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Décodages

Après la crise, l’intérim à un tournant

Décodages | Travail temporaire | publié le : 01.04.2022 | Dominique Perez

 

Bénéficiant de la reprise économique, le secteur de l’intérim reprend des couleurs. À la fois outil de flexibilité et d’accès à l’emploi et à la qualification, il se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins.

Sur le papier, la tendance est nette. Le nombre d’intérimaires ne cesse d’augmenter depuis la fin d’année 2021 pour, selon la dernière étude de la Dares parue en mars 2022, dépasser même son niveau d’avant-crise avec une croissance de 6,5 % fin 2021 par rapport à 2019, une année noire pour le travail temporaire avec 30 000 postes ETP (équivalent temps plein) perdus à en croire Prism’emploi, la fédération patronale de la branche, qui réunit 600 entreprises et groupes de travail temporaire. Premier fait marquant de cette reprise : une transformation sans précédent des emplois. « Nous n’avions jamais connu de tels changements, commente Isabelle Eynaud-Chevalier, déléguée générale de Prism’emploi. 25 % des emplois intérimaires ont changé de nature sectorielle en 2021, sans que l’on puisse dire aujourd’hui si ces évolutions seront durables. » Avec une proportion de créations d’emplois (+ 13,7 %) et de destructions (+ 10,8 %) qui modifient profondément le visage de l’intérim par rapport à l’avant-crise. Parmi les emplois en croissance figurent ceux du transport et du fret routier, les travaux de construction spécialisés, l’entreposage… « Le secteur du transport et de la logistique représente à lui seul 21 % des créations, ce qui s’explique par l’essor du commerce en ligne », poursuit la déléguée générale. Au chapitre des destructions, l’industrie a été fortement pénalisée, avec notamment une construction automobile en difficulté.

Prudence quant à l’avenir.

Une nouvelle fois, le secteur, qui représente 2 à 3 % de l’emploi salarié total, selon la Dares, joue son rôle de marqueur de la santé économique du pays. « L’intérim devance une fois de plus les évolutions du PIB avec un petit décalage, et est un indicateur avancé de la reprise », confirme Rachid Belkacem, maître de conférences en économie à l’université de Lorraine et membre du laboratoire lorrain des sciences sociales, spécialiste de l’intérim. Face à une croissance prometteuse, la prudence est cependant de mise. « Les dernières prévisions de la Banque de France estiment à 1 % la baisse du PIB, modère Isabelle Eynaud-Chevalier. Le secteur étant extrêmement sensible à la conjoncture, nous ne sommes pas en mesure de faire des prévisions fiables quant à son évolution. Il est possible que dans quelques mois les conséquences de la crise ukrainienne modifient encore la situation. Nous avons juste eu le temps de vivre un climat plus favorable que cet autre événement intervient… »

Quand le bâtiment va…

Tout en reconnaissant la reprise, les entreprises de travail temporaire constatent ainsi que tous les signaux ne sont pas passés totalement au vert. Le bâtiment est également source d’une certaine inquiétude. « Le tassement de l’activité se confirme en ce début d’année 2022 avec la fin des grands chantiers », explique Gérald Jasmin, directeur général d’Adecco France. « Alors que l’emploi intérimaire est nettement supérieur à son niveau d’avant crise dans les services (+ 11,4 % par rapport à fin 2019), et le dépasse dans une moindre mesure dans l’industrie (+ 3,4 %), il ne fait que l’atteindre dans la construction (+ 0,1 %), d’après la Dares. Les chiffres mettent aussi en exergue des différences de reprise parfois importantes d’une région, voire d’une localité à l’autre. « L’intérim est un régulateur des flux sur le marché du travail local, et prend la coloration des bassins d’emploi, analyse Rachid Belkacem, surtout quand ils connaissent une forte spécialisation dans des secteurs « typés », comme le BTP et certains sous-secteurs de l’industrie, comme l’automobile. » « Le cas de la Bourgogne-Franche Comté, par exemple, est assez emblématique et c’est l’objet de toute notre attention, » explique Isabelle Eynaud-Chevalier. Tandis que les indicateurs repartaient au vert, cette région n’a pas suivi le mouvement, en accusant une baisse de 8,6 % du nombre d’intérimaires en 2021, ce qui s’explique largement par sa forte spécialisation dans l’industrie automobile. » La réindustrialisation à l’œuvre dans d’autres domaines joue clairement, dans certains bassins d’emploi, un rôle d’accélérateur pour l’intérim. « Nous constatons des différences entre zones géographiques souligne Oualid Hathroubi, directeur de Hays Paris. En Île-de-France, par exemple, nous observons même une demande d’intérimaires inférieure de 4 % par rapport à d’autres régions, comme Paca. Cela s’explique en grande partie par la politique de réindustrialisation engagée, qui impacte certains bassins d’emplois, avec des entreprises qui reprennent une activité et qui ouvrent même de nouvelles chaînes de production. »

Le CDI intérimaire a le vent en poupe.

Dans ce contexte encore empreint d’incertitudes, mais fortement marqué par une pénurie de compétences problématique, l’intérim est-il en mesure de s’adapter aux aléas de la conjoncture ? Ce qui est considéré comme un des « bras armés » du secteur par le patronat, le CDI intérimaire (CD2i) serait un des outils pour aider à la sécurisation des parcours et une mobilité professionnelle qui était peu à l’ordre du jour jusqu’alors. « L’intérim reste un intégrateur, un outil favorisant l’accès à l’emploi permanent, estime Gérald Jasmin. Le taux de chômage a rarement été aussi bas, et les entreprises peinent à identifier les bons candidats. Ce qui explique en partie la progression actuelle du CDI intérimaire (CD2i), qui offre à la fois un contrat de travail et la possibilité de suivre des formations. En deux ans, Adecco a quasiment doublé le nombre de CD2i. Ces intérimaires représentent aujourd’hui 14 % des contrats.

« Ce dispositif a ainsi vu augmenter de 25 % le nombre de ses bénéficiaires en 2021, selon Prism’emploi. Un objet très « à part » dans le paysage, créé en 2013 quand « planait la menace de la taxation des contrats courts » », résume Mathieu Maréchal, responsable de la branche FO Intérim. Signé par les entreprises de travail temporaire, d’une durée maximale de 36 mois, le CDI intérimaire voit se succéder les missions dans une ou plusieurs entreprises clientes, avec un salaire minimal. « Au début c’est tout beau tout rose, poursuit le syndicaliste. L’intérimaire pense souvent qu’il va rester dans une même entreprise pendant sa mission, avec des conditions de travail plutôt favorables, mais certains déchantent, parce qu’ils sont contraints d’accepter un autre travail à 40 km de chez eux… et pas toujours dans les mêmes conditions. » Présenté comme un outil de sécurisation, il ne convainc pas non plus la CGT, toujours pas signataire du dernier accord sur le CDI intérimaire à l’heure où nous écrivons ces lignes. « Il participe à la tendance de certaines entreprises au recours structurel au travail temporaire, ce qui est abusif, estime Laetitia Gomez, secrétaire générale de la CGT intérim. Quand une entreprise compte 20 ou 25 % d’effectifs intérimaires de manière stable, cela signifie que des postes sont vacants et qu’elle pourrait embaucher. » La CFDT, elle, est signataire de l’accord. « Le CD2i réduit la précarité, estime Lahouari Boubekeur, secrétaire national de la fédération des services CFDT. Et quand l’intérimaire est en intermission, il n’est plus indemnisé au titre du chômage, mais par les entreprises. » Il met surtout en avant la démarche de GPEC engagée par la branche, qui a mis tout le monde autour de la table au plus fort de la crise. « Nous avons signé un accord en juillet 2020, après seulement trois mois de négociation, constate Isabelle Eynaud Chevalier. Les organisations syndicales, comme nous-mêmes, ont été traumatisées par l’arrêt brutal de l’activité. Nous avons compris que certains secteurs allaient vivre des moments difficiles et qu’il fallait gagner en capacité d’anticipation et de réactivité sur tous nos dispositifs. » Au menu, notamment : des diagnostics territoriaux, un « outillage des entreprises de travail temporaire pour l’élaboration d’une démarche de GPEC, et le lancement d’une étude sur les compétences transversales, particulièrement développées chez les intérimaires et qui devraient être mieux analysées pour pouvoir les utiliser dans toutes leurs dimensions », poursuit Isabelle Eynaud Chevalier. C’est une démarche très nouvelle, dans un secteur qui a une forte culture métier. » Des idées de passerelles par exemple entre l’aéronautique et la logistique, sont ainsi imaginées, avec une mobilisation du dispositif Pro A notamment et des investissements forts, notamment dans l’apprentissage. Difficile cependant d’évaluer précisément les efforts de formation des enseignes dans les différents dispositifs. La mise à disposition de futurs intérimaires qualifiés et répondant aux besoins des entreprises clientes est aussi un enjeu concurrentiel et elles restent discrètes…

Auteur

  • Dominique Perez