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Quelle réforme des Ehpad après les scandales ?

Idées | Débat | publié le : 01.04.2022 |

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Quelle réforme des Ehpad après les scandales ?

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Seniors mal nourris, budgets serrés au maximum sans souci du bien-être des résidents, personnel soignant en souffrance, syndicat créé de toutes pièces par la direction pour geler la contestation des salariés… Le livre « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet a levé un coin du voile du fonctionnement des Ehpad gérés par le groupe Orpéa. L’autre géant français du secteur, Korian, avait déjà été épinglé par la presse pour des pratiques semblables. Et dans le même temps, la France vieillit. En 2030, le grand âge sera une réalité pour 12 % des habitants. De quoi poser la question :

Malika Belarbi Représentante du collectif CGT Santé

Comment imaginer une réforme ambitieuse pour les Ehpad ? À ce jour, nous en sommes encore loin des attentes de nos résidents et des soignants. Selon les prévisions de l’Insee, la France comptera prochainement plus de 12 % de personnes âgées en 2030. Mais comment s’investir pleinement dans cette réflexion alors que les conditions ne sont pas réunies actuellement pour accompagner dignement nos résidents. En 2018, le président de la République avait promis une loi « grand âge » pour relever ce défi, mais elle a été abandonnée pour quelques mesurettes loin de répondre aux attentes minimales… La crise sanitaire a mis en lumière la défaillance de la prise en charge des résidents et la dégradation des conditions de travail des salariés. Plusieurs rapports parlementaires ont fait le même constat sur la sinistralité du secteur. Depuis, la sortie du livre « Les Fossoyeurs » et les révélations récentes sur les stratégies de Korian, toutes les parties prenantes sont en état de choc. On ne le répétera jamais assez : un Ehpad marchand ne doit pas penser qu’en matière de profit. Il doit, au contraire, fournir davantage de qualité d’accompagnement et de soins à nos aînés et des conditions de travail attractives pour un personnel qualifié et épanoui. De même, le manque d’effectifs ne trouve pas toujours de solution efficiente à un moment où le ratio est situé entre 0,2 à 0,4 soignant par résident. Tous les acteurs s’accordent sur la nécessité d’une action collective. Il faut une vraie réforme, la création de 200 000 emplois, la revalorisation des salariés et la qualification pour relancer l’attractivité du métier. Comment réussir ? Par la mise en place d’un service public d’accompagnement des personnes en perte d’autonomie avec une prise en charge par la branche maladie de la Sécurité sociale financée par les cotisations sociales et non par l’impôt.

Frédéric Fischbach Secrétaire général CFTC Santé-Sociaux

Le scandale des Ehpad éclate enfin ! Depuis plusieurs années, les personnels et les représentants CFTC tiraient la sonnette d’alarme. Le projet médico-social d’origine des Ehpad s’est vu percuté par le changement de la population hébergée qui arrive de plus en plus tard avec des pathologies plus importantes. L’affaire Orpéa a mis en lumière le modèle économique intenable des Ehpad commerciaux, mais ne nous trompons pas, le problème touche tous les secteurs de la prise en charge du grand âge.

Le contexte de vieillissement de la population nécessite d’opérer un changement majeur dans la prise en charge de la perte d’autonomie et de lui consacrer des moyens supplémentaires. La CFTC demande la rénovation immédiate des Ehpad, l’augmentation du nombre de soignants par résident, et l’amélioration des rémunérations et des conditions de travail. Nous estimons aussi que la formation régulière des professionnels aux spécificités du grand âge est un axe majeur d’amélioration de la prise en charge de nos aînés.

Le renforcement des contrôles s’avère utile, mais ne réglera pas pour autant tous les dysfonctionnements subis par le personnel ni par les personnes accueillies. Il faut confier à la CNSA un rôle d’homologation des labels qualité. Leur homologation reposerait sur un cahier des charges défini à travers un référentiel national, et ce, quelle que soit la nature de la structure. Il est nécessaire de renforcer nos exigences concernant « les prestations socles minimales ». Lorsqu’elles sont appliquées, les prestations en matière d’hébergement d’accueil hôtelier, de restauration et surtout d’animation et de vie sociale sont trop basses et ne garantissent pas un cadre de vie digne.

Toutes ces mesures impliquent de trouver de nouvelles sources de financement pérennes pour la cinquième branche de Sécurité sociale et de généraliser une couverture complémentaire dépendance.

Agnès Firmin Le Bodo Députée Horizons de Seine-Maritime

Nous avons besoin d’une réforme du grand âge qui dépasse le seul enjeu de la gestion des Ehpad. L’humain doit être remis au cœur des préoccupations. Et il faut également déterminer de quoi l’on parle. À force de ne plus faire de distinction entre l’Ehpad-hôpital et l’Ehpad-domicile, plus personne n’est capable de définir exactement ce qu’est ce type d’établissement. Il faut clarifier ce qu’est un Ehpad et même en changer le nom. Selon moi, le vieillissement au domicile doit être privilégié et, lorsque la résidence en établissement médicalisé devient obligatoire, les proches doivent plus facilement y avoir accès. Bref, il faut rendre le domicile et l’établissement de santé plus perméables l’un à l’autre. L’Ehpad doit devenir un lieu de vie et plus seulement de fin de vie.

Seulement, une fois cela dit, comment le concrétiser ? La question de l’augmentation des moyens généraux du système de santé est bien sûr à réfléchir, mais il ne faut pas s’interdire non plus d’imaginer des solutions du quotidien, comme la possibilité pour les infirmiers intervenant en Ehpad de se déplacer au domicile des patients, par exemple, ou de faciliter l’accès des résidents aux professionnels de santé spécialisés comme les ophtalmologistes. Évidemment, rien ne se fera si les moyens nécessaires ne sont pas accordés à la prise en charge de la dépendance et de l’anticipation de la perte d’autonomie. Et cette ambition doit passer par une réflexion nationale sur la place du grand âge dans la société. Ce débat manque énormément en France. Le « bien vieillir » s’anticipe et cette question doit être abordée sous tous les angles : santé, bien sûr, mais aussi logement, vie sociale, adaptation de l’emploi des aidants, etc. Aujourd’hui, l’Ehpad est souvent une solution par défaut pour les familles. Le prochain quinquennat doit être celui d’une grande loi sur le vieillissement. Il y a urgence.

Ce qu’il faut retenir

//Annoncée en début de quinquennat, la grande réforme du grand âge n’a jamais été engagée, remplacée dans le PLFSS 2022 par une série de mesures en faveur du vieillissement : instauration d’un tarif plancher pour les services d’aide à domicile, revalorisation des rémunérations de 13 à 15 % dans la branche de l’aide à domicile, création de 10 000 postes dans les Ehpad d’ici à 2025. Au total, 400 millions d’euros seront débloqués pour aider un secteur qui a particulièrement souffert pendant la crise Covid et qui risque de souffrir encore davantage à l’avenir, compte tenu du vieillissement croissant de la population.

//Pointées du doigt pour leur mauvais traitement des résidents, les deux groupes gestionnaires d’établissements médicalisés pour personnes âgées Korian et Orpéa ont décidé de se transformer en sociétés à mission afin d’afficher plus en avant leur engagement éthique. « Orpéa travaille depuis plusieurs mois sur sa raison d’être et étudie la possibilité de devenir société à mission. Son comité d’études RSE et innovation étudie actuellement les enjeux et les modalités de transformation associés », confie-t-on au sein du groupe. À quel horizon ? « Très prochainement », assure-t-on du côté de leur service RSE. À voir s’il s’agira d’un engagement sincère ou d’une action de social-washing…

En chiffres

728 000

personnes fréquentaient, en 2015, un établissement d’hébergement pour personnes âgées ou y vivaient, soit 10 % des personnes âgées de 75 ans ou plus et un tiers de celles âgées de 90 ans ou plus. (Source : Drees)

1 983

euros, c’est le tarif médian du prix mensuel d’une place dans un Ehpad public. Il est de 2 020 euros pour le privé.