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Votre reconversion, c’est leur boulot… et (surtout) un marché à part entière !

Décodages | Mobilité professionnelle | publié le : 01.03.2022 | Judith Chetrit

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Votre reconversion, c’est leur boulot… et (surtout) un marché à part entière !

Crédit photo Judith Chetrit

Difficile d’y échapper : des couvertures de magazines qui s’entichent de portraits de reconvertis comblés aux études décortiquant les incontournables métiers d’avenir, en passant par les publicités pour les bilans de compétence, les appels à la reconversion professionnelle bénéficient d’un écho inégalé. Certes, il faut bien distinguer l’aspiration du passage à l’acte, les motivations qui y mènent, les changements subis ou voulus, les trajectoires disparates et l’accès incertain à un nouveau job en fonction des tranches d’âge, des catégories socioprofessionnelles et des bassins d’emploi.

C’est précisément cette grande hétérogénéité des parcours et les difficultés à s’y retrouver qui alimente aujourd’hui un foisonnement d’offres publiques et privées, gratuites et payantes, à destination des salariés. « Se reconvertir, c’est du boulot ! », titrait récemment une étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq)en s’attardant sur les défis qui attendent les travailleurs non qualifiés. Ladite exclamation pourrait bien servir à dépeindre également la constellation existante de professionnels de la formation continue et de l’accompagnement qui se sont spécialisés dans les reconversions et les transitions professionnelles. Même le langage employé traduit cette souplesse : à qui le mot « reconversion »pourrait faire peur, optez aussi pour « repositionnement » ou « transition ». Conseil en évolution professionnelle, VAE, bilans de compétences, coaching, formations courtes ou longues : le champ des possibles s’étoffe et les pré carrés d’antan ne sont plus réservés à quelques acteurs mais laissent place à une nébuleuse de prestataires, tantôt dans leurs niches respectives, tantôt concurrentiels. Même les professionnels de l’outplacement élargissement leur cadre d’action : « depuis mon arrivée en 2015, nous avons développé différentes offres de bilans de compétences à l’initiative du salarié ou des entreprises », raconte Nathalie Le Sassier, directrice de cette activité au sein du cabinet de conseil Oasys qui a observé une croissance de 25 % entre 2020 et 2021. Cet essor a été notamment facilité par la monétisation du CPF et les récentes réformes de la formation professionnelle qui accordent une marge de manœuvre plus directe aux actifs souhaitant entreprendre un changement de métier ou de secteur. Sans compter le petit appel d’air suscité par la dotation de 100 millions d’euros supplémentaires, issue du plan de relance, fléchée vers les projets de transition professionnelle qui, malgré une division par deux de l’enveloppe globale, assurent le financement de dossiers de reconversions individuelles.

Un marché atomisé.

Personne n’a encore jamais estimé de manière fiable ce que représenterait le marché de la reconversion professionnelle en dizaines de millions d’euros mais rien qu’à analyser la sophistication des dispositifs et montages financiers associés ainsi que la concurrence grandissante, tous les profils et toutes les étapes deviennent des cibles. « Ce marché reste encore extrêmement atomisé et est en train de se structurer. L’offre n’est pas toujours bien référencée ou présentée telle quelle, donc il y a un travail de repérage important », estime Mathieu Hivet, cofondateur de Lafayette Associés, un cabinet de conseil spécialisé dans la formation. Prenons l’exemple du bilan de compétences qui peut représenter, en fonction des situations, une amorce de réflexion. Avec une moyenne de 50 000 personnes qui ont mobilisé leur CPF pour le financer à hauteur environ de 1 000 à 2 500 euros, il fait partie du podium des achats les plus courants sur la plateforme Mon compte formation. De quoi attirer une ribambelle de prestataires qui affinent leur marketing et jaugent les prix des concurrents. « Les vecteurs de communication ont complètement changé. C’est la première fois qu’on affichait nos prix. Vous retrouvez des tarifs qui varient du simple au quintuple », détaille Pascale Pestel, une consultante aguerrie.

Certains s’éloignent même du bilan de compétences et proposent de nouvelles formules. Une manière de se différencier est de proposer, comme Switch Collective et Somanyways, des ateliers collectifs, la constitution de binômes, un coaching individuel et un suivi d’exercices en ligne pendant plusieurs semaines ou mois pour échanger sur leurs carrières et esquisser des pistes de reconversion. « Tous arrivent avec une envie de reconversion mais très peu changent radicalement de métier », souligne Anaïs Georgelin, fondatrice de cette entreprise de 15 salariés en 2015. « Nous menons des études d’impact à 6 mois, 1 an et 2 an pour retracer ce qu’ils font et comprendre ce qu’ils ont retenu de notre accompagnement ». Chez Primaveras, fondé par deux enseignants en école d’ingénieur, l’issue est la remise d’un certificat « opérer des choix professionnels en environnement complexe ». Proposant la méthode d’origine québécoise « Activation du développement vocationnel et personnel », le co-fondateur Laurent Polet se félicite que le marché actuel « se soit étoffé en termes de solutions » car les bilans de compétences « ne peuvent pas convenir à tout le monde » en fonction notamment de leur temporalité et de l’état d’esprit de la personne au moment où ils sont réalisés. « Il y a une grande porosité entre le marché du coaching pro et le marché du bilan des compétences où l’accompagnement reste centré sur les individus et les motivations, pas tant la connaissance de la structure du marché du travail environnant », considère la sociologue Anne Jourdain qui a témoigné d’une recherche en cours lors d’un colloque organisé en janvier par le Cnam sur l’accompagnement des transitions professionnelles.

Dans ce paysage de premiers aiguilleurs, figurent également plusieurs centaines de conseillers en évolution professionnelle qui ne réalisent pas, eux, de bilans de compétences mais fournissent un premier niveau d’orientation avec plusieurs entretiens. Avec environ 150 000 premières sollicitations de salariés du secteur privé l’année passée, le recours à cet accompagnement gratuit est orchestré sur le terrain en région par des groupements d’entreprises qui ont remporté un appel d’offres estimé à 450 millions d’euros pour quatre ans. Pilotée par France Compétences, une première évaluation doit être réalisée courant 2022 car l’opérateur dispose à ce jour de peu de remontées sur les trajectoires des bénéficiaires. « C’est un service qui peut répondre à plusieurs demandes, pas uniquement en vue d’une reconversion », avance Véronique Dessen-Torrès, directrice des territoires et des partenariats de l’opérateur public. Manquant encore de notoriété, les conseillers en évolution professionnelle espèrent en accroître son ampleur grâce à une communication plus large auprès des entreprises et des branches professionnelles. « Tous les acteurs partagent le même cahier des charges, mais ils peuvent décliner des offres de services distinctes en fonction de leur maillage territorial », poursuit-elle.

Face à cette mosaïque d’acteurs, ce sont autant d’ingénieries d’accompagnement et de pratiques professionnelles qui se développent, se croisent voire se confrontent. Les modalités concrètes d’accompagnement varient, car les professionnels qui occupent ces fonctions peuvent venir d’environnements éclectiques comme la formation continue, l’insertion sociale, l’outplacement ou encore le développement personnel et pro. « Tout le monde revendique de faire du conseil au projet professionnel. L’opposition ou la comparaison avec d’autres acteurs est souvent mise en avant pour se singulariser.

Certains disent être mieux outillés avec des tests, d’autres trouvent que ceux-ci éludent l’importance de la réflexion ou de l’accompagnement », raconte Aurélie Gonnet, post-doctorante au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET).

Formations qualifiantes.

Au-delà de la certification Qualiopi désormais obligatoire pour bénéficier de fonds publics et mutualisés, le ministère du Travail espère remettre un peu d’ordre dans la qualité et le sérieux des offres proposées, en plus d’un accompagnement renforcé des acheteurs pour s’assurer de la prédominance de formations qualifiantes. C’est l’articulation et la complémentarité de ces acteurs qui est également en jeu pour accélérer l’efficacité et la concrétisation des projets de reconversion, surtout ceux souhaités et impulsés par les autorités publiques lesquelles doivent néanmoins composer avec les intentions des individus. Un enjeu stratégique de dimensionnement et d’orientation : « Nous avons besoin d’une vraie politique publique sur les reconversions. Si certains ne nécessitent pas forcément une formation professionnelle, il y a encore trop de peu de parcours et une confusion entre une formation et une certification », juge Philippe Debruyne, président (CFDT) de Certif Pro, tête de réseau des associations paritaires Transitions Professionnelles. Bien plus en amont, aux côtés de France Stratégie ou de centres de recherche universitaires, des cabinets oeuvrent précisément à préfigurer les besoins en compétences et les passerelles de formation au détour notamment de cartographies de l’offre existante. Les Opco et les branches professionnelles en sont friandes et sont plus ou moins avancées en la matière. Des écoles de commerce et d’ingénieur musclent aussi leur offre de formation continue pour s’adresser à ces publics en initiant des plateformes en ligne pour les aider à sélectionner des programmes en fonction de leurs parcours précédents. La réflexion est également de mise dans certains grands groupes qui ont déjà déployé de gros efforts d’ingénierie dans leurs centres de formation et universités d’entreprise. Et pas seulement pour leurs propres salariés en poste ou en cours de recrutement mais aussi d’autres actifs du territoire : à Clermont-Ferrand, Michelin est en train de peaufiner une « Manufacture des talents », aux contours encore flous, qui promet « un rapprochement entre secteurs privés et académiques » pour former « aux métiers de demain ».

Un accompagnement public méconnu ou trop formaté

Dans une étude en deux volets sur les reconversions professionnelles, France Compétences s’est notamment intéressée aux attentes des salariés et aux effets des accompagnements publics qu’ils avaient choisis pour un tiers d’entre eux, sans pour autant qu’aucun dispositif ne ressorte comme majoritaire. Pour plus de la moitié des actifs suivis, c’est surtout un premier canal d’entrée pour découvrir leur éligibilité à des aides financières ou faciliter le choix d’une formation. Toutefois, l’offre publique fait tant face à une méconnaissance des dispositifs existants qu’à des interrogations sur le modèle linéaire déployé sur le terrain. Résumé des critiques exprimées à leur égard : plutôt qu’une approche trop chronologique centrée d’abord sur les aspirations et l’identification d’un métier, les individus préféreraient être informés plus en amont sur la faisabilité, le financement de leur parcours et leur accès futur à un emploi.

Auteur

  • Judith Chetrit