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Idées

Pour un management bleu

Idées | Recherche | publié le : 01.03.2022 |

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Pour un management bleu

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La France est un des principaux pays maritimes du monde. Elle dispose du troisième kilométrage de côtes, du deuxième espace maritime. Elle occupe une place importante dans la construction navale civile et militaire et, même si le nombre de marins français a fortement décru, il reste une flotte conséquente de navires français avec des armements qui sont parmi les premiers mondiaux dans des secteurs tels que le transport de marchandises (e.g. CMA-CGM), les câbles et télécommunication sous-marins (e.g. Orange Marine) ou encore les travaux offshore (e.g. Jiffmar ou Alcatel Marine) et l’océanographie (e.g. GNavire).

Le secteur maritime emploi plus de trois cent mille personnes. Au-delà de la dimension économique, la mer représente un enjeu majeur dans le cadre des questions que posent les changements climatiques et les problématiques de développement durable qui y sont associées. Ainsi, parce qu’il représente des enjeux économiques, sociaux et environnementaux majeurs, le monde maritime, le monde bleu, mérite d’être regardé de près. Nous proposons de le faire avec comme perspective les questions liées au travail, à son organisation et au management de manière générale. Ce monde bleu peut alors être une source d’inspiration pour repenser le management des personnes et des équipes ainsi que la gouvernance des organisations. Dans cette perspective, nous tirons trois enseignements de l’étude du secteur maritime.

S’approprier un contexte

Le premier enseignement concerne le rapport au travail des marins, singulièrement des officiers de marine marchande. Devenir marin c’est bien sûr se doter en compétences théoriques et techniques et apprendre à les mettre en œuvre dans des situations particulières, mais c’est avant cela acquérir un métier en s’appropriant des modes de fonctionnement, des rites sociaux, des conventions de comportement et d’interaction. Quelques mois à peine après leur entrée dans l’école de la marine marchande, les élèves officiers font leur premier embarquement. L’objectif est de les confronter tout de suite à la réalité des situations de travail. Devenir marin, c’est avant tout s’approprier un contexte, des situations et un rôle professionnels en entrant dans le métier à travers un parcours qui rappelle celui du compagnonnage. Dans le même sens, le marin à bord du navire ne peut être réduit à une « capacité à faire », des bras ou un cerveau, il est de fait une personne qui travaille et vit à bord en permanence, nuit et jour, pendant des semaines, voire des mois. Exercer le métier de marin suppose de s’approprier son poste à bord et que collectivement l’équipage adopte des modes d’interactions qui tiennent compte des autres en tant que personnes et pas simplement en tant que collègues.

Le deuxième enseignement concerne les modes d’organisation et de réalisation du travail ainsi que le rôle des outils, notamment ceux de gestion. Le travail de marin est marqué de fait par de forts besoins d’ambidextrie et de résilience. D’un côté, opérationnaliser un navire suppose de se soumettre à des règles, des procédures et des protocoles complexes et multiples. D’un autre, il faut pouvoir le faire dans des situations marquées par l’interaction avec la nature (la mer comme le ciel) qui les rend bien souvent complexes et changeantes. Les opérations maritimes, qu’elles soient de transport, d’offshore ou autres, sont toujours à des degrés différents marquées par la nécessité, d’un côté, de respecter des règles et procédures et, de l’autre, de réagir à des situations et d’inventer dans l’instant des solutions pragmatiques qui conviennent. Cela nécessite que les outils techniques et de gestion soient considérés avant tout comme des aides à l’action et à la décision et non comme des outils décisionnels ou qui contraignent l’action. Cela nécessite que le management mobilise l’intelligence collective plutôt que de se positionner en donneur d’ordre. Cela nécessite enfin que les services autour de la situation de travail (armement, service fonctionnel, services commerciaux, etc.) adoptent une posture d’aide et de recherche d’accommodements entre leurs contraintes et celles du bord en veillant à ne pas augmenter le niveau complexité et de rigidité auxquels les équipages doivent faire face.

Trois principes

Le troisième enseignement, enfin, concerne la conscience du rapport à l’environnement et de la responsabilité que cela fait naître. Quel qu’il soit (pêche, recherche océanographique, exploitation de ressources en eaux profondes, communication, etc.) le travail maritime se fait au contact immédiat de l’environnement et en l’utilisant. Cet environnement, au gré des coups de vent et des accalmies, donne ou retire la possibilité de réaliser le travail et définit les conditions dans lesquelles il pourrait se faire. Il est également un facteur de mise en danger tant du navire que de l’équipage. Chaque marin en a conscience et sait que l’activité productive du navire est potentiellement destructrice et que les personnes qui en ont la charge, à bord comme à terre, sont responsables de ses impacts négatifs sur la mer. Chaque marin a ainsi conscience que son travail et sa survie sont soumis au bon vouloir de l’environnement et que la pérennité de l’organisation est définie immédiatement par sa capacité à en tenir compte. En mer, la problématique du développement durable est immédiate et concrète. Elle ne peut être traitée de manière différée ou cosmétique par des actions de greenwashing.

De ces trois enseignements nous retenons trois principes pour un management bleu.

Le premier principe consiste à remettre les notions de métier et de personne au cœur de la gestion du travail. Sortir de l’idée que le travail peut être découpé en séquences, en sous-activités ou en blocs pouvant être mis en œuvre et gérés indépendamment les uns des autres, comme le laissent penser les approches les plus contemporaines en matière de compétences. Considérer que les individus au travail sont des personnes dans toute leur singularité qui s’approprient un rôle professionnel dont les modalités sont définies à la fois par le contexte (y compris historique, en renvoyant ici tant aux traditions professionnelles qu’à la trajectoire biographique et professionnelle de la personne), la situation de travail, le fonctionnement de l’équipe et les interactions avec les autres personnes. Cela implique de cesser de concevoir les outils de gestion, notamment ceux de gestion des ressources humaines, en fonction d’une vision technicienne du travail et encore en fonction d’une vision idéalisée du « travail bien fait » et d’en faire des outils réactifs de réponses aux besoins des professionnels définis par eux-mêmes dans leur situation de travail.

Le deuxième principe consiste à accompagner ce centrage sur le travail et les personnes par un management humble et accommodant en s’appuyant sur un principe de subsidiarité organisationnelle. Ici le manager n’est plus le chef qui sait et qui ordonne mais celui qui, par principe, ne sait pas, et qui organise l’appropriation de la prise de décision par les personnes pertinentes indépendamment de leur positionnement hiérarchique. Bien sûr, le manager peut conserver un espace de décision discrétionnaire mais il doit au maximum appliquer le principe de subsidiarité qui consiste à organiser la prise de décision au niveau le plus pertinent d’un point de vue fonctionnel. Parallèlement à cela, le rôle du manager est également de négocier l’articulation entre les contraintes qui pèsent de celui-ci de l’extérieur sur la situation de travail et celles qui sont liées à la réalisation de celui-ci et qui trouvent leur source dans la situation.

Le troisième principe d’un management bleu est celui qui amène à systématiquement considérer et prendre en compte dans les décisions ce qui transcende la situation de travail, l’activité et l’organisation elle-même et qui pourrait être formulé comme étant à la fois l’impact sur les écologies environnementale et humaine et la contribution au bien commun.