Faciliter les reconversions professionnelles en cette période de reprise économique. Oui, mais comment ? Franck Morel, senior fellow de l’Institut Montaigne, met seize propositions sur la table à disposition des candidats à la présidentielle.
Franck Morel : À l’heure où les entreprises sont confrontées à tant de besoins en recrutement non satisfaits, ces enjeux sont aussi cruciaux que déterminants. Nous sommes engagés dans un processus schumpeterien qui voit des emplois être détruits au rythme où d’autres sont créés. Aujourd’hui, un actif sur deux envisage ou a engagé une reconversion, mais l’usage des moyens alloués à la formation professionnelle n’est pas à la hauteur des besoins. Il ne s’agit pas ici de proposer une énième augmentation des budgets de la formation, mais de mieux répartir et utiliser ceux qui existent, et notamment les moyens publics consacrés à la reconversion professionnelle que je chiffre à environ un milliard d’euros.
F. M. : Disons qu’il pourrait mieux fonctionner. Les propositions formulées dans la note de l’Institut Montaigne vont en tout cas dans le sens de son amélioration. On pourrait imaginer une grande campagne de communication nationale sur le CPF qui valoriserait le CEP à travers la plateforme Mon Compte Formation. Les partenaires sociaux dans leur ACNI du 14 octobre 2021 indiquaient qu’il fallait améliorer le lien entre usage du CPF et besoin du marché du travail. Ils y suggéraient aussi de mettre en place une expérimentation visant à soumettre l’achat de formations hors RNCP à l’avis des opérateurs du conseil en évolution professionnelle. Expérimentons ! Si l’on veut favoriser les reconversions professionnelles, il faut que les fonds du CPF soient fléchés prioritairement vers les formations qualifiantes dont le marché du travail a le plus besoin et son usage encouragé par des personnes prioritaires, c’est-à-dire les moins qualifiées ou celles qui n’ont pas bénéficié de formation depuis au moins dix ans. Actuellement, les trois formations les plus achetées sur Mon Compte Formation sont le permis B, les langues étrangères et la création d’entreprise. Je propose qu’on puisse valider ces achats avec un système parallèle au CPF ayant un rapport direct à l’emploi.
F. M. : Il ne s’agit nullement de vouloir restreindre le principe du libre choix des usagers qui est une grande conquête de la loi de 2018, mais de réserver son usage à certaines typologies de formation.
F. M. : Il est effectivement nécessaire de modifier les arbitrages financiers des crédits du CPF pour permettre à ces personnes d’accéder à des formations leur permettant d’envisager des reconversions. Je n’ai pas voulu chiffrer ces réorientations budgétaires dans ma note, mais il est évident qu’il faut modifier les seuils de 500 ou 800 euros par an, le second étant très insuffisant, au profit de montants bien plus importants pour les moins qualifiés. Par ailleurs, je suis partisan de simplifier le CPF dans la fonction publique en appliquant la convertibilité en euro des heures des fonctionnaires pour permettre une plus grande fluidité dans les parcours de carrière en contrepartie de formations rémunérées dans un parcours de reconversion professionnelle.
F. M. : Le système dont je parle permettrait à des individus très qualifiés donc peu demandeurs de formation de céder une partie des crédits de leur compte formation à des personnes moins avantagées. Il ne s’agit surtout pas d’entrer dans une logique mercantile !
F. M. : En 2020, l’autorité des normes comptables (ANC) a publié un règlement relatif à la comptabilisation des frais de formation qui prévoit que « les frais externes afférents à des formations nécessaires à la mise en service d’une immobilisation corporelle ou incorporelle acquise peuvent, sur option, être rattachés au coût d’acquisition de cette immobilisation ou comptabilisés en charges ». C’est un début mais c’est trop restrictif. Il existe des situations où l’achat de formations longue durée doit être considéré comme un investissement de l’entreprise susceptible d’être amorti. Dans l’état actuel des règles comptables, c’est difficile. C’est pourquoi je propose d’adapter les textes fiscaux afin de permettre cet amortissement, même lorsque ce n’est pas possible comptablement. Certaines dépenses de formations lourdes ont un impact important sur l’emploi et devront donner lieu à une nouvelle formation dans quelques années, après « obsolescence » des compétences acquises. La liste de ces formations pourrait être fixée en lien avec les professionnels de la formation et des secteurs d’activité, branche par branche. C’est selon moi une proposition qui pourrait se traduire par un effet de levier pour le développement de la formation. Un autre effet de levier possible serait la signature de nouveaux Engagements de développement des emplois et des compétences (Edec) après avoir procédé au bilan de ceux conclus ces dix dernières années. Ces nouveaux Edec, qui pourraient être négociés au niveau des bassins d’emploi, comporteraient en particulier la levée de moyens financiers supplémentaires par les acteurs et la mise en œuvre d’un processus visant à favoriser la GPEC et les reconversions professionnelles à l’échelle notamment territoriale.
F. M. : Je vois plutôt ces Edec comme un complément de TransCo. Aujourd’hui, ce dispositif marche mal. Il a d’ailleurs déjà été modifié plusieurs fois pour être amélioré, mais il fonctionne encore peu car il est trop complexe à mettre en œuvre, notamment parce qu’il oblige le salarié à démissionner en fin de parcours. Je suggère une refondation de TransCo sous forme d’un dispositif de reconversion professionnelle auquel les individus pourraient accéder selon trois clés d’entrées (alternatives ou cumulatives). Primo : si leur emploi est menacé à terme ; secundo : s’ils se font embaucher par une entreprise qui choisit de les former pour les doter des compétences dont elle a besoin ; tertio : si le salarié lui-même ressent le besoin d’évoluer dans son métier. Ce dispositif « chapeau » s’accompagnerait en outre de la création d’un nouveau type de préparation opérationnelle à l’emploi (POE) dédiée spécifiquement aux emplois en danger. Une « POE emplois menacés » (que je proposais par l’intermédiaire de l’Institut Montaigne déjà en septembre 2020) qui pourrait être à la main de l’entreprise et mobiliser des crédits du FNE Formation, des RCC ou du congé de mobilité, ou du salarié qui pourrait y consacrer son CPF, voire mobiliser le PTP (projet de transition professionnelle, ex-CPF de transition) à cette fin.
F. M. : Cette « GPEC de la Nation » ne serait pas une simple « GPEC des pouvoirs publics » mais engagerait tout le monde : acteurs économiques, entreprises, branches et citoyens. L’objectif de la démarche serait d’identifier les besoins en emploi futurs à une échéance de quelques années et à les placer en regard des capacités de notre appareil de formation afin de le mettre en situation de pouvoir y répondre. Qui doit piloter ce dispositif ? Pour l’instant, la question est posée. Il pourrait s’agir de France compétences, par exemple. En tout cas, le futur organisme pilote devra disposer de liens étroits avec tous les acteurs susceptibles de produire de la donnée : observatoires de branches, Insee, Dares, etc. Cette « GPEC nationale » aurait bien sûr vocation à être déclinée au plan local et prendrait une dimension de plus en plus opérationnelle au fur et à mesure qu’elle se rapprocherait du terrain.
Senior fellow de l’Institut Montaigne, Franck Morel est avocat en droit social associé au sein du cabinet Flichy-Grangé. Entre 2009 et 2012, il a été membre des cabinets des ministres du Travail Xavier Bertrand, Brice Hortefeux, Xavier Darcos et Éric Woerth et conseiller social du Premier ministre Édouard Philippe de 2017 à 2020.