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L’approche B Corp du capitalisme

À la une | publié le : 01.03.2022 | Caroline Crosdale

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L’approche B Corp du capitalisme

Crédit photo Caroline Crosdale

Le mouvement des « Benefit Corporation » fait boule de neige dans le monde, grâce à son généreux label qui inclut employés, communauté et environnement dans sa raison d’être.

“Do the right thing”. « Faire la chose juste ». Quand Vincent Stanley, directeur de la philosophie du groupe Patagonia s’interroge sur le pourquoi de l’engagement de sa compagnie dans le mouvement des B Corp (Benefit Corporation), c’est ce qu’il finit par lâcher. Sobrement. « Si vous vous inquiétez, dit-il, sur la finalité de ce que fait votre entreprise, vous avez cette longue liste de questions que vous pose le B Lab. Cela vous donne des normes, des objectifs à atteindre. » Tous les trois ans, le label B Corp est remis en jeu. Et Patagonia se confronte à plus de 200 questions actualisées du B Laboratoire. « Cela permet de voir où nous nous sommes améliorés et là où l’on pourrait mieux faire », ajoute-t-il.

Flash-back. La direction de Patagonia, marque de vêtements outdoor connue pour sa défense de la cause environnementale, est approchée au milieu des années 2000 par trois jeunes entrepreneurs : Jay Coen Gilbert, qui a fondé sa propre ligne de tenues sportives, Bart Houlahan un banquier, et Andrew Kassoy, gestionnaire des investissements du milliardaire de l’informatique Michael Dell. Ces anciens de l’université Stanford ont créé l’association B Lab pour repérer « les entreprises qui ne sont pas seulement les meilleures au monde mais les meilleures pour le monde ». Leur cible, expliquée plus tard par le Yale Center for Business and the Environment : tordre le cou à la théorie du célèbre économiste néo-libéral Milton Friedman selon laquelle les patrons d’entreprises cotées en Bourse n’ont qu’une obligation, maximiser les profits pour leurs actionnaires. Les créateurs du B Lab sont persuadés eux que l’entreprise doit aussi respecter les droits de ses employés, veiller au bien-être de la communauté et protéger l’environnement. D’où cette batterie de questions, auxquelles les sociétés sont censées répondre pour s’assurer du sérieux de leur engagement multicarte.

Mesurer son impact

Le B Lab émergent est certes plein de bonnes intentions, mais il lui faut rallier à sa cause un poids lourd de l’industrie pour être reconnu et entendu par les autres entreprises. C’est pourquoi, le trio de rêveurs courtise Yvon Chouinard, le créateur de Patagonia. « Au début on leur a dit non, avoue Vincent Stanley, l’un des premiers employés de Patagonia, qui s’est autoproclamé « directeur de la philosophie ». Puis peu à peu les dirigeants de Patagonia, déjà connus pour leur militantisme vert, se laissent tenter par l’aventure. C’est d’accord, ils vont donner l’exemple, se soumettre aux questions du BIA (Benefit Impact Assessment) et même payer tous les ans un pourcentage sur leurs ventes pour que les représentants du Lab puissent réaliser leur audit. Afin d’obtenir le label B Corp, il faut obtenir une note d’au moins 80 points. Patagonia passe son premier examen avec les honneurs : le groupe accumule 107 points… et d’année en année, il grimpe jusqu’à 151. Mais Dr Bronner’s, un fabricant de savons en Californie, lui aussi classé B Corp s’est hissé jusqu’à 175. « Nous sommes jaloux », plaisante le philosophe.

Une saine compétition pour améliorer son score et faire encore mieux existe bel et bien. Elle est aiguillée par les nombreuses interrogations du B Lab sur la performance sociale, le traitement des employés, l’efficacité énergétique, l’empreinte carbone, la transparence de l’organisation… « Nous pensions que nous étions les meilleurs dans l’usage de fibres recyclées », se souvient Vincent Stanley. Mais les fins limiers du B Lab les ont poussés plus loin. « Grâce à eux, nous nous sommes aperçus que nos best sellers étaient taillés dans du polyester. La matière première n’était pas recyclée. » Patagonia s’est donc fixé un nouvel objectif de recyclage à 100 % d’ici 2025.

Même son de cloche en France chez un autre pionnier des B Corp, Nature &Découvertes. L’entreprise de 1 150 salariés dispersés dans 100 magasins a renouvelé toutes ses ampoules Led en 2017, sous l’impulsion du Lab. Elle a aussi changé de fournisseur d’électricité. Nature & Découvertes a pour mission de proposer des outils et des objets pour mieux se connecter à la nature. Fanny Auger, directrice de la marque se croyait donc au top de la performance, en achetant son électricité chez EDF, une énergie produite par de gros barrages hydroélectriques. Mais le questionnaire pointu du Lab lui a fait comprendre que l’entreprise pourrait gagner quelques points en se convertissant à l’éolien et au petit hydroélectrique de WattValue… à l’impact positif sur la biodiversité. « On ne devient pas B Corp par hasard, ça se travaille, ça se mérite », dit-elle. Et plus on est, mieux c’est.

Liste d’attente

Le professeur Christopher Marquis de l’université Cornell, auteur de « How the B Corp mouvement is remaking capitalism » raconte avec enthousiasme la saga des Benefit Corporations qui ont pu tout à la fois changer de statut juridique dans plusieurs États et obtenir le label du B Lab. En décembre 2007, 81 entreprises américaines signent à Philadelphie la « déclaration d’interdépendance » au café White Dog. Une déclaration à laquelle tout nouveau venu adhère. Cette tribu de Benefit Corporations prospère vite aux États-Unis et ailleurs. Elle compte aujourd’hui 4 320 adhérents et plus de la moitié d’entre eux loin du sol de l’Oncle Sam. Le mouvement a séduit l’Amérique latine, l’Angleterre, l’Europe, l’Afrique. En France, Augustin Boulot délégué général du B Lab a vu ses troupes doubler pendant la pandémie pour atteindre 165 entreprises labellisées. Et la liste d’attente pour que le laboratoire lance l’audit de nouvelles candidatures atteint les 9 mois. L’industrie de la finance, le monde des consultants, l’agroalimentaire, l’univers de la mode… l’éventail des intéressés ne cesse de croître. Les glaces Ben &Jerry’s, filiale d’Unilever en sont, tout comme Danone en Amérique du Nord, Allbirds le fabricant de chaussures à base de canne à sucre, Bombas qui donne une paire de chaussettes aux sans-abris pour chaque paire vendue. L’entreprise de recrutement canadienne Ian Martin, la banque colombienne Bancolombia, le groupe d’universités Laureate Education…

Un outil de recrutement

Le processus de certification est long et très rigoureux. Vicki Benjamin, cofondatrice du groupe d’investissement Karner Blue Capital a passé un an à réunir les documents chiffrés nécessaires. Fanny Auger chez Nature & Découvertes se souvient de la difficulté à faire remonter les informations de chaque magasin, le travail sur le bilan carbone, l’audit de ses 400 fournisseurs… Le philosophe de Patagonia, Vincent Stanley a conseillé Danone en Amérique. Il se rappelle la complexité de la démarche du plus grand groupe laitier aux États-Unis. « Les cadres pensaient que cela durerait trois ans. En fait, ils ont bouclé l’affaire en un an. » « Une femme était responsable de l’opération, explique-t-il. Et les jeunes employés ont donné un coup de main, ils voulaient que cela se fasse vite. »

Décrocher le label B Corp peut coûter cher : 1 000 € par an pour les start-up, 2 500 € quand on atteint les 5 millions de chiffre d’affaires et 30 000 € à 100 millions de chiffre d’affaires. Mais cela en vaut la peine. Car afficher son statut de B Corp est un puissant outil de recrutement. « C’est un gage de sincérité, assure le délégué général Augustin Boulot. « De jeunes étudiants qui rentrent sur le marché du travail me demandent la liste des B Corps, ils ne veulent pas aller ailleurs. » Devenir membre, c’est aussi entrer dans une « communauté avant-gardiste », déclare Marie Gabarit, directrice associée de Toovalu, un éditeur de logiciels experts en stratégie climat et RSE. « Nous faisons partie d’un réseau jeune, féminin, innovant et stimulant », martèle-t-elle. Quand on entre en B Corp, on rejoint des groupes de travail sur Telegram, on est 200 personnes à échanger des informations le mardi, chaque mois, sur un « call » et puis il y a les assises une fois par an. Le mot d’ordre : s’entraider. Patagonia a mis au point son certificat d’agriculture régénérative avec Dr Bronner’s. Le glacier Ben & Jerry’s achète ses gâteaux au chocolat chez Greyston Bakery, un boulanger industriel, qui n’hésite pas à embaucher ex-taulards et sans–abris. Nature & Découvertes suit l’exemple d’une autre B Corp Microdon et propose à ses clients d’arrondir les factures à l’€ le plus élevé, pour envoyer quelques sous à une association. L’entreprise nantaise Toovalu travaille avec une dizaine de B Corps. « C’est le côté américain du mouvement, se félicite Marie Gaborit. On peut parler argent, quand on appelle les autres B Corps on est bien reçu. » Et de conclure : « Franchement c’est royal. »

Auteur

  • Caroline Crosdale