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Politique sociale

A Lourdes, pas de miracle pour les saisonniers

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.06.2001 | Anne Fairise

Horaires à rallonge, heures supplémentaires non payées, congés au compte-gouttes : les établissements de Lourdes ne font vraiment pas la charité à leur personnel saisonnier, concurrence oblige. Mais les difficultés de recrutement que commencent à connaître les hôteliers pourraient inverser le rapport de force en faveur des salariés.

C'est promis, les inspecteurs du travail « ne débarqueront pas comme des cow-boys dans les hôtels de Lourdes » ! Cet après-midi de printemps, à l'heure où les pèlerins venus des quatre coins du monde s'apprêtent à rejoindre l'une des deux processions quotidiennes, les fonctionnaires de la direction départementale du travail ont convié tous les hôteliers de la ville. Succès mitigé : à peine une quarantaine sont présents au palais des congrès, alors que, dehors, clignotent les enseignes de plus de 270 établissements, de la pension familiale au quatre-étoiles. Et l'ambiance, à l'intérieur, n'est guère conviviale. Les inspecteurs Frédéric Burnier et Robert Claude annoncent la couleur : un contrôle de la durée du travail, avec une vigilance sans faille sur les registres de présence du personnel et des amendes immédiates s'ils ne sont pas tenus. Cette « transparence, plaident-ils, permettra de couper court aux rumeurs sur les horaires exorbitants des saisonniers. Cela ne peut qu'améliorer l'image de l'hôtellerie lourdaise ».

Pour l'auditoire, la pilule est dure à avaler. Les deux tiers des hôtels lourdais n'ont pas de registre et les hôteliers n'ont qu'un leitmotiv : la « pénurie de main-d'œuvre ». À les croire, il manque au bas mot 400 à 500 personnes, surtout des serveurs et des cuisiniers. Marie-Line Grilli, la directrice de l'agence locale pour l'emploi, présente dans la salle, dément : « Les offres d'emploi dont vous parlez ne sont recensées nulle part. Nous n'en avons que 168. » Entre les hôteliers, arc-boutés sur les « pénuries », et l'ANPE, qui ne voit que des difficultés de recrutement liées aux conditions de travail, le courant passe mal. L'agence locale a récemment organisé un forum d'information-recrutement. Résultat ? Aucun des syndicats patronaux n'a daigné y tenir un stand. Même flop pour l'opération visant à réorienter vers l'hôtellerie 30 chômeurs de longue durée. « La présélection des candidats était faite, les formations trouvées, et l'on avait diffusé de manière anonyme les CV des candidats à toute la profession. Il a fallu annuler au dernier moment : aucun employeur ne s'est manifesté », se souvient Marie-Line Grilli.

De vrais-faux stagiaires polonais

Qu'importe, la salle est lancée. « On manque de bras, et tout ce dont vous nous parlez c'est de PV ! » s'époumone l'un d'eux. « Vous allez nous pousser à trafiquer les registres avec votre respect strict de la réglementation », menace son voisin. « Tout ça, c'est de l'acharnement sur une profession qui n'en a pas besoin », soupire en aparté Jean-Marie Attard, le président de l'Union des hôteliers lourdais (UHL), la doyenne des deux organisations patronales qui rassemble les plus gros établissements. Ce porte-parole des hôteliers de Lourdes ne voit qu'une explication à ce « harcèlement » : l'affaire des vrais-faux stagiaires polonais, qui a secoué l'été dernier le microcosme lourdais.

En août 2000, l'inspection du travail et les services de la police des frontières ont en effet découvert, dans sept établissements deux et trois-étoiles, 17 jeunes Polonais venus tout droit d'une école hôtelière de Poznan. Sans autorisation de travail, mais à pied d'œuvre onze heures par jour, sept jours sur sept. Et, avec pour toute rémunération, un « dédommagement » de 800 à 1 000 francs mensuels.

Une petite bombe dans le deuxième lieu de pèlerinage catholique au monde. Et une belle encoche à l'image de ville « fraternelle », véhiculée par son logo. Au début de la saison, la Fédération des services CFDT avait déjà fait monter la pression : campagne d'information, permanence rouverte pour défendre les droits des quelque 3 000 saisonniers, serveurs, cuisiniers, femmes de chambre qui travaillent à l'ombre des 6 millions de pèlerins. Et une bannière revendicative, « Vos droits ne sont pas en vacances », aperçue parmi les oriflammes des fidèles dans la rue et le boulevard de la Grotte, les deux artères principales de Lourdes.

L'affaire n'a pas seulement valu à la cité mariale la rubrique des faits divers dans la presse nationale. Elle a déchiré un peu plus encore une profession divisée où règne une concurrence féroce. Et poussé à la démission la vice-présidente et fondatrice du second syndicat patronal (majoritaire parmi les petits hôtels), Ginette Héry. L'une des seules à dénoncer publiquement « ces pratiques inhumaines et scandaleuses » qui créent, de facto, une concurrence déloyale. « Pour baisser leurs coûts, certains sont prêts à tout. Le “salaire” d'un stagiaire polonais, c'est 16 fois moins que ce que coûte un saisonnier français », martèle cette femme, élue aux dernières municipales et adjointe à la circulation. « Ces trafics, s'ils ne concernent qu'une poignée d'hôteliers, durent depuis huit ans. C'est trop facile d'invoquer la pénurie de personnel. Ce n'est pas comme ça qu'on va la résoudre. »

L'opprobre jeté sur la profession

Les organisations patronales préfèrent ne pas s'appesantir sur le sujet. « L'opprobre a été jeté sur toute une profession, sans distinction », déplore Christian Imbert, président du syndicat majoritaire chez les petits hôteliers. « Dix-sept stagiaires sur 270 hôtels, 17 000 chambres et 35 000 lits, c'est quand même une goutte d'eau », relativise Jean-Marie Attard, de l'UHL, en rappelant la présomption d'innocence. De fait, si les hôteliers épinglés en août 2000 ont été redressés depuis par l'Urssaf et l'Office des migrations internationales, toujours pas l'ombre d'un procès en vue. Chez les saisonniers, on en fait des gorges chaudes. « Il y a toujours eu de la main-d'œuvre étrangère. Avant, c'étaient les Espagnols, les Basques », commente Jean-Pierre Houillon, ex-conseiller CGT aux prud'hommes, prêtre-ouvrier qui tient la permanence « saison » de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC).

Une chose est sûre : les saisonniers ne bénéficient pas, dans la cité de Bernadette Soubirous, de meilleures conditions de travail que dans les stations de ski ou balnéaires que rejoignent chaque année bon nombre des 420 000 saisonniers français. L'enquête réalisée en octobre dernier par la CFDT auprès de ceux s'inscrivant au chômage à Lourdes pour l'intersaison dénonce ainsi les horaires à rallonge : au minimum quarante heures hebdomadaires, avec des pointes dans les hôtels à cinquante heures, voire plus pour un quart d'entre eux. Il faut y ajouter les heures supplémentaires, fréquentes pour deux saisonniers sur trois, mais ni récupérées ni payées dans un tiers des cas. Rien d'étonnant, donc, si 40 % effectuent la saison en ne débrayant qu'un jour par semaine.

De quoi expliquer « les gros coups de fatigue, l'hypotension et les pertes de poids » constatés chaque année par la médecine du travail ? « Le travail saisonnier, c'est pénible. Douze heures de travail quotidien, peu de jours de repos après des mois d'inactivité, ça ne pardonne pas », commente la docteur Thérèse Falaise. D'autant que Lourdes a la particularité d'avoir une saison très longue, s'étalant de la semaine sainte, en avril, à celle du Rosaire, en octobre. Pour la majorité des saisonniers, le salaire se résume au smic hôtelier, dont il faut déduire les repas, 800 à 900 francs par mois en moyenne. Mais les hôteliers offrent rarement le gîte. « Beaucoup se replient vers les campings », commente Patrick Delaporte, secrétaire général de l'UD CFDT.

Rien de nouveau au début de la saison 2001. Michaël, 19 ans, qui vient d'abandonner ses études de droit, a tout de suite été mis dans le bain. Il trime dans un trois-étoiles, de 7 h 30 à 21 h 30, avec deux heures de coupure : douze heures par jour à virevolter entre la plonge, les trois services en salle – « 60 couverts à assurer par serveur » – et les coups de balai. À l'essai depuis une semaine, il n'a toujours pas signé de contrat de travail, comme ses cinq collègues. « Mauvaise pioche », commente François, aujourd'hui homme à tout faire dans un deux-étoiles. « 10 à 15 % des hôtels exigent de leur personnel un mois d'essai en oubliant de signer les contrats. Cela leur permet de s'en séparer un mois après, en prétextant que l'essai n'est pas concluant. Mais, comme par hasard, les ruptures interviennent toujours mi-mai, quand il y a un creux dans la saison », note cet ancien, 10 saisons au compteur.

Trente jours de travail sans repos

Ex-agent de maintenance reconverti comme veilleur de nuit pour 7 200 francs net les cinquante-cinq heures mensuelles, Francis, 49 ans, ne s'en laisse plus conter. Menaçant ses employeurs d'une action aux prud'hommes, il a réussi à se faire régler ses heures supplémentaires qui, faute de registre, n'étaient pas consignées. À l'arraché : « Je comptais aller déposer plainte à la fin de mon service. La patronne est descendue à 3 heures du matin pour me régler au black. » Francis a souvent aligné trente jours de travail consécutifs en pleine saison. « On nous donne huit jours de congé quand il y a un creux en mai et, après, on n'a plus qu'à enchaîner un mois sans arrêter. »

Pour sortir de ce rythme infernal, Stéphane, 38 ans, vient d'endosser la casquette de réceptionniste veilleur de nuit dans une chaîne hôtelière. « Les salaires sont au plancher : 6 400 francs net pour cinquante heures par mois. Mais ici, on est sûr d'avoir deux jours de congé par semaine. » Aucun regret, donc, de ne pas avoir rempilé dans l'hôtel d'en face, où le même poste était rémunéré 2 000 francs net de plus. « Car, explique-t-il, je m'occupais aussi du bar le soir. J'avais un pourcentage, au black, sur les consommations. »

Reste qu'avec les difficultés de recrutement le rapport de force commence à évoluer. « Dans mon équipe, la moitié des serveurs partent à la fin de la semaine. Ils ont négocié avec un concurrent leur salaire à la hausse et l'assurance d'avoir un jour et demi de congé par semaine. Ils se moquent bien de ne pas avoir signé leur contrat », indique Michaël. Même constat à l'ANPE : « Les saisonniers choisissent de plus en plus en fonction des horaires et des jours de congé, très disparates selon les établissements », commente Marie-Line Grilli. La directrice de l'antenne note, cette année, une « légère » augmentation des salaires : 400 francs de mieux pour les serveuses femmes de chambre. Et même 12 000 francs net pour des emplois de cuisinier ! « Certains employeurs commencent à faire des efforts. Mais la profession continue de souffrir d'une mauvaise image de marque », ajoute Marie-Line Grilli.

Sceptique, l'Inspection du travail ne voit dans cet effort qu'une réponse conjoncturelle et non « une volonté de revaloriser le travail saisonnier ». Symptomatique ? Les hôteliers qui pensent toujours « pénurie de main-d'œuvre » veulent faire venir des travailleurs étrangers, légalement cette fois. « Nous venons de recevoir quatre demandes d'autorisation de travail. Pour la première offre, nous avons proposé, avec l'ANPE, 22 candidats français. L'hôtelier n'en a accepté aucun », soupire Vincent Lemaire, directeur départemental du Travail.

Surcapacité et concentration

La profession, il est vrai, n'a guère de marges de manœuvre. Depuis une dizaine d'années, la surcapacité hôtelière et la concentration du secteur font pression sur les prix. Sans oublier la menace des agences spécialisées ou des groupes étrangers, italiens notamment, d'exporter leurs ouailles vers d'autres sanctuaires, comme Fatima, au Portugal. Résultat ? Des prix cassés et une petite hôtellerie qui tire la langue. D'autant que le fidèle ne s'attarde plus, faisant son tour en deux à trois jours. Les pancartes « à vendre » et les friches hôtelières ont fait leur apparition dans la ville haute alors qu'en bas, près du Gave, en plein quartier du pèlerinage, les gros établissements attirent plus facilement le fidèle. « En tarif de groupe, on trouve des pensions complètes à 150 francs, voire 110 francs, dans les trois-étoiles », note Patrick Delaporte, de la CFDT.

« Nous sommes sur un marché mondial. Il y a toujours un hôtelier pour proposer un prix moindre que son concurrent. Les plus gros démarchent même jusqu'en Indonésie. La situation sociale reflète dix ans de dérégulation », commente Jean-Pierre Artiganave (UDF), nouveau maire de Lourdes, lui-même commerçant d'objets de piété et longtemps premier adjoint de Philippe Douste-Blazy.

Si son souhait affiché est la fin du dumping sur le prix des chambres « pour que les hôteliers retrouvent, enfin, des marges financières », il souhaite également s'atteler aux conditions de travail. En créant, « d'ici à fin 2001 », un « observatoire social » réunissant les deux organisations patronales et les syndicats de salariés. Une gageure, personne n'y étant jamais parvenu.

Le maire entend aussi améliorer l'hébergement des saisonniers en transformant certaines friches hôtelières en logements. Car il n'existe rien de tel, non plus, dans la cité mariale, deuxième ville hôtelière de France après Paris. Seul avantage obtenu par les saisonniers : un tarif préférentiel sur les places de parking!

L'Église montre la voie aux hôteliers

Pour régulariser les pratiques, les sanctuaires qui gèrent les lieux saints proposent, depuis février dernier, aux directeurs de pèlerinage et aux hôteliers de passer un « contrat de confiance et de qualité », proposant des réservations à J-30, le versement d'arrhes et un solde payé le jour du départ ou un mois plus tard au maximum, là où jusqu'à présent il n'y avait pas vraiment de règles établies. Plus de 40 % des établissements y ont adhéré. Que les sanctuaires prennent les devants n'étonne guère. « Les hôteliers tirent les prix tellement bas que la qualité et le service s'en ressentent. Certains pèlerins commencent à dire qu'ils sont mal reçus », explique-t-on à la CFDT. « Les hôteliers ne se sont jamais organisés. Pour eux, les pèlerins sont toujours un peu tombés du ciel. Ce sont les sanctuaires qui ont toujours assuré la promotion », renchérit un Lourdais, oubliant le nouvel office de tourisme créé en 1999 pour attirer le pèlerin. Le « contrat de confiance et de qualité » des sanctuaires n'a pas seulement une visée commerciale, il s'agit aussi de « conserver au personnel […] des conditions d'emploi et de rémunération décentes ». Et les sanctuaires de montrer la voie : les 392 salariés, sacristains et allumeurs de cierge – dont 90 saisonniers – sont passés aux 34 heures annualisées depuis 1999 ! « Nous avions annoncé une cinquantaine d'emplois créés ou consolidés. Nous avons reçu plus d'un millier de candidatures en deux mois, de toute la région », se souvient Francis Dehaine, DRH de L'œuvre de la grotte.

Auteur

  • Anne Fairise