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Pénicaud à l’OIT : la candidature qui divise

Décodages | Organisation internationale du travail | publié le : 01.03.2022 | Maxime François

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Pénicaud à l’OIT : la candidature qui divise

Crédit photo Maxime François

 

La candidature de Muriel Pénicaud à l’élection pour la direction de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui doit se tenir le 25 mars prochain divise le champ social français. Si certains syndicats ne sont pas opposés à sa candidature pour éviter un directeur général trop ostensiblement patronal, son passé de ministre du Travail d’Emmanuel Macron lui aliène plusieurs soutiens.

« Une campagne virulente », « des syndicats français en ordre dispersé », « des coups bas »… C’est une féroce bataille qui se joue à l’échelle mondiale et nationale pour la direction de l’Organisation internationale du travail (OIT), la seule agence onusienne au format tripartite où se côtoient représentants des États, des syndicats et des mouvements patronaux. La course à la succession du directeur général en partance, l’ancien syndicaliste britannique Guy Ryder, sur le départ, est très engagée. Du côté français, le scénario est unique et la candidature particulièrement sensible. Est-ce une ancienne ministre du Travail qui prendra prochainement les rênes de l’organisation internationale censée défendre les travailleurs, fabriquer de la norme sociale et la faire appliquer ? C’est le pari de Muriel Pénicaud, victime collatérale du changement de Premier ministre en juillet 2020. L’équation est particulièrement complexe pour l’ancienne locataire de la rue de Grenelle (de mai 2017 à juillet 2020), nommée il y a un an ambassadrice, représentante permanente de la France auprès de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Elle figure aujourd’hui parmi les cinq candidats – dont deux femmes et deux Africains (voir encadrés) – à la succession du Britannique. Comme tous les prétendants au poste, elle a déjà été auditionnée publiquement il y a un mois par les représentants de cette organisation. Une présentation en forme de questions-réponses durant laquelle elle a logiquement mis en avant son bilan de ministre et son expérience du dialogue social. « Nous avons travaillé sur une loi d’égalité homme-femme, avec une obligation de transparence et un indice, tout cela a été conçu conjointement avec les partenaires sociaux, accepté par les entreprises et le monde du travail […] a-t-elle notamment avancé. J’ai employé ma méthode, j’ai partagé le diagnostic, j’ai discuté avec les partenaires, puis j’ai travaillé à un outil de mesure, une méthodologie qui s’inscrit dans un contexte où l’on peut discuter sur une base tripartite. »

Un passé qui ne passe pas.

En attendant la dernière ligne droite et l’élection, le 25 mars, elle devra répondre une dernière fois aux questions des votants, le 15 mars. Consciente que tous les scénarios et rebondissements sont possibles, la candidate mène une campagne tambour battant : ces derniers mois, Muriel Pénicaud s’est ainsi rendue en Asie, a voyagé de New-York et Washington à Moscou et du Mexique à l’Afrique à la rencontre de ministres, de leaders syndicaux et d’employeurs. La bataille de l’opinion est également menée sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, où toutes ses rencontres internationales sont détaillées. Mais ces efforts suffiront-ils pour qu’elle devienne la première femme à diriger l’une des organisations phare du système onusien et de l’écosystème international genevois ? En un siècle, ce plafond de verre n’a jamais cédé. Pour la candidate française, la mission est ardue. D’une part, un autre Français s’y est déjà cassé les dents lors du précédent renouvellement, en 2012. Gilles de Robien était pourtant habitué des arcanes de l’OIT : il y représentait depuis cinq ans la France, qui y dispose d’un poste permanent comme dix autres pays sur les 28 siégeant au conseil d’administration. D’autre part, et c’est le principal obstacle de Muriel Pénicaud : malgré le soutien du gouvernement français – accordé en dépit de sa critique avant l’été du calendrier de la réforme de l’assurance-chômage, qu’elle avait elle-même lancé – celle qui fut tantôt directrice générale adjointe chez Dassault Systèmes, tantôt directrice des ressources humaines chez Danone, va devoir composer avec les oppositions virulentes de plusieurs syndicats français, d’élus de gauche ou de personnalités associatives et intellectuelles. En cause : son action rue de Grenelle au début de la crise du Covid, qui a fait l’objet d’une plainte en avril 2020 des syndicats CGT, FSU, SUD et CNT sous la forme d’une « demande d’intervention urgente » à l’actuel directeur général de l’OIT pour non-respect de l’indépendance de l’Inspection du travail, un sujet très sensible dans l’organisation. « Pour Solidaires, la nomination de Muriel Pénicaud à cette institution censée défendre avant le droit des travailleurs est un très mauvais signal. Ses réformes ont abouti à plus de précarité des salariés », tacle ainsi la codéléguée générale du syndicat, Murielle Guilbert. Récemment, une autre charge, sous forme de tribune, a été publiée dans le quotidien « L’Humanité ». L’initiative de ce texte, un missile en pleine campagne, revient à la députée (LFI) Mathilde Panot et au porte-parole de Génération.s, Thomas Portes, également coprésidents du comité de soutien à Anthony Smith, ainsi qu’à ce dernier – un inspecteur du travail responsable syndical au ministère du Travail suspendu en avril 2020 pour avoir réclamé qu’une société d’aide à domicile fournisse des masques à ses salariés alors que ces équipements de protection n’étaient pas encore obligatoires. Les auteurs du texte dressent un portrait au vitriol de l’ancienne ministre, voyant un possible « danger » à sa désignation à la tête de l’organisation. Ils l’accusent notamment d’avoir commis « plus de 670 infractions à la réglementation du travail » lorsqu’elle était à la tête de Business France, cet organisme public voué à la promotion de l’image économique de la France à l’étranger, mais aussi d’avoir été comme ministre « l’architecte en chef d’une politique de précarisation et de casse des droits des travailleuses et des travailleurs ». Revenant sur la mise à pied d’Anthony Smith, ils soulignent que ce dernier a été « réintégré ». Ils perçoivent ainsi dans la candidature de Muriel Pénicaud à la tête de l’OIT « à la fois une provocation pour des millions de salariés mais aussi un signe très clair de la volonté du gouvernement français de poursuivre la casse des droits et la flexibilité du marché du travail à l’échelle mondiale ».

« Attention, au candidat sud-africain, celui des employeurs ! »

Du côté de la CGT, la position est claire et assumée : « Madame Pénicaud m’a contacté pour me demander notre soutien, mais notre position à son sujet n’a pas changé, je le lui ai répété ! » assène Philippe Martinez. Une fin de non-recevoir confirmée, sans surprise, par l’un de ses prédécesseurs à la tête de la centrale de Montreuil, Bernard Thibault. Ancien représentant syndical au sein du conseil d’administration de l’OIT, ce dernier enfonce le clou : « Son bilan de ministre du travail est mauvais et aucun syndicat ne la soutient officiellement. » […] Jusqu’à présent, du moins… Béatrice Lestic (CFDT), qui représente les travailleurs français au conseil d’administration du Bureau international du travail pour la CFDT, et sera à ce titre sera amenée voter selon une position commune des représentants des travailleurs, objecte : « Il faut de la discipline du côté des travailleurs ! Ce n’est pas de cette manière qu’une campagne se mène et l’OIT n’est pas le lieu des débats et batailles françaises. Même si nous partageons des critiques sur ses réformes, notamment sur les ordonnances et la réforme du chômage, la CFDT ne se solidarise pas de la croisade de la CGT contre la candidature de Muriel Pénicaud. » Selon la cédétiste, l’objectif de la « position commune » dont discutent aujourd’hui les représentants des travailleurs européens poursuit l’objectif d’aboutir à la garantie d’un « mandat serein ». « Car il n’agit pas seulement d’écarter Muriel Pénicaud, ajoute-t-elle, mais de savoir renouer avec les pratiques normatives à destination des travailleurs. Attention, au candidat sud-africain, celui des employeurs ! Son élection serait une catastrophe pour les travailleurs, d’autant qu’il n’y a pas de candidat naturel de leur côté ». Une position partagée côté réformistes. Cyril Chabanier, président de la CFTC, assure « ne jamais s’opposer à une candidature française ». Le patron de la centrale chrétienne voit par ailleurs dans l’élection éventuelle de Muriel Pénicaud une opportunité de promotion du dialogue social, conservant d’elle le souvenir « d’échanges respectueux et de qualité lorsqu’elle était ministre ». Une position que l’on retrouve également dans les rangs de FO, même si le débat y est encore vif. « Malgré tous nos désaccords sur la politique nationale, ce n’est pas le moment de casser du sucre sur sa candidature », glisse « mezzo voce » un cadre de l’organisation de l’Avenue du Maine. Le patronat, de son côté, joue la prudence. « Nous ne nous exprimons pas à ce sujet, le vote est à bulletin secret. Il peut se passer encore plein d’événements et de jeux d’acteurs que l’on ne maîtrise pas. Ce n’est pas le moment de communiquer », résume-t-on du côté du Medef. D’autant plus que cette année, le clivage comprend aussi une dimension internationale. « Il existe une forte pression pour qu’un Africain prenne les commandes de l’OIT », indique un fin connaisseur du dossier. « Le clivage Europe-Afrique est actuellement le plus important au sein de l’organisation. C’est un autre plafond de verre qui pourrait céder », reconnaît l’entourage de la candidate hexagonale. Une évolution dans les rapports Nord-Sud logique et naturelle car depuis sa création, il y a plus d’un siècle, la direction de l’OIT a toujours été occupée par les Français et les Anglo-Saxons. À suivre…

Un jeu de chaises musicales

Unique à l’échelle onusienne dans son fonctionnement, l’élection à la tête de de l’Organisation internationale du travail (OIT), l’agence spécialisée de l’ONU crée en 1946 pour défendre les intérêts des travailleurs, fonctionne comme un jeu des chaises musicales : à chaque tour, celui qui a recueilli le moins de voix est éliminé. S’il n’y a pas de désistement, le scrutin qui aura lieu le 25 mars 2022 se déroulera donc en quatre tours. Le conseil d’administration tripartite compte 56 membres : 28 représentants les pays, 14 les salariés et autant les employeurs.

Des entretiens publics avec les candidats au poste de directeur général de l’organisation onusienne ont déjà eu lieu jeudi 20 et vendredi 21 janvier 2022 – et sont toujours accessibles sur le site internet de l’OIT et enregistrés sur le site Internet de l’OIT en sept langues : allemand, anglais, arabe, chinois, espagnol, français et russe.

Concrètement, chaque entretien consiste en une brève présentation par le candidat de sa vision, suivie de 16 questions par les mandants tripartites de l’OIT. Les groupes des employeurs et des travailleurs ont posé chacun quatre questions et le groupe du gouvernement en a posé huit. Les cinq candidats à la direction de l’Organisation du travail sont, dans l’ordre de leurs présentations, Gilbert Houngbo du Togo, Kang Kyung-wha de la République de Corée, Mthunzi Mdwaba d’Afrique du Sud, Greg Vines d’Australie et Muriel Pénicaud de France.

Prochaine étape ? « Après les entretiens publics, se tiendront les audiences des candidats par les membres du Conseil d’administration de l’OIT au début de leur prochaine session le 14 mars 2022 », indique l’OIT. Le scrutin de l’élection aura lieu le 25 mars et le résultat sera rendu public. Le mandat du nouveau Directeur général commencera le 1er octobre 2022.

Auteur

  • Maxime François