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Décodages

Éducateurs spécialisés : la longue route vers la reconnaissance

Décodages | Revalorisation des métiers | publié le : 01.03.2022 | Valérie Auribault

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Éducateurs spécialisés : la longue route vers la reconnaissance

Crédit photo Valérie Auribault

Ils faisaient partie des oubliés du Ségur de la santé. Les éducateurs spécialisés, des métiers non reconnus, déjà en souffrance, ont été revalorisés par le Gouvernement lors de la Conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social.

« Nos pansements ne se voient pas. Mais nous effectuons des soins au quotidien. » Angéline, éducatrice spécialisée au sein d’un foyer pour adultes en situation de handicap, a vécu l’éviction de sa profession de la prime du Ségur comme une injustice. Les éducateurs spécialisés, qui interviennent auprès d’enfants, d’adolescents et adultes porteurs d’un handicap ou présentant des troubles du comportement, étaient considérés comme des personnels non-soignants. Pour ces derniers, pas de prime de 183 euros prévue par le Ségur de la Santé voulu par le gouvernement. Une prime entrée en vigueur au 1er octobre 2021. En juillet 2020, l’ensemble des acteurs du secteur de la santé se réunissait pour s’entendre sur un plan « massif d’investissement et de revalorisation », selon le gouvernement, de l’ensemble des carrières de l’hôpital. L’objectif : donner « des moyens et des perspectives nouvelles à l’hôpital et aux professionnels de santé de ville et du secteur médico-social ». Un plan de plus de 9 milliards d’euros pour reconnaître et revaloriser les métiers du soin, 19 milliards d’euros pour relancer l’investissement en santé. Ainsi, les accords du Ségur de la santé permettaient une revalorisation de 183 euros nets par mois pour tous les personnels hospitaliers paramédicaux (infirmiers, aides-soignants…) et non médicaux (administratifs, agents techniques…) des hôpitaux, des cliniques et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) des secteurs publics et privés non lucratifs. Les personnels des établissements et services médico-sociaux (ESMS) qui accompagnent les personnes handicapées n’étaient pas concernés par ces accords. Beaucoup ont dénoncé le fait que seuls les personnels d’établissements dépendant de l’Agence régionale de santé (ARS) percevaient cette prime. Les personnels soignants et éducatifs rattachés aux conseils départementaux, eux, étaient exclus du dispositif.

Soignants du quotidien.

Pourtant, chaque jour, Angéline estime prodiguer des soins aux résidents dont elle a la charge au sein du foyer : pour le lever chaque matin, lors de la douche, pour se rendre aux toilettes, s’alimenter… Mais pas seulement. « Nous travaillons à l’autonomie des personnes et à leur bien-être », ajoute-t-elle. Diplômée d’un bac+3, Angéline perçoit environ 2 100 euros par mois grâce à sa prime d’internat et enchaîne des journées aux horaires conséquents : de 7 h 45 le matin à 21 heures le soir. Elle est aux côtés des résidents un week-end sur deux avec une rémunération supplémentaire de 25 % et non 50 % « car le conseil départemental n’a pas d’argent », déplore-t-elle. « Ce qui me révolte, c’est que pendant un an, notre foyer de vie a été dépourvu d’infirmières. Durant toute cette période, j’ai dû combler cette absence. J’ai donné les médicaments aux résidents, soigné les escarres, posé des sondes de gastrostomie, effectué des injections intra-rectales… Des gestes que j’ai appris sur le terrain. Les infirmières sont arrivées par la suite et j’ai dû les former. Ce n’est pas le rôle d’une éducatrice spécialisée. Ce n’est pas normal. Pas plus normal que de ne pas être considérée comme soignante. » Une situation que partage Janie, également éducatrice spécialisée en accueil de jour, membre du CSE et déléguée du CHSCT au sein du foyer. Cette dernière accompagne le quotidien d’adultes qui sont au foyer durant la journée mais rentrent au domicile familial le soir. « Nous mettons en place des projets en fonction des besoins et capacités de chacun. Certains d’entre eux rencontrent des difficultés pour conserver la mobilité de leurs mains. Nous travaillons alors davantage la motricité fine. D’autres ont besoin d’un accompagnement psychologique. Pour certains, nous sommes leurs mains, leurs bras, pour manger, procéder au change… C’est tout aussi crucial que de faire un pansement ou une prise de sang. Nous faisons en sorte que les personnes tiennent jour après jour. » En poste d’accueil de jour uniquement, Janie n’est pas présente les week-ends et perçoit une rémunération de 1 780 euros nets par mois après 12 ans d’expérience. « J’aime mon métier. La relation humaine est très forte, explique-t-elle. Mais je commence sérieusement à réfléchir à une reconversion car je suis prise à la gorge à la fin de chaque mois. »

Secteur en crise.

Le secteur peine à conserver ses personnels pour de multiples raisons. La rémunération en fait partie. Les éducateurs spécialisés ne perçoivent que 1 300 euros par mois en début de carrière. Le salaire net médian, lui, n’est que de 1 770 euros par mois. Amélie, agent de soins en reconversion professionnelle depuis deux ans, perçoit 1 250 euros par mois. Autrefois maître-nageuse sauveteuse, elle souhaitait poursuivre son parcours professionnel dans le domaine de « l’humain et du bien-être. Je voulais être utile », indique-t-elle. Autre difficulté, la pénibilité. « Les personnes dont nous avons la charge souffrent de handicaps physiques mais aussi mentaux. Certains ont des troubles du comportement, poursuit Janie. Nous travaillons dans les cris des résidents. Ce sont des métiers qui nécessitent beaucoup de patience, d’empathie. » Pour leur permettre de souffler et d’évacuer, une fois par mois un groupe d’analyse des pratiques se déroule avec une intervenante extérieure. « Cela nous permet notamment d’évoquer certaines difficultés », indique Janie. Mais ces groupes ne permettent pas de répondre aux autres maux de ces professionnelles, des femmes pour la majorité : les tendinites, les douleurs dorsales notamment à cause des corps parfois inertes qu’il faut soulever, porter. « Ce métier, je veux le faire avec mon coeur, reprend Angéline. C’est une vocation. Nous ne travaillons pas avec des objets mais avec de l’humain. » Le manque de reconnaissance pour l’engagement des éducateurs spécialisés termine de plomber la filière. Amélie, désormais active aux côtés de personnes polyhandicapées, explique qu’elle s’occupe « chaque jour d’adultes souffrant de déficience mentale, de maladies évolutives, dégénératives, de malvoyants, de personnes sourdes et muettes. Certaines d’entre elles sont dans ces foyers depuis près de trente ans. Le quotidien est très lourd. à leurs côtés, j’estime être une soignante à part entière. » Tout comme Angéline, Amélie assiste voire remplace les infirmières « lorsqu’elles n’ont pas le temps d’assurer certains soins comme les pansements ou pour retirer les sondes urinaires. Je n’ai pas compris que nous ne soyons pas considérées comme des soignants et que nous nous retrouvions exclues du Ségur », regrette-t-elle. « Ces glissements de tâches sont problématiques car dangereuses en cas d’incidents, estime pour sa part Pascal Corbex, secrétaire général de la fédération nationale de l’action sociale Force Ouvrière (FNAS-FO). Ce ne sont pas à ces personnels d’assurer ces gestes. Il faut des embauches. » Or, le secteur peine à recruter du fait de ce manque d’attractivité. La non-reconnaissance du gouvernement à enfoncer le clou. « Le Ségur n’a pas été jusqu’au bout. Le gouvernement s’est contenté de mettre des pansements sur des professions peu reconnues, peu rémunérées alors que ces professionnels ont des conditions de travail difficiles et que beaucoup quittent ces métiers par manque de sens et de reconnaissance. Tout ceci n’est pas acceptable », avait dénoncé Xavier Deharo, président de la fédération CFE-CGC Santé-Social en janvier dernier.

Revalorisation et convention collective unique.

« La colère monte, il ne faut pas lâcher », expliquait également Delphine Depay, membre de la direction fédérale CGT des services publics en charge de la filière médico-sociale, en janvier dernier, alors que s’enchaînaient les mobilisations sur le terrain. Depuis décembre 2021, des manifestations d’ampleur ont rassemblé des professionnels du secteur social et médico-social dans toute la France. « C’est exceptionnel, note aujourd’hui Delphine Depay. Car l’activité de ce secteur ne permet pas à ces professionnels de se mobiliser habituellement. Mais ils sont à bout de souffle. On ne peut pas être en position d’aidant quand on ne parvient pas à boucler ses fins de mois. » La ténacité a finalement payé puisque le Premier ministre, Jean Castex a annoncé, le 18 février dernier, lors de la très attendue Conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social, une rallonge de 1,3 milliard d’euros au secteur. Les professionnels de cette filière vont, dès avril 2022, bénéficier, à leur tour, du complément de traitement indiciaire (CTI) de 183 euros net par mois. Cela représente 140 000 emplois équivalents temps plein (ETP) dans le secteur privé non lucratif et 29 000 ETP dans le secteur public. « Ces métiers sont aujourd’hui en crise. Il faut ouvrir une véritable dynamique dans cette filière », a reconnu Jean Castex. « C’est une excellente nouvelle », admet Delphine Depay. Mais la filière revient de loin. « La prime de 183 euros, c’est un début. Mais ce n’est pas la panacée. En tout cas, c’est loin d’être à la hauteur des qualifications de ces personnels. Nous obtenons des avancées petit bout par petit bout. » De son côté, Xavier Deharo a salué la mise en oeuvre d’un Comité des métiers socio-éducatifs pour organiser dans la durée le pilotage des différents chantiers. Ce comité sera garant de la gestion prévisionnelle des effectifs du secteur, de la rénovation de l’architecture des qualifications et des diplômes ou de l’amélioration des outils de contractualisation pour améliorer la qualité du travail des professionnels et faciliter l’innovation. Certaines actions concrètes devraient être rapidement mises en oeuvre. Un investissement de 120 millions d’euros sur 3 ans sera alloué à la formation des professionnels ainsi que le renforcement de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Il a également été annoncé un plan d’amélioraton de la qualité de vie au travail pour favoriser les conditions d’exercice de ces métiers. L’Etat souhaite également unifier les différentes conventions collectives. « Cela répond à nos demandes, s’est félicité Xavier Deharo à l’issue de la Conférence. Nous serons autour de la table pour négocier au mieux cette convention unique afin qu’il n’y ait pas de perdants. Nous avons engagé trop d’énergie, trop d’espoirs depuis le début. Il faut que chacun prenne ses responsabilités. » Gouvernement, employeurs et syndicats, chacun semble aujourd’hui disposé à soutenir la filière. Malgré tout, des oubliés demeurent une fois de plus : « Les filières administratives, toutes les fonctions support mais aussi les personnels de la petite enfance, les aides à domicile et les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ne sont toujours pas pris en compte », regrette Delphine Depay qui martèle que « ces métiers sont essentiels. Le 31 mars, nous seronsdans la rue. On ne lâche rien. »

Auteur

  • Valérie Auribault