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Entre Mélenchon et Roussel, le cœur de la CGT balance

Décodages | Politiques syndicales | publié le : 01.04.2022 | Benjamin d’Alguerre

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Entre Mélenchon et Roussel, le cœur de la CGT balance

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Si le vote cégétiste s’est massivement porté sur Jean-Luc Mélenchon en 2017, le retour d’un candidat estampillé PCF en 2022 suscite des velléités de « retour à la maison » au sein de la centrale. Au point de, peut-être, peser sur le prochain congrès confédéral.

« Vous êtes plutôt mélenchoniste ou rousselienne ? » Posée à une cadre confédérale cégétiste, la question agace. « Franchement, cette question est hors sujet. Ça n’intéresse que les journalistes. À la Confédération, personne ne parle de ça ! » Personne n’en parle ? Au siège montreuillois, peut-être, mais sur les réseaux sociaux, le sujet fait débat. Parfois violemment. Sur Twitter et Facebook, les cégétistes partisans du communiste Fabien Roussel et ceux de l’insoumis Jean-Luc Mélenchon s’écharpent par écrans interposés. Les noms d’oiseaux fusent et les accusations de « trahison » volent entre camarades. « Les échanges sont souvent violents et l’argumentation bas de gamme. Ce sont des attitudes de supporters de foot plutôt que de syndicalistes. Comme les instances de direction esquivent le sujet, les militants se lâchent sur Internet », se désole « mezzo voce » un dirigeant de fédération territoriale consterné. Mais la toile n’est pas le seul lieu des invectives : le 18 février 2022, Philippe Jourdan, cadre à La Poste et responsable de l’union départementale CGT des Alpes-de-Haute-Provence interpelle Jean-Luc Mélenchon en direct à la télévision. Dans l’émission La France dans les yeux, le syndicaliste – partisan de Fabien Roussel – reproche à l’insoumis son comportement « très agressif depuis 2017 », « irascible » et « parfois méprisant ». En réaction, des twittos pro-Mélenchon lancent aussitôt la contre-attaque. Elle prend la forme du hashtag #jesuisCGTetjevoteMelenchon qui suscitera plusieurs milliers de tweets dans les jours qui suivent. Plus grave, d’autres internautes ne se privent pas de fouiller dans le passé de Philippe Jourdan pour y trouver des « preuves » de son appartenance de longue date au PCF – en réalité un homonyme selon Checknews – et de son propre comportement violent (une action de séquestration en date de 1996 qui s’était achevée par des mesures de suspension à son encontre par la direction de La Poste – et non d’une incarcération comme l’ont prétendu plusieurs trolls de Twitter). L’affaire s’est tassée depuis, mais, sur les réseaux sociaux, les invectives entre militants continuent pendant qu’au sommet de l’organisation syndicale, on préfère jouer la candeur. « [Il n’y a] pas de problème d’opposition au niveau national. Peut-être que ça existe de façon marginale dans quelques villes », lâche laconiquement Philippe Martinez interrogé sur la question.

En tant que centrale syndicale, la CGT n’apportera son soutien à aucun candidat, c’est entendu. Mais en interne, la neutralité est moins de mise. Quelques figures cégétistes, comme l’inspecteur du travail Anthony Smith, saqué par la direction du Travail en 2020 pour avoir exigé qu’une société d’aide à domicile fournisse des masques à ses salariés pendant la pandémie, le cheminot Bérenger Cernon, ex-figure cégétiste de la Gare de Lyon, le syndicaliste et acteur Xavier Mathieu ou le secrétaire du CSE de TUI France, Lazare Razkallah, ont apporté leur soutien à Jean-Luc Mélenchon. Intox en revanche concernant le soi-disant ralliement au parlement de l’Union populaire de Denis Gravouil, le négociateur emploi de la centrale, que ce dernier dément. De son côté, Fabien Roussel peut compter sur le soutien de Laurent Brun, secrétaire général de la CGT-Cheminots, mais aussi de fédérations qui sont largement restées des bastions communistes à l’image de celles de l’agroalimentaire, des services publics, de la chimie ou du commerce. Et potentiellement des camarades des mines et de l’énergie. « Le discours très pro-nucléaire de Roussel entre davantage en phase avec ses propres positions sur la question que le tournant écologiste de Jean-Luc Mélenchon », analyse Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail (IST).

« Deux tiers, un tiers ».

Roussel-Mélenchon, combien de divisions ? La centrale ne procède à aucun comptage, mais, au doigt mouillé, un cadre confédéral estime la répartition des effectifs à « deux tiers, un tiers » en faveur du député de Saint-Amand-les-Eaux qui pourrait en outre, compter sur le soutien des unions territoriales du Nord et du Pas-de-Calais, son fief d’élection, où le parti communiste pèse encore. Ce qui pourrait, en outre, mettre des bâtons dans les roues à deux lieutenants de Jean-Luc Mélenchon aux prochaines législatives, Adrien Quattenens, candidat à Lille, et David Guiraud, qui vise Roubaix, dans un contexte local de division de la gauche. Une autre fédération sera scrutée de près. Celle des Bouches-du-Rhône, la troisième en nombre d’adhérents, traditionnellement fidèle au PCF, « mais où les relations avec Jean-Luc Mélenchon, député local, restent bonnes », témoigne un fin connaisseur des jeux de pouvoirs internes. En Île-de-France, la mise à l’écart de Benjamin Amar, patron de la CGT du Val-de-Marne, suite à une accusation de viol, prive en revanche le candidat insoumis d’un allié de poids, à la fois figure médiatique et porteuse d’une légitimité historique puisque dirigeant l’UD 94, celle où milita Georges Marchais en son temps. En 2017, deux sondages consécutifs d’Harris Interactive et de l’Ifop estimaient que la part des encartés CGT ayant voté pour Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle se situait quelque part entre 48 et 51 %. Un bon score, mais à relativiser. Car hors des petits candidats trotskistes (qui ont néanmoins leurs partisans au sein de la centrale, tels Jean-Pierre Mercier, délégué syndical central chez PSA puis Stellantis et porte-parole de Lutte Ouvrière aux côtés de Nathalie Arthaud), le leader insoumis était alors le seul à se placer sur le terrain de la radicalité à gauche. Mais le retour du PCF sur la scène électorale lors des scrutins suivants a rebattu les cartes. Toujours selon Harris Interactive, les législatives qui ont suivi ont vu les insoumis reculer à 29 % dans les votes cégétistes alors que le parti communiste montait à 14 %. Aux européennes de 2019, LFI faisait 23 % et le PCF 12 %. « Cela ne pouvait que finir en opposition de l’un contre l’autre » commente Bernard Vivier. D’autant qu’entre-temps Mélenchon a pu décevoir certains de ses partisans au sein de la centrale « son changement de position sur la laïcité, le flou autour de sa conception d’une VIe République ou sa relation très personnelle au pouvoir font peur à beaucoup de gens », confesse un haut gradé d’une fédération parisienne. Par ailleurs, les tentatives de La France Insoumise de lancer des mouvements sociaux autonomes concurrents à ceux des syndicats ou ses tentatives de greffe avec d’autres contestations perçues avec défiance par la CGT comme les « gilets jaunes » ou les récents « convois de la liberté », lui ont aliéné quelques soutiens… qu’il ne courtise toutefois plus autant qu’avant. « La France Insoumise n’a plus la volonté d’influencer le combat syndical. Elle en a eu quelques velléités dans le passé, ce n’est plus le cas », explique Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha. Face à cela « Roussel peut attirer les partisans d’un retour d’une CGT « à l’ancienne », même si ses propos un peu beaufs sur le nucléaire, la chasse ou la bonne bouffe suscitent aussi de l’hostilité », confie un insider du syndicat de Montreuil. Le député du Nord conserve toutefois l’avantage de l’attachement historique : « Le cordon ombilical avec le PCF a été coupé, mais la CGT a toujours du mal à s’affranchir de sa tutelle. Elle n’est plus organique, mais le lien subsiste à travers les militants qui portent toujours la double casquette », résume un ponte de l’organisation.

Distorsion entre fédérations.

Au-delà des préférences partisanes, la querelle pourrait surtout peser sur le futur congrès confédéral de mars 2023. À cette heure, Philippe Martinez garde le silence sur une éventuelle nouvelle candidature, laissant la porte ouverte à des candidatures alternatives. « Lui-même ne sait pas s’il va y aller. Il attend que toutes les conditions d’une candidature soient réunies. Si elles ne le sont pas, il n’ira pas », estime un observateur des arcanes montreuilloises. Et le vide pourrait susciter des vocations, surtout si ces dernières sont portées politiquement. « Si Roussel réalise un bon score à la présidentielle et que le PCF conserve son groupe parlementaire aux législatives – ce que LFI aura davantage de mal à faire – cela peut donner du poids à une candidature soutenue par les fédé pro-PCF qui sont aussi celles proches de la FSM » En clair, ces fédérations proches ou membres de la Fédération syndicale mondiale, connue pour son intransigeance idéologique et son attachement à un communiste « old school ». Celles-là mêmes qui pesaient, lors du dernier congrès de Dijon, les quelque 30 % des voix qui ont fait de Philippe Martinez le secrétaire général le moins bien réélu de l’histoire de la CGT. Comme challengers potentiels, les noms de Baptiste Talbot, dirigeant de la puissante fédération des services publics, et de Laurent Brun circulent dans les couloirs. Coutumier des coups de gueule, ce dernier a d’ailleurs, début mars, violemment pris à partie la direction du syndicat en plein Conseil confédéral national, lui reprochant son manque d’ambitions et de projets. « L’altercation a énormément choqué ceux qui y ont assisté », relate un témoin de la scène. « Cette intervention agressive était une erreur de sa part. Il n’est pas certain que sa fédération suive son chef là-dessus. Elle reste une fédé très légitimiste, c’est celle de Séguy et de Thibault », lâche un expert du social. La CGT n’en est pas au point de craindre le schisme, mais une distorsion entre fédérations qui n’aidera pas les mobilisations interprofessionnelles, de plus en plus difficiles à organiser. Selon certaines voix internes, les échéances électorales qui s’annoncent pourraient constituer l’occasion de couper définitivement le cordon avec le politique et permettre « de faire de la CGT le syndicat qu’elle prétend être : celui de la transformation sociale – rôle qu’elle délègue au PCF de longue date – et de la revendication au quotidien ». À suivre.

La tentation écolo ?

Que pèse l’écologie chez les cégétistes ? Contrairement à la CFDT, engagée de longue date dans ce combat, la CGT, historiquement associée à une vision productiviste du travail, a longtemps traîné des pieds pour faire siennes les questions environnementales. « C’est un débat très sensible en interne », confirme un cadre de la centrale. Certaines initiatives ont même fait plus que susciter des grincements de dents. La participation du syndicat au collectif « Plus jamais ça » en 2021 regroupant des acteurs comme Les Amis de la Terre, Greenpeace, Oxfam France ou Attac, et la signature de son manifeste de rupture ont suscité de vives tensions, particulièrement avec sa fédération des mines et de l’énergie, ouvertement pro-nucléaire ou avec celle de la chimie. Néanmoins, « les mentalités changent », estime Pierre Ferracci. « Le caractère productiviste de la CGT qu’elle a longtemps partagé avec le PCF est en train d’évoluer. Le nucléaire demeure toutefois un sérieux point de débat. Philippe Martinez a commencé à faire évoluer l’organisation sur son positionnement environnemental, mais beaucoup reste à faire sans heurter les convictions ». « Il y a encore vingt ans, l’écologie était vue comme une préoccupation de petits-bourgeois », confirme un cégétiste, « mais même au sein de la fédé de l’énergie, on voit des collectifs se monter pour soutenir les alternatives au nucléaire. Ça reste néanmoins marginal à cause des impacts sur l’emploi que provoquerait une transition brutale ». Demain un courant vert à la CGT ?

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre