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Idées

Quand l’entreprise libérée vire au cauchemar

Idées | Livres | publié le : 01.03.2022 | Lydie Colders

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Quand l’entreprise libérée vire au cauchemar

Crédit photo Lydie Colders

Dans « Toxic management », le philosophe Thibaud Brière livre un témoignage effrayant sur le management pervers d’un patron d’un grand groupe, chantre de l’entreprise libérée. Un récit édifiant sur la manipulation du pouvoir.

Lors des sessions d’intégration, le président de Gadama joue l’apôtre du management libéré devant les nouveaux managers : « Chez nous, vous êtres libres. Il n’y a ni hiérarchie ni chefs, vous êtes votre propre patron. Il est expressément interdit de donner des ordres. Que voulez-vous, je suis un disciple de Mai 68, j’ai l’autorité en horreur ». Gadama, groupe industriel de milliers de salariés, existe bien et bel. Et le pire « est qu’il est considéré comme une référence managériale avant-gardiste », alerte Thibaud Brière. Embauché par ce patron charismatique (le « père fondateur ») pour promouvoir les valeurs de la société, ce philosophe d’entreprise va en effet progressivement déchanter de ce beau discours libérateur. Dans son livre, il évoque en réalité un homme pervers, qui, sous couvert de transparence, « décide de faire du mal pour faire du bien », humilie les salariés, les déstabilise, passe de « la bienveillance » à la cruauté pour « asseoir sa domination » et sa vision. Son récit, effarant et précis, décrypte les rouages de cette manipulation managériale. La critique constructive ? L’auteur découvrira qu’elle peut coûter cher, citant un cadre licencié pour avoir osé exprimer des difficultés à « jouer un rôle actif » sur les réseaux. Lui-même se fera piéger : très vite, « père fondateur me demande de réserver mes critiques les plus incisives, les seules qui comptent, au conseil d’administration ».

« Des animaux à dresser »

Comment organise-t-on la peur et l’emprise ? Par des méthodes « force ranking » contournées dégradantes, selon Thibaud Brière. Il raconte que Gadama oblige les salariés à des réunions publiques pour désigner les « défaillants » (les serpents, « susceptibles de manipuler les autres », en réalité les plus rebelles), ceux qui pourront être dressés (les ours auraient besoin « d’un guide à suivre ») et les phoques, dociles, ayant bien intégré le discours et capables « de s’autodiriger ». Stupide ? Il raconte, dans une scène inouïe, un personnel d’agence jouant le jeu de cette délation. Des cadres qui s’évanouissent, d’autres en pleurs. Derrière de pseudo-formations en management, il comprendra que l’objectif est bien de « chasser » ces vicieux serpents dominants. « Père fondateur aime les choses claires : il assigne à ses managers un objectif de 25 % de personnes à faire partir, s’évitant un coûteux plan social ». Le livre est une brillante analyse factuelle d’une perversité managériale orchestrée au plus haut niveau. Jusqu’à des listes noires de salariés, et même « d’un réseau de conformité des règles nominatif » visant à les espionner. Pourquoi l’inspection du travail ne s’est-elle jamais intéressée à cette entreprise connue ? Le philosophe l’explique par une organisation ultra-décentralisée, ces « techniques de délation » qui affaiblissent les syndicats chez Gadama. Il dit avoir alerté les membres du conseil d’administration de la gravité de la situation. Avant d’être licencié…

« Toxic management »,

Thibaud Brière, Ed. Robert Laffont, 270 pages, 18,90 euros.

Auteur

  • Lydie Colders