logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Édito

Un Arc-en-Ciel à dominante jaune

Édito | publié le : 01.03.2022 | Benjamin d’Alguerre

Plus de soixante-dix mille exemplaires vendus. Dix réimpressions en à peine un mois. Cinquante contrôles d’établissements par les services des Agences régionales de santé. 20 % d’appels supplémentaires au 3977, le numéro vert dédié à la lutte contre la maltraitance des personnes âgées. Un directeur général limogé. Une commission d’enquête sénatoriale et une autre menée conjointement par les inspections générales des Finances et des Affaires sociales. Paru le 26 janvier dernier, le livre-enquête de Victor Castanet, « Les Fossoyeurs. Révélations sur le système qui maltraite nos aînés » (Fayard), a brutalement secoué le cocotier du petit monde feutré des Ehpad gérés par des capitaux privés et répondant à des impératifs de rentabilité. Le petit vieux est une ressource comme une autre. Une ressource qui présente en outre l’avantage pour ceux qui en tirent profit d’être en croissance constante dans nos sociétés vieillissantes. Sur le fond – et c’est tragique – les pratiques d’Orpéa, le groupe gestionnaire d’établissements médico-sociaux que cible Victor Castanet, ne sont pas nouvelles. Voici quelques années, Korian, un autre leader du secteur, avait déjà été pointé du doigt pour des raisons similaires par différents articles parus dans la presse. « Les Fossoyeurs », à son tour, révèle un système cyniquement rationnel où privations et mauvais traitements sont la base même du business plan d’un leader du « care ». Avec beaucoup de guillemets.

Cependant, l’enquête de Victor Castanet montre aussi comment le système Orpéa n’a pu exister pendant presque deux décennies avant d’être découvert qu’avec la complicité d’un syndicat « maison » créé début 2000 par le DRH de l’époque, un ancien de la métallurgie, pour acheter la paix sociale et faire passer la pilule auprès des salariés. Baptisée « Arc-en-Ciel », cette organisation syndicale propre à Orpéa, présentée comme « indépendante » (des grandes centrales, en tout cas) remet un coup de projecteur sur l’existence de ces organisations syndicales internes montées avec la bienveillance des directions quand ce n’est tout simplement pas à leur initiative pour juguler la contestation interne. Vestiges des années 1960-1970, on décompte encore de nos jours près d’une centaine de ces organisations dans le champ social. Selon les chiffres de la DGT, elles pèsent encore, à elles toutes 4 % des suffrages aux élections professionnelles. S’il n’est pas question de les jeter toutes dans le même sac (certaines ont à leur palmarès de belles bagarres sociales en faveur des salariés), force est de reconnaître que leur attachement à une entreprise particulière nourrit le soupçon. Dans le cas d’Arc-en-Ciel, en revanche, les témoignages recueillis dans « Les Fossoyeurs » ne laissent aucun doute sur son caractère d’organisation artificielle mise en place pour contrer les autres syndicats d’Orpéa, notamment CFDT et CGT. À voir si les prochaines élections CSE constitueront le déclic par lequel les salariés d’Orpéa feront table rase de cette façon de faire anachronique ou s’ils conserveront leur confiance dans ce syndicat maison.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre