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CFDT : comment le premier syndicat de France espère-t-il encore peser ?

Décodages | Organisation syndicale | publié le : 01.05.2022 | Judith Chetrit

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CFDT : comment le premier syndicat de France espère-t-il encore peser ?

Crédit photo Bruno Lévy

 

Alors que le congrès de Lyon (13 au 17 juin 2022) sera celui où Laurent Berger briguera son dernier mandat et préparera sa succession, la CFDT entend également en faire la vitrine de sa mobilisation pour booster le nombre d’adhérents et affiner ses revendications sur le travail et les moyens du dialogue social.

En 2018, la petite musique qui agitait le précédent congrès de Rennes était, pour la CFDT, celle de la victoire et des ovations, celle d’un syndicat ayant pour la première fois en un siècle dépassé la CGT dans le secteur privé et déjà dans les esprits, l’ambition de confirmer ce score dans la fonction publique. Même pour un syndicat qui prône plutôt la mesure et le triomphe discret dans un environnement de défiance générale envers les organisations syndicales, il aurait été dommage de ne pas s’en saisir pour marquer le moment d’une pierre orange.

Influencer plutôt que négocier.

Quatre ans plus tard, que célébrer face à des élus qui se disent globalement fatigués et inquiets ? « Une première place assurée et assumée », glisse Frédéric Sève, secrétaire national. « Près de 2 500 amendements à l’avant-projet de résolution ont été déposés par les membres de la confédération », se réjouit-il d’ailleurs en bon co-rapporteur de l’équivalent de cette feuille de route qui sera votée à l’issue de la semaine de débats. Au programme du 50e congrès confédéral, qui se déroulera à la mi-juin à Lyon, plusieurs milliers de militants et militantes feront le bilan de leurs actions locales, voteront le rapport d’activité et délibéreront du contenu du projet de la résolution couvrant le programme de travail du syndicat réformiste jusqu’à 2026. Partage de la valeur ajoutée, progression salariale, conditionnalité des aides publiques, espaces plus importants de dialogue sur le travail … Un déroulé habituel mené par le numéro 1 de la centrale, Laurent Berger, qui devrait, sans surprise, être reconduit pour un quatrième mandat avec un probable successeur avant son terme.

Pourtant, en coulisses, l’état-major cédétiste insiste sur le contexte qui préfigure et colorera forcément ce congrès : une crise sanitaire aux multiples conséquences économiques et sociales qui a déjà transformé un bout de la vie syndicale, une crise climatique et de nouveaux alliés pour y faire face ainsi qu’une élection présidentielle qui a conduit le syndicat à réaffirmer ses convictions contre l’extrême-droite. Sans omettre les discours plutôt désabusés sur l’impact des dernières réformes du dialogue social. Sur chacun de ces sujets, il sera question d’influence, un terme souvent éclipsé du vocabulaire syndical, plus prompt à mettre en avant la négociation, avec les pouvoirs publics comme au sein des entreprises.

Et qui dit influence, dit preuves et mesures de cette influence. Un enjeu déjà interne qui dépasse le niveau de suffrages obtenus aux élections : depuis plusieurs années, le syndicat certifie le comptage de ses adhérents, qui est rendu public. Au dernier congrès, c’est même devenu une base de discussion pour quantifier pour la première fois un objectif chiffré de syndicalisation à 10 %, dont Laurent Berger a même fait un argument légitimant sa candidature à un nouveau mandat, la crise sanitaire ayant nui, explique-t-il au Monde, au recrutement de nouveaux adhérents. Résultat, la centrale comptabilise 10 000 membres de moins par rapport aux plus de 621 000 recensés à jour de cotisations. Dans l’avant-projet du congrès de 2022, il n’est plus question d’assigner dès maintenant une telle performance générale aux sections, aux fédérations et aux unions départementales et régionales, mais plutôt de définir des objectifs locaux et de renforcer l’appui aux militants, notamment dans l’offre de services auprès des jeunes et des cadres intermédiaires grâce à un espace en ligne intitulé « Accompagnement Ressources Conseil ». « L’objectif de progression des adhésions reste une priorité de l’organisation. C’est un enjeu politique qui renforce notre légitimité à agir et notre capacité d’influence. C’est aussi un enjeu démocratique qui nous protège du danger de l’entre-soi militant », peut-on y lire. « Même si elle se stabilise sur la dernière décennie, la lutte contre l’effritement de l’adhésion syndicale reste un axe classique de congrès. Localement, un suivi des adhérents s’appuie sur une base de données avec le développement plus important d’outils gestionnaires », détaille Maxime Lescurieux, auteur d’une thèse sur les inégalités de carrières militantes à la CFDT entre les femmes et les hommes.

Cette crainte résonne également avec les avertissements récurrents de Laurent Berger sur l’affaiblissement et la perte de considération des syndicats dans la société. Encore mi-mars lors d’une conférence organisée par le cabinet Syndex sur les enjeux du dialogue social dans les cinq prochaines années, celui-ci alertait sur un syndicalisme français qui « souffre de sa faiblesse et de son éparpillement ». Il est, bien entendu, question de la réforme de la représentativité de 2008, mais aussi de la perte du nombre de mandats dans les CSE. Hasard du calendrier : ses mots étaient prononcés au moment où Emmanuel Macron présentait son programme de campagne pour sa réélection, dans lequel, au titre du dialogue social, figure l’ambition de « poursuivre la modernisation du Code du travail engagée avec les ordonnances de 2017 ». Réactivité du secrétaire général, alerté par SMS : « Il faut investir dans le dialogue social. Si on laisse les choses en l’état, on va au-devant de graves difficultés. »

Refuser le rôle de figurant.

La remarque porte certes sur les moyens des élus du CSE, mais elle pourrait tout autant fonctionner pour donner le ton sur le rapport de force à l’aube d’un nouveau quinquennat. Hormis les deux accords interprofessionnels sur le télétravail et la santé au travail qui, avec l’agenda social autonome, ont remis de l’huile dans les rouages desséchés du dialogue patronat-syndicats (voir page 26), le scénario est plutôt tourmenté avec un État qui veut refaire le casting du paritarisme. Car, autre cocasserie de timing, une semaine plus tôt : l’audition des candidats à la présidentielle et de leurs représentants sur le volet social par la CFDT avait été largement éclipsée par la fuite du souhait présidentiel de porter progressivement à 65 ans l’âge légal de départ à la retraite en cas de réélection. Le revoici, le casus belli qui concentre en une séquence toutes les critiques sur le rapport tendu entre l’Élysée et les corps intermédiaires, les seconds accusant le premier de faire peu de cas de la concertation et la négociation au profit d’une suite de consultations inabouties. Comme, justement, sur le projet de réforme des retraites de 2019, provisoirement mis de côté pour cause de pandémie. Si le syndicat avait pourtant été initialement favorable à l’intronisation d’un régime à points, il n’avait pas hésité à passer du côté de la contestation, refusant de jouer le rôle de figurant dans une réforme déjà ficelée et jugée injuste. La promesse d’une revalorisation de la pension minimale à 1 100 euros pour une carrière pleine ou la prise en compte de spécificités comme la pénibilité du travail ou des carrières longues ne font guère office de compensation.

S’allier pour se renforcer.

« Le fait d’être le premier syndicat nous pose en premier interlocuteur à prendre en compte. Mais encore faut-il savoir ce que signifie interlocuteur ou ce qui se joue derrière le fait d’en tenir compte », commente Frédéric Sève, négociateur sur les retraites encore échaudé. Toute « réforme porteuse d’injustice sociale », la CFDT sera « prête à la contrer », dixit Laurent Berger dans une allocution qui avait clôturé cette demi-journée. « Le congrès servira aussi à avoir plus de précisions sur ce que la CFDT continuera de défendre », jauge Cyril Chabanier, président de l’alliée CFTC, qui assistera à une partie de la grand-messe cédétiste, et soucieux pour sa part d’un début de négociations qui commencerait sur une base pré-consentie. Encore plus que la réforme peu appréciée de l’assurance-chômage, « c’est devenu un point de cristallisation », avance Frank Georgi, historien spécialiste du syndicalisme et des mouvements sociaux à l’université d’Évry Paris-Saclay. Mais il ne faut pas y voir un point d’inflexion de la ligne du syndicat, souligne-t-il, car les positions récentes de la centrale « s’inscrivent dans la continuité » de la stratégie d’action des dernières années. Par ailleurs, d’après une étude auprès de sympathisants (et non d’adhérents) de la CFDT à l’issue du premier tour de la présidentielle 2022, cette annonce de réforme n’a pas provoqué une chute nette de votes en faveur de Macron qui resterait en tête du choix des urnes pour ces derniers (44 % contre 48 % il y a cinq ans). Tempérance et prudence pour Philippe Portier, secrétaire national : « Les relations avec l’État sont ce qu’elles sont, variables. Pour être depuis longtemps dans le syndicalisme, on fait avec quoi qu’il en soit ». Un « syndicalisme de partenariat social sans partenaire », résume plus caustiquement l’historien Stéphane Sirot.

Pour peser autrement et parallèlement dans le débat public, la CFDT a fait le choix de s’ouvrir et de s’allier à d’autres acteurs de la société civile pour faire face à l’urgence écologique et sociale dans le cadre du Pacte du pouvoir de vivre, signé à partir de 2019 par une soixantaine d’organisations issues du monde associatif comme la Fondation Nicolas Hulot et le Secours Catholique*. Par cette alliance qui se déploie sur le terrain au travers de groupes locaux inter-militants, « la CFDT marque encore son envie de contribuer à la transformation sociale et son refus de laisser aux politiques le monopole des questions sociales et sociétales », juge Frank Georgi. Bien qu’il fasse partie en un sens de l’ADN de l’organisation dans ses luttes plus radicales des années 1970, ce virage est loin d’être anodin au regard de l’investissement de la centrale dans la co-élaboration et la défense dans les médias de 90 propositions dans le cadre de la campagne présidentielle. « Ce n’est pas tant l’élargissement des sujets de discussion car la CFDT avait déjà parlé d’environnement, de précarité et de logement mais le fait de devoir s’associer à d’autres moteurs pour renforcer ses positions et les rendre plus audibles », considère Stéphane Sirot. C’est également dans la publicité de ce type d’initiative en dehors du cadre syndical de l’entreprise que la CFDT espère capitaliser sur la « volonté d’engagement » de futurs militants. « Le prochain saut qualitatif est de mobiliser dessus les sections d’entreprise. Lors du congrès, les résultats d’une vaste enquête sur l’engagement seront également présentés. C’est à nous, syndicat, de mieux savoir en capter les facteurs pour retrouver et amplifier une dynamique », espère Frédéric Sève. Dans un pays où pourtant la critique sociale et les mouvements sociaux s’enchaînent depuis 2016, le syndicalisme cherche encore sa place entre corps intermédiaire et contre-pouvoir.

* En revanche, l’Unsa et la CFTC, signataires du Pacte, s’en sont discrètement écartées estimant certaines de ses mesures trop éloignées du combat syndical.

Auteur

  • Judith Chetrit