors remonter le fil de la conversation instantanée, et un de vos collègues aura peut-être déjà répondu au mail avant vous… Ce n’est pas un drame. Dans le cas inverse, vous arriverez avec des informations plus complètes et plus précises qu’en répondant du tac au tac. De manière plus policée aussi… « On a tous déjà écrit un mail sous le coup de la colère que l’on a ensuite édulcoré avant de l’envoyer », souligne Jérôme Chemin, qui a rédigé un guide de la bonne communication à distance pour la CFDT. « Depuis deux ans on a complètement oublié ce b.a.-ba. La temporalité de l’instantané pose problème », répète-il.

« Les écrits restent et sont donc plus embêtants qu’un coup de sang à l’oral. Ils peuvent être utilisés dans le cadre d’un licenciement », met-il aussi en garde. D’où l’importance d’apprendre à gérer l’asynchrone et de trouver le mode de communication adapté selon le sujet, le collègue, ou le moment. Ancienne RRH devenue coach de dirigeants, managers et salariés (cabinet Discerneo), Anne Bléhaut regrette les difficultés pour détecter le non-verbal, le paraverbal ou les mimiques lors de conversations à distance, y compris en vidéo. « Les échanges sont beaucoup plus froids lorsque l’on se parle par écrans interposés. Parfois la personne en face ne met même pas sa caméra ce qui fait que l’on ne voit plus que ses initiales. C’est alors beaucoup plus dur de décoder ses informations », regrette-t-elle. « Plus la communication est embrouillée, plus il y a d’incompréhensions », poursuit-elle. « Avant en réunion, les gens ne sortaient pas de la salle pour rejoindre une autre réunion. Maintenant, on reçoit un message en disant, désolé, j’ai un autre meeting. Et la personne se déconnecte ! » constate-t-elle. « C’est hyper-violent pour l’ego. On se sent moins intéressant, et si j’extrapole, on peut aussi faire ça pour aller faire une omelette à ses enfants ! », grince-t-elle. Ce que nombre de télétravailleurs ont déjà fait pour aller réceptionner un colis… Quelles réponses apporter alors que le travail hybride tend à devenir une nouvelle norme ? Comment gérer cette communication à distance, dans des organisations de plus en plus éclatées au quotidien ? L’organisme de formation Unow s’est penché sur le sujet et propose depuis janvier quatre nouvelles formations pour répondre à cette « transformation de la communication » (Communiquer efficacement à l’écrit comme à l’oral, L’art de la synthèse à l’écrit comme à l’oral, Améliorer ses écrits professionnels et Argumenter pour convaincre). « À distance, la question de l’écrit se pose davantage », souligne ainsi Gaëlle Féchant, la directrice offres et formations d’Unow. « Soigner son orthographe, faire court, simple, ne pas jargonner… ce sont des savoirs qu’il va falloir développer en entreprise », anticipe-t-elle. Pour elle, la « grammaire positive de l’expression » devrait aussi prendre de l’essor. « Par exemple, quand dans un mail, on dit : « Je ne pourrai pas vous donner ma réponse avant jeudi », la personne retient « pas » », explique-t-elle. La grammaire positive inviterait à formuler : « Je vous donnerai ma réponse jeudi », pour insister sur le jour, non sur la négation. Un conseil tout simple serait aussi de privilégier le téléphone, dès lors qu’un e-mail génère plus de trois réponses.

Inclusion et déclusion.

Au rang des techniques encouragées pour une meilleure communication à distance, Anne Bléhaut appuie sur l’importance des temps d’inclusion et de déclusion, c’est-à-dire « d’humanité » en début ou fin de conversation. Comme toute équipe le fait naturellement quand elle se retrouve « en vrai ». Trinquer avec un mug, parler de météo, demander comment s’est passé le weekend… Autant de conservations « bateaux » que la plupart des gens oublient à distance. « J’encourage les managers à insister sur ces moments pour garder les gens motivés et les faire se sentir importants en tant que personnes et pas juste comme des pastilles dans un meeting », schématise-t-elle. De nouvelles propositions de coaching pour remettre de l’informel dans des événements à distance sont apparues ces derniers mois.

« On observe une banalisation de la communication à distance, avec ses avantages et ses inconvénients. Les échanges ne sont plus les mêmes et il faut les interroger », pousse Amandine Mathivet, sociologue du travail spécialiste du télétravail. « Ce n’est pas la même chose d’échanger physiquement ou en visioconférence, et il faut revenir à une communication normale », encourage-t-elle, regrettant que « les gens s’autorisent à distance des choses qu’ils ne feraient pas en physique. On perd en qualité des échanges. Ce qui est terrible c’est que les gens s’y habituent », déplore-t-elle. La sociologue souligne aussi le rapport particulier que la visioconférence instaure alors que le locuteur « se voit » sur son propre écran. Un élément perturbateur avec lequel il faut apprendre à composer. Ou à se détacher.

De la même façon, chacun doit réapprendre, comme il le fait au bureau, à s’adapter davantage à chacun de ses collègues. Avec certains on se permet un échange très informel à la machine à café pour traiter d’un dossier, mais pas avec tous. À distance, il faut aussi réinterroger les pratiques pour choisir le mail, le tchat, le téléphone ou l’organisation d’une rencontre physique, en fonction de la personne avec qui l’on travaille. « Dans une relation il y a trois entités : la personne A, la personne B, et la relation entre A et B », insiste Anne Bléhaut. « La relation s’est perdue. Elle est pourtant fondamentale », reprend-elle. L’attention à cette relation permet en effet de limiter les incompréhensions et interprétations si l’une des personnes est moins à l’aise avec l’outil.

L’interprétation est l’un des grands dangers de la communication à distance. « Appeler quelqu’un pour lui demander de nous rendre un rapport demain ou envoyer un mail, avec le supérieur en copie pour demander ce même rapport, ne sera pas perçu de la même façon », cite en exemple Jérôme Chemin. « Certains collaborateurs ont aussi peur de la copie cachée », relève-t-il. « Transmettre une émotion, une nuance, faire preuve d’empathie est plus difficile à distance », regrette quant à lui David Mahé qui encourage les entreprises ou collectifs à rédiger des règles de bonnes pratiques sur l’usage des outils de communication à distance. « On pense tous à Zoom ou Teams mais il y a énormément de nouveaux outils qui permettent que l’information soit davantage disponible et mieux lisible, ou qui permettent de travailler hors ligne pour communiquer plus efficacement le reste du temps », encourage-t-il. Pour lui, les entreprises doivent aussi travailler le nouveau rôle du manager. « Il doit devenir un animateur, en charge de la cohésion d’équipe, et lâcher prise sur le contrôle », analyse David Mahé. « Cette confiance accordée changera la nature des échanges et peut permettre de les diminuer car le collaborateur ne sentira pas le besoin de justifier ce qu’il fait », défend-il. Une réflexion cruciale pour limiter le mal de tête, et augmenter encore l’efficacité et le bien-être des collaborateurs à distance.

Auteur

  • Lucie Tanneau