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« Plusieurs garde-fous existent pour garantir le respect de la mission »

À la une | publié le : 01.03.2022 | Dominique Perez

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« Plusieurs garde-fous existent pour garantir le respect de la mission »

Crédit photo Dominique Perez

Née au sein de l’école d’ingénieurs, la définition du statut d’entreprise à mission est toujours l’objet d’une veille et d’une participation active de ses fondateurs. Genèse et risques analysés par Jérémy Lévêque, chercheur.

Le statut de l’entreprise à mission émane d’un groupe de chercheurs de Mines Paristech, pouvez-vous nous en relater la genèse ?

Jérémy Lévêque : C’est en 2007 que les premiers travaux académiques, cherchant à réconcilier l’entreprise, le progrès et l’intérêt collectif, ont vraiment commencé. On ne parlait pas encore de mission, mais on constatait déjà que le lien reliant le profit des entreprises à la prospérité collective et sociale s’était délité depuis le début des années 1980. La crise de 2008 est venue comme un accélérateur confirmer ce qui n’était au départ qu’une hypothèse de recherche. Ces travaux ont rencontré les réflexions d’un certain nombre d’entreprises qui ont pu, à la suite d’appels d’offres, nourrir des programmes de recherche et creuser l’hypothèse qu’il fallait restaurer ces liens. Sont donc nés des partenariats avec des entreprises, au Collège des Bernardins, et une chaire de recherche a vu le jour au sein de Mines Parité appelée « théorie de l’entreprise, modèle de gouvernance et création collective ». Le concept de mission vient de là, nourri également de réflexions de chercheurs et d’entreprises aux États-Unis, notamment sur la question de la protection des dirigeants face aux intérêts de l’actionnaire, pour éviter que ces intérêts deviennent un primat inéluctable. Cela a conduit Kévin Levillain, cofondateur de la chaire, à proposer un modèle d’entreprise à mission. L’hypothèse sur laquelle reposent ces travaux est que l’entreprise doit être un dispositif d’innovation collective, pas exclusivement tournée vers le profit.

Le statut a été inclus dans la loi Pacte, comment la recherche continue-t-elle à avancer sur ce thème ?

J. L. : Cette forme juridique est encore largement incomplète. La première mouture de la loi propose un cadre nouveau, dont les entreprises volontaires peuvent se saisir, mais beaucoup de questions restent à instruire par la recherche et la pratique. Je m’y intéresse particulièrement sous l’angle de la formulation et des contenus de la mission, que le législateur a laissé libres. Comment ses missions sont-elles formulées, comment pourraient-elles l’être, comment pourraient-elles être à la fois vraiment contrôlables, crédibles vis-à-vis de ceux auprès desquels elles s’engagent et robustes aux différentes perturbations et chocs qui sont le lot de la vie des entreprises ? Cela a été notamment exploré à travers le cas Danone, première entreprise cotée ayant obtenu ce statut, avec des entretiens auprès des parties prenantes, y compris les syndicats, le comité de mission… C’est un travail mené depuis 2018 au sein de la Communauté des entreprises à mission. La recherche intervention continue, avec des collaborations académiques étroites avec les entreprises, et l’expérimentation.

L’entreprise à mission n’induit-elle pas le risque de voir des entreprises « afficher » un statut, qui ne correspondrait pas forcément à la réalité des actes ?

J. L. : Cela reste évidemment une question, mais cela passe d’abord par la formulation et son contenu. La tentation est grande bien sûr d’exprimer des intentions assez vagues et générales, mais il y a plusieurs garde-fous, car le droit a prévu deux organismes de contrôle qui se complètent assez bien. Le premier, c’est le comité de mission, organe de gouvernance ad hoc chargé du suivi de la mission qui fournit un rapport en assemblée générale et peut le rendre public. Le cas Danone a démontré le caractère engageant de ce statut. Nous avons pu mesurer la capacité à se saisir de ce cadre pour demander des comptes à l’entreprise de la part des différentes parties qui sont affectées. C’est sans doute la raison pour laquelle peu d’entreprises cotées se sont aujourd’hui dotées du statut : parce que l’affichage des responsabilités peut être perçu comme une menace. Pour Danone, le passage au statut de société à mission a créé une capacité d’interpellation supplémentaire. D’autres entreprises menacées au même moment de PSE, parfois plus sévères, ont été moins attaquées. Même si d’ailleurs l’entreprise n’avait pas précisé dans sa mission l’absence de PSE, sa qualité juridique de la société à mission a été questionnée au vu dudit PSE, cela s’est fait plus ouvertement et même plus vertement que pour d’autres. Les syndicats internes n’ont pas eux-mêmes remis en question ce statut à cette occasion. Il s’agit donc d’un objet de mobilisation, mais aussi de contestation, qu’on peut discuter, plus qu’un engagement RSE souvent très large et moins disert sur les activités de l’entreprise. Mais il faut rendre le modèle plus exigeant car, c’est vrai, il y a des risques.

Quelles sont les conséquences sur le statut du dirigeant ?

J. L. : Il est aujourd’hui dans une situation très inconfortable. Les doctrines actionnariales l’ont conduit à devenir un mandataire social des actionnaires et à être soumis avant tout à des performances financières. Le droit des sociétés en France a confirmé cette position, puisqu’il est révocable sans aucun motif. La mission crée pour lui une double opposabilité qui à la fois le protège et l’oblige. Cela précise un mandat conforme aux activités de l’entreprise qui n’est réductible ni à son rôle de patron dans le cadre du contrat de travail, ni à son rôle de président ou DG de la société commerciale. On parle parfois de « mandat créatif du dirigeant ». Dans tous les cas la société à mission permet de préciser un périmètre de son action au-delà des injonctions des uns et des autres. Par ailleurs, la démission ou le départ d’un dirigeant pouvaient remettre en cause une stratégie de RSE. Quand la mission est inscrite dans les statuts, elle dépasse l’intérêt bien compris du dirigeant. Elle doit se poursuivre au-delà de lui et présente un intérêt collectif. Cela peut aussi conduire certains à refuser ce poste.

Toutes les entreprises ne vont-elles pas devenir, à terme, à mission ?

J. L. : Toutes pourraient, rien ne l’empêche. On peut l’appeler de ses vœux, vu le poids qu’ont ces organisations dans nos vies. Mais aujourd’hui les dirigeants qui sautent le pas possédaient déjà les attributs RSE, avaient déjà cette démarche, sans en avoir la qualité juridique, c’est une manière de sécuriser ces pionniers dans leurs convictions. Il faut raison garder, car ce modèle ne se substitue pas encore à l’existant, et continuer les travaux de recherche et l’observation des pratiques pour qu’il se stabilise.

Auteur

  • Dominique Perez