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Décodages

FO cherche son chef… et l’unité

Décodages | Syndicat | publié le : 01.05.2022 | Maxime François

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FO cherche son chef… et l’unité

Crédit photo Maxime François

 

Règlements de compte et petits arrangements à tous les étages chez Force ouvrière (FO). Le puissant courant trotskiste est à la manœuvre pour prendre la tête de la troisième centrale syndicale française. À un mois du 25e congrès, prévu du 29 mai au 4 juin à Rouen, le remue-ménage est grand dans l’organisation qui doit désigner le nouveau patron pour les quatre ans à venir. Et les courants d’opinions, très disparates, se déchirent.

En décidant de raccrocher les gants avant un second mandat, Yves Veyrier le numéro 1 de FO – 64 ans au mois de mai, ex-ingénieur à Météo France et longtemps proche de Blondel – ouvre une période de flottement et… de discussions animées tant la surprise provoquée par son départ a été grande pour nombre d’observateurs de la sphère sociale. « Il m’a confié qu’il partait car les rapports de force étaient très compliqués à gérer chez lui », relate un cadre du patronat. Le hic, pour le syndicat ? La transition n’a pas été préparée de longue date par les différents courants qui le composent. L’ambiance est tendue, car si Yves Veyrier assure au contraire que sa décision est « définitivement arrêtée », qu’il « a pesé le pour et le contre », et laissé « la confédération en situation de se rassembler » avant un « congrès serein », deux réunions en petit comité, organisées à l’abri des regards en début d’année, ont, semble-t-il, précipité sa décision de départ. Un échange où étaient notamment présents les hommes de poids de l’appareil : le métallo Frédéric Homez, le trotskiste Hubert Raguin, et le secrétaire confédéral, Frédéric, « Fred », Souillot, actuel favori pour le poste de chef, issu de la Fédération de la métallurgie – considérée comme réformiste et allié pour l’occasion avec des trotskistes bien implantés dans la fonction publique.

D’autres candidats sur la ligne de départ ? Officiellement non, mais le nom du secrétaire général de la Fédération générale des fonctionnaires, Christian Grolier, proche des trotskistes, soutenu par des dissidents du Parti ouvrier internationaliste (POI), circule dans les couloirs du 141, avenue du Maine, ce dernier ayant fait part de sa « disponibilité » dans un mail à tous les numéros 1 des fédérations et des unions départementales qui composent le comité confédéral national (CCN), le « parlement » de la centrale. « Fort de mon expérience et de ma connaissance des dossiers, des médias et des pouvoirs publics, et fort des voix que beaucoup d’entre vous avaient déjà portées sur ma candidature en 2018, je me remets à nouveau à la disposition de notre organisation dans le cadre du renouvellement du mandat de secrétaire général de la Confédération générale du travail Force ouvrière », écrit Christian Grolier dans un texte révélé par nos confrères des « Échos ». Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que ce dernier serait candidat à la direction du syndicat. Il y a trois ans et demi, Yves Veyrier lui avait été préféré d’une courte majorité par le CCN, à l’issue de l’élection qui suivait la démission fracassante de Pascal Pavageau à la suite de la révélation, dans « Le Canard Enchaîné », de la tenue par son équipe de fichiers aux commentaires peu amènes envers des dirigeants du syndicat.

Combat d’appareil serré

Et maintenant, quels sont les pronostics ? « Le combat d’appareil est serré entre les différents courants, et les coups de billard sont à douze bandes », expliquent plusieurs cadres de l’appareil, qui tiennent à conserver leur anonymat pour éviter toute chasse aux sorcières. Un ancien conseiller social de la présidence de la république, fin connaisseur des arcanes de FO, estime, également « mezzo voce », que « Frédéric Souillot tient la corde à 60 % mais que la situation est très tendue car la centrale ne se porte pas bien ». Il poursuit : « Il a une base, et un socle acquis lorsqu’il était dans les différentes équipes des secrétaires généraux, et de Jean-Claude Mailly notamment. Pour autant, les dés ne sont pas jetés » Car il existe un bémol, de taille : « Le Parti ouvrier indépendant, dont les militants forment l’essentiel de la tendance trotskiste de FO, et qui réunit environ 10 % des mandats confédéraux, est partagé sur les deux candidatures. » Bref, les tendances se divisent.

Sur le terrain, c’est aussi le grand flou. « On a peur d’y laisser des plumes si ça part en cacahouètes comme en 2018, craint un délégué FO de Moselle. Mais on nous dit de ne pas nous inquiéter. Souillot, Grolier et le conseil national se sont réunis il y a quelques semaines, relate-t-il. Ils se seraient mis d’accord pour faire une liste commune et éviter le bordel. » Il croit le savoir : « De toute façon, il y aurait quand même une majorité pour Fred Souillot. » De son côté, le sociologue, chargé de recherche au CNRS et spécialiste du syndicat Karel Yon, observe « une coalition fragile à l’intérieur de la confédération, car Yves Veyrier était un candidat par défaut qui faisait consensus puisqu’il s’inscrivait dans la continuité du bureau confédéral. À condition de ne pas faire bouger les lignes. » Aujourd’hui, l’universitaire se dit surpris de revoir quelques anciens s’inviter dans le débat pour « jeter de l’huile sur le feu ». À commencer par Pascal Pavageau lui-même, ce dernier ayant publié une interview très critique sur le fonctionnement interne du syndicat dans le numéro de mars des « Amis de FO », une publication confidentielle proche des anarchistes, ressuscitée depuis peu et dans laquelle les « trostkos » avaient déjà dézingué Yves Veyrier. Dans celle-ci, l’ancien secrétaire général offre une grille de lecture sur la violence des débats internes au sujet de cette candidature. « S’il n’est pas vraiment porté par des courants importants, Pascal Pavageau veut secouer le cocotier », analyse Karel Yon. Et effectivement, l’ancien patron de FO porte sa sulfateuse en bandoulière. Sur Twitter et Facebook, celui-ci ne mâche pas ses mots à propos du départ d’Yves Veyrier, évoquant une décision prise sous la contrainte des « trotskistes et [de] la métallurgie » pour laisser perdurer « des pratiques financières problématiques. » Contacté, Pascal Pavageau confirme : Yves Veyrier, « est un « type intègre » qui a subi « des pressions » pour lui ôter toute envie de mettre de l’ordre dans les comptes. « Ils ont refait le même coup que celui qu’ils m’ont fait en 2018, mais de manière plus diplomatique », martèle-t-il, rappelant au passage qu’il souhaitait lui aussi qu’« un audit financier soit effectué par un prestataire indépendant en 2017 »… Juste avant la sortie des fameux fichiers.

Enjeux de ressources

Quid de la candidature de Frédéric Souillot ? « Je m’y étais opposé : cette personne n’a que deux compétences : tirer des balles dans le dos et distribuer les enveloppes. » Mais il possède un avantage de taille, concède Pavageau : la guerre qui se déroule actuellement au sein du POI. « Je ne serais pas étonné que Patrick Herbert, ancien secrétaire de l’union départementale de Loire-Atlantique – le fief historique du Parti ouvrier indépendant – lâche Christian Grolier en rase campagne pendant le congrès pour montrer à Hubert Raguin qui est le chef car ce dernier s’est acoquiné avec le porte-parole du courant réformiste des fédérations du privé porté par Fédéric Homez. Grolier serait alors obligé de retirer sa candidature. » L’affaire serait une première puisque la centrale n’a jamais eu à sa tête un membre issu de la fédération de la métallurgie, donc classé parmi les réformistes. Ambiance… « Cette situation, comme hier les crises Pavageau ou Lepaon à la CGT, reflète à quel point les questions de successions sont surdéterminées par des enjeux de ressources, d’autant que le fromage ne grossit plus depuis les ordonnances Macron », explique Karel Yon. Pour cet observateur des mouvements internes du syndicat, « il existe un statu quo dans la redistribution des ressources en interne et les candidats sont évalués à l’aune de leur capacité à le maintenir ». Et dans ce contexte, Frédéric Souillot bénéficie d’un double avantage, « il est secrétaire à l’organisation, ce qui est un rôle important car c’est lui qui circule le plus dans la centrale. Et comme l’élection dépend des responsables à la tête des structures, ça lui offre un bonus certain, comme André Bergeron en son temps ». Entre 2018 et 2019, Frédéric Souillot était également représentant de FO à l’Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN), la tirelire du paritarisme. Un poste hautement stratégique.

Quoi qu’il se passe le 29 mai, pour FO, comme la pour qualité du dialogue social, se doter d’un chef qui fasse consensus est d’autant plus important que de nombreuses réformes de premier plan sont annoncées par les deux derniers candidats à l’Elysée. Une mission à haut risque, comme à chaque nouvelle présidence de la République, pour le futur patron du syndicat, dont la rentrée sera à coup sûr musclée, ne serait-ce que sur le dossier explosif de la réforme annoncée des retraites.

Frédéric Souillot

Réformiste et venu de la métallurgie, Frédéric Souillot est secrétaire confédéral à l’organisation et aux affaires juridiques de FO. Proche de Jean-Claude Mailly, il avait conservé son poste lors de la période Pavageau mais s’était vu placé sous haute surveillance.

Christian Grolier

Patron de la Fédération des fonctionnaires, cet ancien inspecteur du permis de conduire avait déjà été candidat à la direction de FO en 2018 où il avait perdu avec un retard de 150 voix sur Yves Veyrier. Il bénéficie du soutien d’une partie des trotskistes de la centrale.

Auteur

  • Maxime François