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Idées

Les entreprises, le pouvoir d’achat, et les actionnaires

Idées | Bloc-notes | publié le : 01.04.2022 | Antoine Foucher

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Les entreprises, le pouvoir d’achat, et les actionnaires

Crédit photo Antoine Foucher

Prenons-en le pari : les NAO de 2022 ont conduit, conduisent ou conduiront à des augmentations de salaires annuelles ou pluriannuelles les plus fortes depuis la fin des années 1970. C’est que le prix du « quoi qu’il en coûte », le boomerang de la création monétaire qu’il a nécessité pour le financer, et bien sûr les effets de la guerre en Ukraine, conjuguent leurs effets pour provoquer une inflation qu’on n’avait pas connue depuis 40 ans. Tout laisse à penser que nous ne sommes qu’au début de la séquence, et qu’elle va être particulièrement compliquée pour les entreprises et leur stabilité sociale.

Car la première donnée du problème, c’est que les entreprises n’ont pas vraiment le choix : avec une inflation supérieure à 4 % sur l’année glissante de mars 2021 à mars 2022, et des prévisions d’inflation proche de 3 % pour l’année civile 2022, il est impossible, socialement, de faire comme s’il ne se passait rien. Avec un taux de chômage au plus bas depuis 40 ans, ce serait non seulement risquer un conflit social soutenu par une large partie des salariés, mais surtout s’exposer à des départs en masse de collaborateurs pour lesquels le rapport de force devient plus favorable.

À partir de là, une forme d’engrenage infernal se met en place. Car il n’y a que deux conséquences possibles à une forte hausse des salaires : la dégradation des marges ou la répercussion dans les prix de vente. La première option n’est pas durable car elle entraîne rapidement les entreprises d’un pays à la faillite : même le pouvoir socialiste de 1983 n’avait pas résisté à cette logique implacable, et à la dégradation de la balance commerciale qu’elle implique, et s’était donc résigné au tournant de la rigueur, avec pour corollaire la montée du chômage et la baisse du pouvoir d’achat des salariés. Rien ne permet d’exclure une telle séquence dans les années qui viennent. La deuxième option n’est pas moins redoutable : elle déclenche une boucle prix-salaires qui s’auto-alimente, et dont on ne peut sortir que par un relèvement important des taux d’intérêt, qui ne pourront que se traduire, là aussi, que par une baisse du pouvoir d’achat. C’est l’option la plus probable à ce stade.

On l’aura compris, ce que tout le monde pressent en « off », mais que personne ou presque n’ose dire en « on », c’est que la séquence dans laquelle nous entrons se finira, de façon non pas probable, mais certaine, par une baisse du niveau de vie d’une majorité de salariés. La création monétaire qui a financé le « quoi qu’il en coûte » ne pouvait pas faire autre chose que d’alimenter une bulle d’actifs financiers et immobiliers qui aggrave les inégalités non pas de revenu, mais de patrimoine, et donc les inégalités intergénérationnelles. De même, la guerre en Ukraine n’est pas, du point de vue énergétique, un événement conjoncturel, mais un accélérateur d’une tendance structurelle : l’énergie va coûter toujours plus cher, parce que l’énergie non carbonée, quelles que soient les économies d’échelle, est plus chère à produire que les hydrocarbures.

C’est là qu’intervient la troisième composante de l’équation, c’est-à-dire les actionnaires. Car s’il n’est pas évident que les salariés accepteront de gaîté de cœur l’effort financier qui leur sera demandé dans les années qui viennent, il est quasiment certain qu’ils le refuseront, y compris violemment, si cet effort n’est pas partagé. Partagé avec les directions, qui devront modérer ou réduire leurs salaires pour être exemplaires, mais aussi partagé avec les actionnaires, dont les attentes en matière de ROE devront durablement évoluer à la baisse. Et qui donnera tort aux salariés sur ce point ? La sobriété pour limiter le réchauffement climatique, pourquoi pas, mais la sobriété pour conserver les marges des actionnaires, ça, c’est non.

Auteur

  • Antoine Foucher