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Repères

Chausse-trappes à gogo

Repères | publié le : 01.06.2001 | Denis Boissard

Décidément, les 35 heures sont un chemin semé d'embûches. Au fur et à mesure de leur application, les chausse-trappes que recèle cette réforme emblématique apparaissent au grand jour. Pour preuve, les deux superbogues auxquels Élisabeth Guigou est aujourd'hui confrontée.

Première bombe à retardement que lui a léguée Martine Aubry : le financement des allégements de cotisations – calculées de façon très généreuse pour convaincre les entreprises de se lancer dans l'aventure des 35 heures – n'est toujours pas bouclé. Et le trou ne cesse de se creuser : il manquait une grosse dizaine de milliards de francs l'an dernier, et il en manquera une vingtaine cette année, puis une trentaine l'an prochain. Depuis près de deux ans, État et partenaires sociaux se livrent à un jeu de mistigri sur le thème : qui va payer la facture ? Au départ, le gouvernement avait bien tenté de ponctionner l'assurance chômage. Pour reculer en rase campagne, devant le tollé unanime des syndicats et du patronat. La loi Aubry a donc instauré un fonds ad hoc, le Forec, véritable usine à gaz alimentée par pas moins de six taxes différentes. Mais, patatras, le Conseil constitutionnel a depuis démoli une partie du château de cartes échafaudé par le législateur. Retour donc à la case départ : qui va éponger le déficit ? Le gouvernement lorgne aujourd'hui les comptes excédentaires de la Sécu. Avec un argument de poids : les créations d'emplois générées par les 35 heures ont dopé ses rentrées de cotisations…, il n'est donc pas anormal qu'elle contribue à due proportion au financement de la réduction du temps de travail. CQFD. Seul problème : en admettant que les partenaires sociaux, gestionnaires de la Sécu, acceptent ce tour de passe-passe, on sera encore loin du compte. Selon les calculs du Plan, le surplus de cotisations résultant des emplois créés par les 35 heures ne représentait l'an dernier que la moitié du trou à combler. Et il n'en représentera au mieux qu'un quart cette année.

Autre legs explosif de la loi Aubry : le mécanisme redoutable du smic à plusieurs vitesses. Ses effets pervers sont aujourd'hui manifestes. Les salariés du bas de l'échelle encore à 39 heures continuent à bénéficier du smic horaire et de ses généreuses revalorisations : indépendamment des « coups de pouce » du gouvernement, celles-ci sont en effet dopées par l'envolée du salaire horaire des ouvriers, lequel profite à plein de la compensation salariale intégrale des 35 heures par les entreprises. En revanche, les smicards passés à 35 heures perçoivent, eux, une garantie mensuelle (le maintien du niveau de leur salaire mensuel au moment de la réduction de leur temps de travail), laquelle est revalorisée beaucoup plus faiblement puisqu'elle suit l'évolution du salaire mensuel – et non horaire – des ouvriers. Pis, suivant la date d'entrée en vigueur de la réduction de leur temps de travail, les intéressés reçoivent un salaire plus ou moins élevé, ceux qui y sont passés le plus tardivement ayant engrangé l'impact des revalorisations du smic intervenues entre-temps. Ainsi, selon qu'ils sont à 39 heures ou qu'ils sont passés à 35 heures avant la mi-1999, la mi-2000 ou la mi-2001, les smicards touchent quatre salaires différents. Et, en 2005, délai fixé par la loi pour rétablir un seul salaire minimum, il n'y aura pas moins de huit « smics » différents. Une différenciation difficilement justifiable… Quid du principe « à travail égal, salaire égal » ?

De surcroît, la sortie du dispositif apparaît problématique : pour ne pas léser les « retardataires », le taux horaire du smic au 1er juillet 2005 devra en principe être calculé sur la base de la garantie mensuelle octroyée aux smicards passés à 35 heures entre la mi-2004 et la mi-2005. La dernière marche d'escalier à franchir sera donc terriblement escarpée : 11,4 % de hausse ! Et l'impact sur le coût du travail risque d'être dévastateur pour l'emploi des moins qualifiés. Sans compter l'alourdissement mécanique, pour les finances publiques, de la charge des allégements de cotisations octroyés au voisinage du smic. Pour sortir de ce casse-tête, Élisabeth Guigou compte sur les bonnes idées… des partenaires sociaux, sollicités dans le cadre de la prochaine revalorisation du smic au 1er juillet.

Mais le gouvernement n'est pas au bout de ses peines. Dans moins de sept mois, ce sont les 4,5 millions de fonctionnaires qui sont censés réduire leur temps de travail. L'opération risque, là encore, de coûter très cher à la collectivité. Pour Michel Sapin, le passage aux 35 heures doit être effectué à effectifs constants. Un vœu pieux. L'État a d'ores et déjà promis de lâcher du lest dans les hôpitaux, où le maintien de la qualité des soins nécessitera inévitablement des recrutements conséquents d'infirmières. Et, pour les syndicats, l'occasion est trop belle d'arracher un nouvel accroissement du nombre de postes dans la fonction publique d'État. À quelques encablures des scrutins présidentiel et législatif, il faudra que le gouvernement soit très vertueux pour résister à leur pression.

Auteur

  • Denis Boissard