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Idées

Les ravages d’Amazon

Idées | Livres | publié le : 01.04.2022 | Lydie Colders

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Les ravages d’Amazon

Crédit photo Lydie Colders

Dans cette longue enquête « sur le système Amazon », le journaliste Alec MacGillis décrit la stratégie agressive du géant de la logistique aux États-Unis, qui prospère sur le dos d’emplois pénibles.

C’est l’histoire de William Bodani, un ancien ouvrier dans l’ex-bastion industriel de Baltimore, devenu, à 69 ans, conducteur de transpalettes chez Amazon, qui doit se retenir d’uriner, faute de temps pour traverser les 4 000 mètres carrés de l’entrepôt. Au-delà de vingt minutes de pause, il risque des points de pénalité, voire un licenciement automatique avec le système de l’entreprise, qui suit les salariés à la trace. En 2015, le géant de la logistique s’est installé sur l’ancienne usine emblématique de General Motors, embauchant 3 000 personnes, avec la bénédiction des élus et de l’État, qui fit pleuvoir 43 millions de dollars d’aides pour son installation. « Bo, lui, démarra à 12 dollars de l’heure. » C’est aussi l’histoire de Philipp Lee Terry, un employé décédé d’un accident grave en 2017 dans un entrepôt de l’Indiana. L’inspection du travail aurait aidé l’entreprise « à alléger les sanctions financières » consécutives à sa condamnation. À partir de cette galerie de portraits, le journaliste américain Alec MacGillis livre une enquête littéraire, sorte de kaléidoscope géant, sur les méthodes redoutables d’Amazon. Il s’attache à montrer combien l’empire de Jeff Bezos a bouleversé le paysage du travail aux États-Unis, symbole d’inégalités profondes. Avec souvent l’assentiment des élus locaux.

Des conditions de travail désastreuses

Depuis 2012, l’entreprise a crû à une vitesse ahurissante, jusqu’à devenir le deuxième plus gros employeur privé du pays après Walmart. Elle est passée de 88 000 employés « à 750 000 employés à travers le monde, et 400 000 aux États-Unis ». Évoquant son lobbying actif (instructif), le journaliste du « New Yorker » explique comment Amazon a fini par dominer le marché du travail aux États-Unis, dans une stratégie qui ne doit rien au hasard. Encore dopé par la pandémie, le géant « embauche à tour de bras ». Mais détruit aussi la vie sociale, supprimant « 76 000 emplois par an » dans le commerce de détail outre-Atlantique. Jeff Bezos est devenu milliardaire, mais les salaires restent au plancher (15 dollars de l’heure en 2020), les conditions de travail précaires et dangereuses. Alex MacGillis en rend compte très largement : cadences (avec la robotisation, « les collecteurs du centre de distribution de Baltimore sont supposés atteindre 300 ou 400 articles par heure »), accidents mortels, manquements édifiants aux obligations de sécurité. Le turn-over très élevé chez Amazon, la main-d’œuvre saisonnière lors des pics d’activité, (les tristes « CamperForce » du groupe pour les retraités), « cette fugacité » présente un bénéfice majeur selon le journaliste : « empêcher tout effort de syndicalisation ». La solidarité, d’après une ancienne de la firme, étant aussi découragée « par l’atomisation au sein des entrepôts ». Mais entre les accidents et la pandémie, la colère monte et les tentatives pour créer un syndicat se multiplient aux États-Unis. Le syndicalisme est certes plus fort en France, mais ce livre sonne comme une alerte sur l’Amazonisation du monde.

Le système Amazon,

Alec MacGillis, Éd. du Seuil, 432 pages, 24 euros.

Auteur

  • Lydie Colders