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Equipement : la crise comme accélérateur technologique

Dossier | publié le : 01.04.2022 | Lucie Tanneau

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Equipement : la crise comme accélérateur technologique

Crédit photo Lucie Tanneau

En deux ans, la crise sanitaire a transformé l’organisation du travail mais aussi ses outils. Une grande majorité de salariés éligibles au télétravail disposent désormais d’ordinateurs portables et les équipes ont découvert de nouveaux logiciels, plateformes ou autres services en ligne pour collaborer à distance. Une véritable avancée technique.

Zoom, Teams, Klaxoon, Wooclap, Mural… Il y a encore deux ans, ces services étaient inconnus du grand public. Désormais, ils font partie des outils de travail au même titre que le téléphone et la boîte mail, même s’il manque encore aujourd’hui d’études concrètes pour savoir vraiment dans quelle mesure les entreprises se sont équipées pour continuer à travailler pendant la crise et permettre le travail hybride. Les anecdotes de salariés ayant récupéré la tour et l’ordinateur de bureau pour s’installer à domicile semblent relever de l’histoire ancienne. « Avec la Covid, toutes les entreprises se sont rendu compte que travailler au bureau avec un ordinateur fixe n’était plus tenable, ce qu’elles avaient déjà commencé à entrevoir avec la grève des transports (fin 2019, NDLR) », constate sur le terrain Vianney Goater, cofondateur de Deskare, une toute nouvelle plateforme de gestion du travail hybride en entreprise. Une fois ces achats en gros d’ordinateurs, de doubles écrans, de souris et de casques de visio effectués, beaucoup se sont rendu compte du temps perdu à cause de problèmes d’usage de logiciels utilisés pour autre chose que leur objet initial. « Beaucoup d’équipes ont utilisé Excel pour les agendas partagés… en perdant un temps fou à créer des colonnes pour les collaborateurs, les semaines… », constate le patron qui a construit sa solution grâce aux retours d’expérience de dizaine de DRH afin de répondre à deux problèmes principaux : la présence des équipes et l’occupation des espaces. Le système, qui permet aussi de déclarer ses jours de congé, s’intègre à la plupart des SIRH, afin de ne pas générer de frustration (si les informations doivent être données plusieurs fois, NDLR). « On observe que les outils essentiels de visioconférence et de communication instantanée sont entrés dans l’usage, surtout dans les scale-up et start-up qui les utilisaient déjà. Dans les PME, Teams s’est imposé », remarque le jeune entrepreneur, qui a levé 1,2 million d’euros l’an dernier. « Mais il reste du progrès à faire sur la culture de l’asynchrone : une organisation sera vraiment efficace en télétravail quand elle se sera débarrassée de la réunionite et des rendez-vous visio permanents », souligne-t-il.

De nouveaux acteurs s’engouffrent dans la brèche et les entreprises reçoivent des dizaines d’e-mails chaque jour pour leur proposer des outils pour transformer leur manière de faire. Réunion à distance avec des avatars (Spaces), nouvelle plateforme de collaboration (Akolab), team building virtuel (A7 ressources)… La difficulté va être de choisir les outils les plus adaptés à chaque entreprise et de développer leurs utilisations auprès de collaborateurs, qui, s’ils ont beaucoup progressé numériquement, commencent aussi à se lasser des gadgets inutiles.

Une appropriation des outils

La « zoom fatigue » est clairement ce qui a le plus démotivé les équipes. La sociologue du travail Amandine Mathivet met en garde contre les risques d’augmentation des troubles musculo-squelettiques à cause d’un problème d’équipement à domicile. Pour Fabrice Angeï de la CGT, « ce qui fait le plus défaut est bien l’environnement de travail ». Car les outils, seuls, ne sont pas la promesse d’une bonne qualité de vie au travail et d’une bonne efficacité. Il reste la problématique des zones blanches, qui ne permettent pas une bonne connexion dans certaines localisations les plus rurales du pays, et les syndicats reposent régulièrement la question des tiers-lieux et de l’indemnisation des salariés qui travaillent depuis chez eux. « Quand le travail hybride s’ancre, la question du mobilier devient plus importante que celle de l’informatique : certaines entreprises préfèrent payer un fauteuil pour s’assurer que le salarié ne travaillera pas en coworking, et d’autres avancent l’argument de l’assurance pour refuser à leurs salariés de travailler dans des tiers-lieux ou depuis leur maison de vacances », regrette Catherine Pinchaud, de la CFDT. Sur ces sujets, les discussions dépendront de celles au ministère du Travail et des accords d’entreprises. Au sein du groupe Apicil, l’ensemble des collaborateurs était déjà équipé d’ordinateurs portables avec Teams, avant la Covid. « Il y a eu une forte appropriation de ces outils avec l’obligation, note cependant Sylvain Martinet, le responsable du développement humain au sein du groupe de protection sociale. Maintenant on ne pourrait plus revenir en arrière, et on doit même réfléchir plus loin afin d’équiper non plus seulement les collaborateurs mais aussi l’entreprise. » Ainsi, les salles de réunion sont progressivement transformées en salles hybrides, là où auparavant tout on cherchait à trouver le jour « où tout le monde sera là pour faire la réunion ». « Pour organiser des réunions sur site, il faudra un vrai sens », anticipe-t-il. Sur son site de Poissy, PSA a aussi transformé ses open spaces en espaces collaboratifs, avec notamment de nouveaux tableaux interactifs. Le matériel permet le travail à distance et le travail à distance permet de travailler différemment (chez soi et sur site !). Une vraie boucle. « Les gens ont eu un vrai gain de compétences pour utiliser les outils à distance, mais les entreprises craignent désormais pour la sécurité de leurs données selon les conditions de connexion », relève Benoit Serre, DRH de L’Oréal France et vice-président de l’ANDRH. « Sur le matériel, on a passé le gros de la tempête, maintenant le sujet, c’est la cybersécurité, résume la directrice offres et pédagogie d’Unow. Quand tout le monde est en réseau à distance, il y a plus de risques sur la sécurité informatique que si tout le monde est branché sur place. Il faut sensibiliser l’ensemble des équipes aux attaques, au fishing (hameçonnage, qui permet de recueillir des données personnelles et confidentielles, NDLR) qui n’arrive pas qu’aux autres et qui passe souvent par les collaborateurs. Avant, dans l’open space, quand on recevait un e-mail bizarre, on en parlait à son voisin. Avec des collaborateurs seuls chez eux, l’information remontra moins vite », anticipe-t-elle, en proposant des formations (et pas seulement de la sensibilisation) pour les dirigeants, managers et collaborateurs.

Reste la question du financement. Équipements, informatique, sécurité… Ces investissements ont un coût et son paiement n’est pas tranché. Des sociétés, comme ADP, ont prévu « un budget d’équipement pour un bureau, une chaise, un écran », mais beaucoup de salariés investissent ailleurs eux-mêmes pour s’aménager une espace de travail à domicile. Or, personne n’est censé payer pour travailler. « Cela crée des vraies inégalités de conditions entre ceux qui ont une pièce à part, ceux pour qui l’employeur finance le mobilier, ceux qui ont des enfants à domicile… Quand les gens vont dans un lieu de travail, qu’ils habitent une villa ou une caravane, on s’en moque, mais là il y a une intrusion du travail dans la vie privée, et nous ne sommes pas tous égaux, ce qui fait que cette question du financement matériel est cruciale », souligne Amandine Mathivet. Pour limiter cette intrusion dans la vie privée, les employeurs ont aussi l’obligation d’assurer un droit à la déconnexion, qui passe aussi par les outils. Les plateformes de communication et autres messageries instantanées qui se sont largement démocratisées pendant la crise renforcent la dépendance mutuelle entre salarié et entreprise : les DRH et managers doivent donc réfléchir à utiliser et faire utiliser ces outils à bon escient. Au sein du cabinet Empreinte humaine, Christophe Nguyen a, par exemple, décidé de faire des outils à distance un atout. Alors qu’il devenait difficile de « contrer les bruits de couloirs sans couloirs », il propose à ses 40 collaborateurs de lui poser toutes leurs question par le biais d’un questionnaire anonyme tous les quinze jours. « Il faut réinventer les méthodes de communication avec le travail hybride », encourage-t-il. Un renouveau qui passe par les outils… et par un travail d’équipe.

Auteur

  • Lucie Tanneau