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Vieillissement : réduire la pénibilité pour garder les seniors en emploi

Dossier | publié le : 01.03.2022 | Frédéric Brillet

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Vieillissement : réduire la pénibilité pour garder les seniors en emploi

Crédit photo Frédéric Brillet

Hier, confrontées au vieillissement de leur population salariée, les entreprises étaient tentées de débaucher ou d’activer des dispositifs de préretraite. Aujourd’hui, elles sont plutôt incitées à maintenir les salariés âgés dans l’emploi. Ce qui nécessite aménagements de postes et mesures de prévention en matière de santé au travail. Et ne va pas toujours de soi.

Ce sont des chiffres qui font mal : une enquête Apec/Pôle Emploi publiée en février 2022 révélait que 81 % des cadres de plus de 55 ans se retrouvent au chômage suite à la rupture de leur contrat de travail à l’initiative de leur employeur. Près de 90 % estiment que leur âge les désavantage dans leur recherche d’emploi. Face à cette réalité, Gilles Gateau, directeur général de l’Apec, appelle les employeurs à diversifier les recrutements « pour répondre aux besoins en compétences et contribuer à un marché du travail plus inclusif ». Et encore cette enquête exclut-elle les métiers non qualifiés, souvent physiquement éprouvants et difficiles à exercer au-delà de la cinquantaine. Tout aussi révélateur est le comportement des employeurs en 2020, qui, à la suite de la baisse d’activité liée à la Covid-19, se sont une nouvelle fois délestés de leurs seniors. Cette année-là, les plus de 50 ans ont représenté les deux tiers des ruptures conventionnelles… « Ils demeurent la principale variable d’ajustement des effectifs car les préjugés des employeurs à leur encontre perdurent » résume Anne-Marie Guillemard, professeure émérite de sociologie l’université de Paris et spécialiste de la population senior. Cette mise au rancart systématique de la population salariée âgée constitue encore une exception française par rapport aux autres pays de l’OCDE qui les maintiennent plus longtemps en activité : au total, seulement 56 % des personnes âgées de 55 à 64 ans étaient actives en France (hors Mayotte) en 2018, pointait le rapport « Favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés » de 2020.

Il est vrai que les gouvernements eux-mêmes ont longtemps encouragé les entreprises à organiser les départs des seniors pour faire de la place aux jeunes. Parce que les préretraites financées sur fonds publics sont coûteuses et n’ont guère réduit le chômage, les pouvoirs publics ont fini par les abroger et par procéder à un revirement complet. D’où l’empilement depuis dix ans de dispositifs censés maintenir les seniors en activité. L’obligation de négocier sur la gestion des emplois et des parcours professionnels dans les entreprises et groupes de 300 salariés et plus amène plus souvent ce sujet dans les discussions entre partenaires sociaux. Un CDD senior a même été créé pour faciliter le retour à l’emploi du salarié et l’acquisition droits supplémentaires en vue de la liquidation de sa retraite à taux plein. Une proposition de loi déposée en octobre dernier à l’Assemblée nationale envisage par ailleurs la création d’un label « 50 + » valorisant les entreprises dotées de bonnes pratiques en la matière, d’un index « pyramide des âges » pour les entreprises de 500 salariés et plus prenant en compte différents critères : taux de formation, d’emploi, mobilité interne et turnover des seniors. Le texte prévoit en outre de faire de l’employabilité des seniors un sujet obligatoire de négociation. L’Etat encourage enfin Pôle Emploi et l’Apec à renforcer leurs programmes d’accompagnement des chômeurs de longue durée, qui cadres ou non, sont surreprésentés dans la population des plus de 55 ans. Résultat : les mesures déjà en place ont fait remonter le taux d’emploi des seniors à 56 % mais le taux demeure inférieur à l’Europe du Nord. « Les politiques publiques sont trop dissuasives ou punitives. Mieux vaut inciter les employeurs à recruter et à garder leurs seniors comme le fait la Finlande », analyse la sociologue Anne-Marie Guillemard.

Indispensables seniors

Jean-Emmanuel Roux, Président de Teepy Jobs, fondateur d’un site de recrutement dédié aux seniors ne s’en montre pas moins optimiste pour le futur proche. Et pas seulement parce que son site propose cette année 4 000 annonces contre 1 000 avant la Covid : « Du fait de la reprise économique, de l’évolution démographique, les entreprises ne pourront bientôt plus se passer des seniors ». Et de rappeler les qualités propres à cette population et de réfuter les préjugés dont ils sont victimes : du fait de leur expérience, ils sont plus vite opérationnels. Leurs enfants devenus grands, ils deviennent très disponibles pour s’investir dans leur travail. Stables dans l’emploi quand celui-ci leur convient, ils limitent le turn-over. À la suite de la Covid, ils ont acquis de nouvelles compétences numériques et appris à travailler à distance, ce qui réduit la fracture numérique avec les plus jeunes. Enfin, les employeurs soucieux de diversité et d’inclusion se doivent de recruter ou de conserver des seniors pour constituer des équipes intergénérationnelles et favoriser le transfert des compétences d’une génération à l’autre.

Certes, le surcoût des seniors demeure une réalité et donc tant un obstacle à l’embauche qu’une incitation à s’en séparer pour les employeurs. Une bonne partie des progressions salariales se fondant sur l’ancienneté, nombre d’actifs en fin de carrière, surtout des cadres, sont rémunérés au-delà de leur productivité, ce qui n’est pas le cas de leurs collègues plus jeunes. Soucieux de se recaser, 25 % des cadres de plus de 55 ans au chômage sont pourtant prêts à faire des concessions sur ce critère dès le début de leur recherche d’emploi sur le salaire et presque autant plus tard, apprend-on dans l’enquête Apec/Pôle emploi. Preuve en est que la réputation du senior fermé à toute concession relève du mythe. Et pour ceux qui sont en poste, rien n’interdit de revoir le contrat pour aménager la fin de carrière. Par exemple, en proposant d’affecter le salarié sur un poste moins stressant ou prenant, avec des horaires aménagés en contrepartie d’une baisse de salaire.

Prévention et aménagement de postes

La prolifération des accords de branches ou d’entreprises dédiées à l’emploi des seniors (plus de 1 000 à ce jour selon le site droits-salariés.com) témoigne aussi d’une prise de conscience de relever le défi. Ces accords instaurent des objectifs chiffrés d’embauche ou de maintien d’un taux de salariés seniors pour équilibrer la pyramide des âges de l’entreprise et limiter la propension au « jeunisme ». D’autres encore encouragent les seniors à s’investir dans le tutorat de salariés juniors en leur accordant des gratifications et du temps pour cette mission. Soucieuse de faire bouger les choses, l’ANDRH milite de son côté pour la mise en place dans les entreprises d’un « index seniors » inspiré de l’index sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et qui serait négocié entre partenaires sociaux.

Les mesures pour préserver la place des seniors en entreprise passent aussi par des réorganisations, des formations, de la prévention et des aménagements de poste. En accélérant sa transition vers les énergies renouvelables, TotalEnergies doit faire évoluer des salariés recrutés durant l’âge d’or de l’exploration d’hydrocarbures vers les métiers de demain et dont beaucoup sont des seniors Pour ce faire, l’entreprise a créé un grand pôle pluridisciplinaire rassemblant des ingénieurs, techniciens, géologues et chercheurs dans le cadre du projet One Tech qui permettra à ces derniers de se former pour travailler dans l’éolien offshore, l’électricité ou le biométhane.

À la suite d’une enquête interne auprès des salariés révélant des failles, Saint-Gobain a de son côté « mis en place des contrôles et lancé des actions afin que chacun puisse bénéficier de formation, et ce quels que soient son âge et son ancienneté », indique Régis Blugeon, Directeur des ressources humaines France. Le groupe verrier a également conçu un cursus spécifique, intitulé « advanced management », destiné tout particulièrement à des responsables opérationnels expérimentés et lancé des programmes de « reverse mentoring », « qui mettent l’accent sur la transmission entre générations, notamment sur les sujets liés au digital. » Pour progresser encore, les entreprises doivent aussi mieux anticiper : « Elles affectent trop longtemps les salariés à des postes pénibles qui, passé la cinquantaine, sont usés et démotivés. C’est alors trop tard pour les former à d’autres métiers. Il faudrait dès la quarantaine les préparer à évoluer », préconise la sociologue Anne-Marieu Guillemard. Enfin un meilleur aménagement des postes de travail permettrait de réduire la pénibilité et d’allonger les carrières. Pionnier sur ce sujet, le constructeur BMW teste déjà dans son usine de Munich des exosquelettes pour les ouvriers effectuant des tâches répétitives.

Auteur

  • Frédéric Brillet