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CléA, le redémarrage

Décodages | Formation | publié le : 01.03.2022 | Dominique Perez

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CléA, le redémarrage

Crédit photo Dominique Perez

Six ans et une réforme de la formation après sa création par les partenaires sociaux, où en est CléA ? Cette certification permettant l’acquisition ou le renforcement du socle de compétences dites « de base » pour accéder à la formation ou à l’emploi, est d’abord un outil de (re)prise de confiance en soi, soulignent ses partisans. Après les chômeurs, va-t-elle se diffuser également auprès des salariés ?

Lancée avec enthousiasme en 2016, la certification CléA, visant à valider et à permettre d’acquérir un socle de compétences pour un public non qualifié, reprend des forces. Victime de la réforme de la formation de 2018, elle a peiné à retrouver sa place dans des dispositifs alors chamboulés. En premier lieu la disparition du Copanef, (Comité interprofessionnel pour l’emploi et la formation) son organisme créateur et gestionnaire. « En 2019, nous n’avions plus de structures pour prendre en charge CléA et le financer, explique Philippe Debruyne, ancien dirigeant du Copanef pour la CFDT et aujourd’hui président fondateur de Certif Pro, l’association paritaire des certifications professionnelles délivrant les certifications CléA et CléA numérique. « Certif Pro a ensuite été créé pour prendre le relais, mais sans budget spécifique et sans salarié à l’origine. On imaginait que le CPF suffirait à le financer pour les salariés. » Côté demandeurs d’emploi, pas mieux. « L’État pensait que les Régions prendraient rapidement en charge CléA grâce aux Pactes régionaux d’investissement dans les compétences (PRIC), sauf qu’il y a eu une erreur d’appréciation : les marchés des PRIC ne concernaient pas l’évaluation, mais uniquement la formation. Or, dans le processus CléA le positionnement préalable de la personne est déjà un acte formatif. » En dehors de la région Hauts-de-France, qui est parvenue à l’intégrer très tôt dans ses financements, CléA ne trouve pas sa place. « On s’est battu pour obtenir un marché national, ce qui fut fait à partir de fin 2019 » poursuit Philippe Debruyne. 15 millions d’euros ont ainsi été votés dans le cadre du PIC (Plan d’investissement dans les compétences) mobilisables à hauteur de 450 euros pour l’évaluation préalable et 250 euros pour l’évaluation finale. Alors que son déploiement était dans les tuyaux à la rentrée 2019, la crise sanitaire de 2020 ralentit considérablement le mouvement. Last but nos least, un autre « détail » apparaît, qui fait plus que freiner l’accès de CléA aux salariés : accessible et financé dans le cadre de la période de professionnalisation, Cléa fut également victime de la suppression de ce dispositif. « Nous avons obtenu dans l’ordonnance coquille du 23 août 2019 que CléA soit éligible de droit à la ProA, qui remplace la période de professionnalisation », explique Philippe Debruyne. Le décret d’application, pour des raisons obscures, n’est publié qu’en mars 2020. Période peu propice à un déploiement…

« Valoriser les savoirs déjà acquis ».

Le voyant est aujourd’hui à nouveau vert, même si les chiffres, assez modestes, reflètent le retard à l’allumage vécu par la certification. 150 000 personnes ont été évaluées, dont environ 20 à 25 % ont obtenu la certification totale à ce jour, dont près de 85 % de demandeurs d’emploi. Dans un contexte où la notion de « compétences » prend toute sa place, notamment dans le cadre des transitions professionnelles, CléA semble bénéficier d’une aura favorable. Le socle de compétences défini par les partenaires sociaux comprend certes des savoirs « traditionnels », comme la communication en français ou l’utilisation des règles de base de calcul et de raisonnement mathématique, mais surtout des aptitudes acquises par l’expérience : travailler en équipe, en autonomie, capacité « d’apprendre à apprendre » ou de maîtriser des gestes et postures, avoir le respect des règles d’hygiène ou de sécurité… Comprenant sept domaines, 28 sous-domaines et 108 critères d’évaluation, CléA a pour grand avantage « de ne pas mettre les personnes en situation d’échec, résume Philippe Debruyne. Certains souhaitaient, à l’origine, se limiter aux savoirs en français et en mathématiques. Cela aurait été une grave erreur. L’idée n’est pas de tant de mesurer les écarts mais de valoriser ce que les personnes maîtrisent déjà. Par exemple, la compétence « apprendre à apprendre » est très importante. On peut dire aux personnes « nous allons certes vous accompagner dans votre parcours, mais vous avez le potentiel pour apprendre, c’est positif ».

Pour Celia Potdevin, dirigeante de l’association Les Anges Gardins, basée à Vieille-Eglise (Pas-de-Calais), association d’insertion et de tiers-lieux autour des métiers de l’alimentation (maraîchage, livraison de fruits et légumes biologiques transformation, conditionnement, restauration) il s’agit effectivement et avant tout d’un outil de remise en confiance. « Il faut déconnecter l’évaluation et l’acquisition de compétences de tout ce qui est scolaire, éviter de rappeller à des personnes éloignées de l’emploi des souvenirs douloureux, leur montrer qu’elles ont des aptitudes, notamment celle d’acquérir des nouvelles connaissances. » Ses 70 salariés en insertion sont en grande majorité des bénéficiaires du RSA, dont des femmes se retrouvant seules après de longues années sans exercer d’activité professionnelle et pour lesquelles se repositionner sur le marché de l’emploi relève souvent du parcours du combattant. « La plupart des formations qui leur seraient nécessaires pour s’insérer nécessitent des prérequis qu’elles n’ont pas toujours, explique la dirigeante. Ne serait-ce que pour passer le permis de conduire, ou pour interpréter une feuille de route pour les livraisons pour lesquelles il faut savoir lire et, ou en restauration, pour prendre les commandes… » Face à de mauvais souvenirs d’école, à une dévalorisation souvent insidieuse de ses capacités et de ses connaissances, difficile de faire face sereinement.

L’illettrisme, hors du champ de CléA.

La première étape, celle de l’évaluation, d’une durée maximum de 7 heures suffit dans un cas sur deux pour les salariés de l’association, à acquérir la certification par une validation des compétences. « Le principe est de ne pas encore une fois placer les personnes dans un système d’évaluation classique, mais de les mettre en situation, explique Grégoire Fratry, secrétaire général des Urof (Fédération nationale des unions régionales des organismes de formation), réseau certificateur de 140 organismes de formation habilités CléA. « Cette phase dure environ trois heures, où les candidats sont placés dans diverses situations de travail, avec des jeux de rôles. Par exemple, prendre un message suite à un appel téléphonique, se mettre en situation de gérer un planning, d’envoyer un mail… » Si nécessaire, les formations sont ensuite organisées avec un parcours individualisé, par modules de 14 heures à 28 heures, dans le but d’acquérir le certificat. La sélection, avant même l’évaluation du public concerné est primordiale. Considérée parfois comme un outil permettant de remédier à l’illettrisme, CléA « n’a pas du tout cette vocation, et n’est pas destinée à ce public », souligne Philippe Debruyne. Il en permet parfois la détection, mais n’en est pas le « remède ». « Dans environ 5 % des cas peut-être, il peut être décidé d’orienter plutôt la personne vers une formation proposée dans le cadre de la lutte contre l’illettrisme, mais l’accès direct à la certification CléA ne sera pas possible, ou seulement dans un deuxième temps. »

Des résultats probants.

Proposée dès 2015 dans les Hauts-de-France, pilote dans sa mise œuvre, la certification CléA semble, pour les organismes qui ont du recul, faire largement ses preuves. Pour Philippe Dieulot, responsable du développement des financeurs privés (entreprises et Opco) au sein de l’organisme de formation Partenaire insertion formation, situé à Calais, on avoisine les « 100 % de sorties positives, vers une formation ou un emploi. « Depuis six ans, nous avons évalué près de 1 500 personnes, dont la moitié environ ont validé la certification sans suivre de formation. Nous travaillons avec six entreprises actuellement, dont un établissement du secteur médico social, qui a inscrit trente auxiliaires de vie dans le dispositif. À l’issue, toutes sont entrées en formation et ont obtenu leur diplôme d’auxiliaire de vie sociale. Les entreprises ne savent pas toujours que proposer comme formation ou perspective à leurs salariés. CléA peut être un moyen de prendre en compte leurs demandes d’évolution. » Pour informer et convaincre les entreprises, Certif Pro prend son bâton de pèlerin, mais certaines branches se sont déjà saisies du dispositif. Parmi elles, celle du commerce et de la distribution, première en 2015, à l’inscrire dans sa convention collective et qui compte, plus de 3 150 personnes certifiées. Une politique de développement liée notamment à des implications de grandes enseignes, comme Carrefour, mais également Casino ou Auchan. « Nous représentons une branche assez atypique, souligne Hélène Clédat, cheffe du service emploi formation de la FCD, dans laquelle 86 % de nos salariés sont des employés, et où les entreprises recrutent des personnes de tous âges, sans logique de diplôme. Elles se trouvent ainsi confrontées à des problèmes d’évolution et d’accès à la formation. Or, l’ascenseur social peut encore fonctionner. » Les partenaires sociaux de la branche, pour sélectionner les organismes évaluateurs habilités, « ont tous eux-mêmes suivi le processus, pour être sûrs de pouvoir contextualiser le référentiel à nos métiers », explique Estelle Ingargiola, chargée de mission emploi/formation à la FCD. Un choix qui préfigure peut-être ceux de branches qui souhaiteront adapter CléA à leurs propres besoins, même si certains observateurs craignent qu’il en perde un peu de son universalité…

CléA numérique : en phase de démarrage

Bien qu’incluses dans le référentiel de CléA, avec le domaine intitulé « utilisation des techniques usuelles de l’information et de la communication numérique », les compétences numériques n’étaient, pour les partenaires sociaux, pas suffisantes pour répondre aux enjeux de transition digitale des entreprises. D’où la décision, conjointe avec la DGEFP (Délégation générale à l’emploi et à la formation) et travaillée de concert avec elle, de créer un Cléa numérique, comprenant quatre compétences clefs. « Le référentiel a été stabilisé en 2018, témoigne Philippe Debruyne. Il a subi aussi les conséquences de la réforme de la formation et sa mise en œuvre effective a été tardive. »

Auteur

  • Dominique Perez