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Quinze ans de service pour la DRH des armées

Décodages | RH | publié le : 01.03.2022 | Lucie Tanneau

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Quinze ans de service pour la DRH des armées

Crédit photo Lucie Tanneau

Créé en 2007, la DRH du ministère de la Défense a permis de rationaliser la masse salariale au sein de l’ensemble des armées et de pousser des politiques sociales, afin de répondre aux attentes sociétales qui rendent aujourd’hui plus difficile le recrutement au sein de l’armée professionnalisée.

Une restructuration interne plus qu’une révolution. Pour le sénateur Dominique De Legge (LR), la création de la DRH des armées, il y a quinze ans, est la simple « conséquence de la réorganisation de l’armée professionnalisée française ». Le 12 janvier 2007, la direction de la fonction militaire et du personnel civil est en effet devenue la direction des ressources humaines du ministère de la Défense, dite « DRH-MD ». Aujourd’hui, Thibaut de Vanssay de Blavous occupe ce poste, avec la responsabilité de 200 000 militaires, 65 000 agents civils et 270 000 personnels du Ministère. « Un poste exaltant alors que nous fonctionnons avec un modèle de flux, et non de stock, puisque nous recrutons (26 000 militaires cette année) et que nous devons préparer ceux qui sortent à une deuxième voire troisième vie, avec l’objectif de maintenir notre moyenne d’âge à 32 ou 33 ans », se réjouit l’intéressé. En 2007, lors de la création du poste, l’époque était aux vaches maigres. « Jacques Chirac a pris la décision de professionnaliser l’armée en 1996 et il n’y a plus eu d’appelé depuis 2001. Mais au milieu des années 2000 on s’est rendu compte que ce format des armées n’est pas tenable, car trop coûteux. La DRH-MD est créé dans ce contexte : avec un objectif très clair de cadrage financier », commence Frédéric Coste, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste des politiques de Défense. « On se rend compte alors qu’il faut une gestion beaucoup plus fine en matière d’effectifs », résume-t-il avant de rappeler le renforcement des capacités de pilotage octroyé ensuite en 2013 à la DRH-MD. « L’une des conséquences de la professionnalisation a été la refonte du statut général des militaires et l’adaptation du modèle RH des armées », rappelle aussi Michel Pesqueur (« Les ressources humaines, un enjeu stratégique pour les armées », Focus stratégique, n° 98, Ifri, juin 2020). Lié à la réorganisation des fonctions soutiens et à la création des bases de défense, la DRH-MD doit aussi gérer de nouvelles règles en matière de gestion du personnel alors que le statut général des militaires de 1972 a été révisé en 2005 sous l’impulsion de la ministre d’alors, Michèle Alliot-Marie. « Le nouveau statut modifie les droits et devoirs des militaires, leur protection juridique et les règles de gestion de leur carrière. En matière de gestion, il instaure entre autres une obligation de préavis avant démission, afin de mieux prévoir les départs à défaut de les prévenir », rappelle Michel Pesqueur dans sa note publiée par l’Ifri. « La gestion des RH – confiée au Groupe de soutien des bases de défense (GSBDD) depuis la création des bases de défense (BDD) – permet d’alléger les tâches des unités et de les recentrer sur leur métier », complète-t-il.

Quatre axes.

La mission du DRH-MD se décline en quatre axes : concevoir, décider et évaluer la politique générale des RH du ministère ; mettre en œuvre le dialogue social et élaborer les réglementations et normes propres à la fonction ; maîtriser la masse salariale et la « conquête des ressources » et mettre en œuvre le système d’information propre aux RH (SI-RH) permettant d’assurer un suivi en temps réel de la situation des effectifs. Les objectifs de féminisation (et de diversité) arrivent alors très tôt, alors que les viviers de recrutement traditionnel ne sont plus suffisants. Les mots-clés de cette « DRH groupe » sur le réseau social Twitter illustrent à eux seuls les objectifs de cette fonction : #Recrutement #Mixité #EgaliteFH #RH #PlanFamille #QVT #Reconversion #NotreDéfense.

Pour répondre à ces enjeux, le DRH-MD s’appuie sur treize services gestionnaires des ressources humaines (au sein des trois armées-Terre, Mer, Air, au sein du Service de santé, de la DGA…). « Le DRH a une fonction de cohérence entre ces services, ce qui est très important puisque les statuts des personnels qu’ils soutiennent ne sont pas les mêmes », poursuit Frédéric Coste. « Il y a eu un équilibre des tâches à trouver », reprend Jean Joana, professeur de Sciences politiques à l’université de Montpelier et spécialiste de la professionnalisation des armées. « Les états-majors n’étaient pas très contents de se voir retirer des compétences, mais il fallait éviter les doublons, et rationaliser, alors que Nicolas Sarkozy avait annoncé la suppression de 56 000 personnes. Le DRH met également en musique les objectifs de gestion des flux, de la masse, le pyramidale, les grades… Les armées doivent ensuite décliner cette politique générale », détaille-t-il, jugeant que la réforme a « été bien acceptée depuis ».

Quatres étapes.

Quatre grandes étapes, outre sa création, marquent l’histoire de la DRH-MD. Le lancement du logiciel unique à vocation interarmées de la solde (Louvois), d’abord, en 2011, qui vise à unifier la gestion et le paiement de la solde des armées, est un symbole de cette reprise en main unifiée. Un symbole qui tourne au fiasco en raison des erreurs de soldes. « C’est une étape puissante par son objectif d’avoir une politique de rémunération centralisée, mais son échec nous a coûté cher d’un point de vue relationnel et de l’argent public », reconnaît Thibaut de Vanssay de Blavous. « Aujourd’hui Source Soldes fonctionne et tout le monde est passé à autre chose », remercie-t-il. En 2015 ensuite, les attentats de Paris mettent fin à l’objectif de déflation du nombre de militaires et allègent les contraintes en termes de suppressions des effectifs. Au contraire, elles rendent plus cruciale encore les objectifs de recrutement et de fidélisation. « Avec la professionnalisation le recrutement est devenu très important, l’armée a besoin d’un personnel jeune et ce qu’offre l’armée n’est pas forcément compétitif par rapport à ce qu’offrent les entreprises civiles : c’est une fonction importante de la DRH », rappelle Jean Joana. Des enjeux bien identifiés par les DRH-MD successifs qui aboutissent au lancement, sous l’impulsion de la ministre des Armées, Florence Parly, au plan Famille (2017) puis au plan Mixité (2019). « Le gestionnaire doit travailler toujours plus à maîtriser les flux et sa masse salariale, en jouant sur la fidélisation des effectifs et en attirant de nouvelles générations aux capacités et aux aspirations différentes de celles de leurs aînés », confirme Michel Pesqueur. « Quand vous cherchez à un sous-marinier mais que vous expliquez à un jeune que sa mission va le conduire loin de son domicile, et sans connexion pendant deux mois, ça commence à devenir compliqué de trouver des candidats. Les objectifs contraignants de l’armée et le contexte social ne sont pas toujours compatibles. Le DRH permet d’intégrer cette donnée-là et d’anticiper. Avant, ce sujet était réfléchi de manière locale. Il est désormais porté par l’ensemble de l’institution », encourage Dominique De Legge. Lors d’une audition parlementaire, en mars 2016, Anne-Sophie Avé, alors DRH du ministère, avait déjà ciblé des efforts à produire sur les conditions de travail, les rémunérations et primes, le soutien aux familles, la formation continue et aide à la reconversion. Plusieurs plans lancés depuis 2013 ont permis la mise en place de mesures de compensation de la suractivité, de revalorisation de la prestation de soutien en cas d’absence prolongée du domicile et des incitations spécifiques existent depuis 2016, pour certaines catégories de spécialistes dont le recrutement et la fidélisation constituent des priorités (maintenanciers d’aéronefs, contrôleurs aériens, pilotes de drones…). « Les contraintes de la vie au sein de l’armée sont moins acceptées par la société aujourd’hui, c’est au cœur de mes préoccupations quotidiennes », concède Thibaut de Vanssay de Blavous, qui rappelle le Plan Famille (2019) pour accompagner les conjoints dans le retour à l’emploi, le partenariat avec les crèches Yoopies pour les gardes d’enfants signé l’an dernier (3 000 familles inscrites), le « wifi déployé partout pour que le militaire ait une connexion et garde contact avec sa famille »… « Être DRH du ministère de la Défense c’est avoir une vision extrêmement large avec des outils puissants de gestion, non seulement d’une compétence, mais d’une famille entière », complète-t-il citant le plan Mixité, « qui réfléchit à la manière de concilier la vie de militaire avec une aspiration de maternité ».

Reconversion.

La gestion de carrière et la reconversion de personnel, encore jeune à la sortie des armées, fait aussi partie des objectifs de la DRH depuis sa création alors que certains peuvent avoir la tentation de partir encore plus tôt pour chercher du travail dans le civil à 45 ans, par crainte de trouver plus difficilement cinq ou dix ans plus tard… Dès 2009, le DRH-MD a lancé « Défense mobilité », à partir du regroupement des services de reconversion de chaque armée. « L’organisme accompagne chaque année 20 000 militaires, y compris des gendarmes, civils et conjoints dans leur démarche de reconversion. Son budget en 2020 est de l’ordre de 32 millions d’euros », détaille Michel Pesqueur. « Défense Mobilité » dispose d’outils d’aide à la reconversion tels que le Centre militaire de formation professionnelle (CMFP) destiné notamment aux militaires du rang dont le métier n’a pas d’équivalent dans le monde civil », poursuit-il. « Aujourd’hui, le DRH des armées a trouvé sa place. Dans le contexte d’une armée professionnelle la problématique de sortie des effectifs sur le civil est cruciale pour permettre aux armées de recruter et la DRH s’est bien saisie de ces questions », analyse Jean Joana. La nomination d’un DRH militaire, comme c’est le cas depuis 2018 (Philippe Hello puis Thibaut de Vanssay de Blavous), a aussi terminé d’installer ce nouvel échelon. « C’est de l’ordre du symbolique, comme un signe que l’on remet les RH au centre », confirme le sénateur De Legge. « Avoir un DRH militaire favorise la confiance et la relation entre le DRH et l’ensemble de l’institution », analyse-t-il, même si pour le DRH actuel, « cela ne change rien » (lire ITV ci-dessous). « Le DRH actuel et son adjointe sont tous les deux issus du contrôle budgétaire, ce qui continue surtout de montrer que malgré la période de vaches grasses actuelle, le contrôle budgétaire demeure une forte priorité », conclut Frédéric Coste.

Auteur

  • Lucie Tanneau