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« Investir dans la prévention entraîne un retour sur investissement »

Dossier | publié le : 01.03.2022 | Gilmar Sequeira Martins

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« Investir dans la prévention entraîne un retour sur investissement »

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Auteur de rapports sur la santé au travail, Charlotte Parmentier-Lecocq, député LREM, est aussi à l’initiative de la loi du 2 août 2021 pour le renforcement de la prévention dans la santé au travail. Elle détaille les tenants et aboutissants de ce texte qui doit entrer en vigueur à partir de mars 2022.

Quels objectifs poursuit la loi du 2 août 2021 ?

Charlotte Parmentier-Lecocq : Avec cette loi, nous inscrivons dans le marbre de la loi le document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp) et le plan d’actions qui en découle, les deux étant intrinsèquement liés. Ces deux éléments seront la colonne vertébrale de la démarche de prévention collective de l’entreprise. Elle sera appuyée par un accompagnement plus efficace des services de prévention et santé au travail (SPST) à travers l’offre socle qui doit permettre aux entreprises d’avoir une meilleure visibilité sur ce qu’elles peuvent attendre de ces structures. La loi renforce la prévention dans le suivi individuel du salarié dans une logique d’anticipation de l’impact des risques avec la visite de mi-carrière mise en œuvre par les cellules de prévention de la désinsertion professionnelle, en lien avec les actions de prévention qui permettront de déceler les signaux faibles. Nous avons renforcé la logique de prévention en créant l’infirmier en pratique avancée (IPA) qui doit permettre de compenser la démographie déclinante des médecins du travail. Les IPA pourront prendre en charge certaines missions par délégation du médecin et sous sa responsabilité, ce qui permettra le maintien d’un bon niveau de suivi médical. Pour ce qui est des médecins correspondants, nous n’y voyons pas une ressource compte tenu du manque de médecins généralistes sur plusieurs territoires. Plus globalement, la suppression du numerus clausus va permettre d’augmenter le nombre de médecins du travail.

Quel rôle attribuez-vous au médecin du travail ?

C. P.-L. : Nous avons repositionné le médecin du travail dans le parcours de soins de la personne. C’est pour cela que nous avons voulu décloisonner médecine de ville, médecine du travail et médecine publique. Que le médecin du travail ait accès au dossier médical partagé est une grande avancée. Cela lui permettra d’avoir une bonne compréhension de l’état de santé du salarié. La prévention s’appuiera aussi sur ce décloisonnement entre santé publique et santé au travail qui permettra de faire entrer des messages de santé publique dans les entreprises, qu’ils aient trait aux campagnes de vaccination, au sport ou d’autres thèmes. Dans le transport routier, il est possible d’imaginer des actions autour de la qualité du sommeil, indispensable pour travailler en sécurité. J’estime que les approches trop cloisonnées ne sont pas la bonne solution. Il y a aussi des priorités à établir et c’est là que les branches professionnelles et les partenaires sociaux ont un rôle à jouer pour bien articuler les priorités d’un secteur avec les orientations de santé publique. Suivre les publics exposés à des substances ou des produits dangereux reste au cœur du métier des médecins du travail mais il ne faut pas cloisonner les problématiques car elles peuvent être liées comme l’a démontré la crise sanitaire. Notre objectif, c’est que les personnes soient en bonne santé le plus longtemps possible.

Quels moyens seront mobilisés pour atteindre ces objectifs ?

C. P.-L. : Sur la question des moyens, il faut aller dans le détail. Dans mon rapport, je constate qu’il pourrait y avoir plus de synergies et de fluidité pour que le partage d’expertise permette de gagner en efficacité. L’INRS propose beaucoup de ressources par exemple, accessibles et faciles à utiliser mais le lien avec les SPST est difficile car ils sont nombreux. Les branches ont un rôle majeur à jouer dans l’étude des risques propres à leurs secteurs et à la mobilisation des ressources existantes pour proposer des outils adaptés. Pour ce qui est de la pénurie de médecins du travail, elle est avérée et elle va s’amplifier. La création des IPA doit permettre d’y répondre en partie tout comme, dans un contexte plus global, la suppression du numerus clausus. Investir dans la prévention entraîne un retour sur investissement. Tout le monde le reconnaît, même les organisations patronales. Les TPE ont le sentiment que la médecine du travail coûte très cher sans apporter de réelle valeur ajoutée. La création d’une offre socle a vocation à rendre très lisible ce à quoi a droit un employeur. Il pourra constater que cela ne se borne pas à la visite médicale mais comporte aussi du conseil pour établir le Duerp, élaborer le plan d’action pour la prévention et aussi la cellule de prévention de la désinsertion professionnelle. Cette réforme ne doit pas être utilisée pour conduire à une inflation des cotisations aux SPST. Certains SPST ont des tarifs vraiment bas par rapport à d’autres mais les évolutions tarifaires doivent rester restreintes et les employeurs ne doivent pas subir une inflation des cotisations. Nous avons prévu une sorte de « tunnel » dans lesquels doivent se situer les tarifs. Les tarifs devront rester dans une fourchette de 20 % autour d’un tarif moyen.

Quels éléments permettront de déterminer si les objectifs sont atteints ?

C. P.-L. : Le premier indicateur de succès sera le nombre d’entreprises qui se doteront d’un Duerp et d’un plan d’action de prévention. L’implication des branches sera un second indicateur important. Certaines branches sont déjà bien engagées dans cette voie mais certaines sont en panne, il faudra les inciter à se mobiliser. Il faudra compter deux à trois ans pour avoir un premier impact. D’autres mesures comme l’entretien de mi-carrière auront un impact plus progressif. Il sera mesuré par la baisse du nombre de déclarations d’inaptitude en fin de carrière. Nous avons mis au cœur de la loi les enjeux liés à l’organisation du travail car nous considérons que peuvent naître des risques dans la façon d’organiser le travail. Nous avons donc renforcé la question de l’organisation du travail et des conditions de travail et, en lien avec cette question, la prise en compte des RPS. Nous réaffirmons qu’ils font partie des risques à étudier. Nous voulons que l’organisation du travail réduise les RPS. Cet enjeu d’organisation du travail relève des préventeurs. Ils pourront faire des diagnostics et proposer des évolutions à l’employeur qui restera responsable des décisions. Le dialogue social à travers le CSE doit permettre de co-construire entre salariés et employeurs les conditions pour réaliser le travail sans altérer la santé des salariés. Il faut que les choses avancent avec le dialogue social, d’où le rôle important des branches. Le système est construit autour du dialogue social et des partenaires sociaux, tant au niveau national que régional et dans les entreprises.

Comment réduire le risque de sous-cotation lors de la réalisation du Duerp ?

C. P.-L. : Le risque de sous-cotation des risques existe mais l’employeur peut être aidé par les services de prévention. Dans la mesure où les branches s’impliqueraient en amont dans l’évaluation des risques, en ayant un dialogue social de qualité et des gens formés dans l’entreprise, il n’y a pas de raison a priori que les entreprises cherchent à minimiser les risques. Elles n’ont pas intérêt à minimiser les risques car cela peut être contesté. Cette loi ne marque aucun renoncement par rapport au suivi médical, nous avons ajouté l’entretien de mi-carrière. À l’obligation de prévention des risques avec le Duerp, nous ajoutons la possibilité de faire des actions qui dépassent les risques professionnels et qui auront impact global sur la santé des salariés. Ce qui est important, c’est la méthode de construction de ce texte. Il y a eu une volonté politique forte, portée par Édouard Philippe, puis par les parlementaires. Cette loi est atypique car il y a eu une co-construction entre les partenaires sociaux et les parlementaires.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins