Soucieux de répondre à l'émotion suscitée par les suppressions d'emplois annoncées chez Danone et Marks & Spencer, le gouvernement a amendé son projet de loi de modernisation sociale. Objectifs recherchés : renchérir le coût du licenciement, accentuer l'obligation de reclassement et renforcer les droits du CE. Cette réponse est-elle appropriée ?
Le sentiment de trois avocats spécialisés en droit social.
GILLES BÉLIER Avocat en droit social, cabinet Bélier et Associés.
La légitime angoisse des salariés concernés et le relais qu'elle a trouvé dans l'opinion appelaient sans doute une réponse. Il n'est pas certain que la modification de la législation soit la meilleure qui puisse être apportée. L'affirmation, par les pouvoirs publics, de l'exigence d'engagements clairs et forts de ces entreprises, de leur contrôle et de leur suivi par l'administration du travail eut répondu plus utilement aux attentes des salariés en cause.
Le droit positif français, appuyé par une jurisprudence forte et créative, assure aux salariés une des protections les plus fortes d'Europe en matière d'accompagnement social des restructurations industrielles. Il faut en tenir compte, car les règles relatives au fonctionnement du marché du travail font également partie de la politique de l'emploi.
Par ailleurs, les entreprises françaises doivent pouvoir disposer d'une capacité d'adaptation face à celle ouverte à leurs compétiteurs.
Les problèmes posés par les licenciements économiques ne peuvent donc être sérieusement abordés dans un tel contexte de précipitation, sauf à ce que les réponses procèdent d'une instrumentalisation de la loi discutable et inquiétante au regard des effets dissuasifs qu'elle ne peut manquer d'avoir sur les entreprises qui ont des arbitrages d'implantation industrielle à effectuer entre la France et d'autres pays d'Europe. Tout cela étonne d'autant plus que l'amélioration de la situation de l'emploi, le constat partagé d'une croissance plus riche en emplois, la diminution des plans sociaux et des licenciements économiques en général n'appelaient pas une telle réplique de circonstance. Il y a quelques semaines seulement, à l'occasion de l'adoption en première lecture de la loi sur la modernisation sociale, l'urgence de la réforme ne s'imposait d'ailleurs pas au-delà des évolutions envisagées par le texte adopté.
De même, il est paradoxal d'engager le législateur dans une telle hâte alors que divers problèmes cruciaux, d'ailleurs posés à l'occasion des plans sociaux annoncés, et plus particulièrement celui de la formation des salariés âgés et anciens face au vraisemblable recul de l'âge du départ en retraite, voire aux risques pesant sur l'emploi, ne sont pas sérieusement abordés. Il est tout aussi étonnant de s'attacher aux questions posées par les seuls plans sociaux, alors que 85 % des licenciements économiques se font en dehors et que c'est bien à la conversion des salariés ne bénéficiant pas de telles mesures de soutien qu'il faut réfléchir. Il n'est d'ailleurs pas certain que la loi soit le mode privilégié de traitement de ces questions, dont certaines relèvent davantage de l'engagement des acteurs que du dispositif normatif.
Ultime paradoxe, enfin, ces questions se posent alors qu'au même moment d'aucuns s'interrogent sur le point de savoir si Moulinex n'aurait pas dû prendre en temps utile des mesures plus fortes assurant mieux son devenir industriel ou fustigent des actionnaires qui n'envisagent pas d'apporter les financements nécessaires à une entreprise au bord de la faillite et que l'action Danone connaît plutôt une croissance inférieure à la moyenne, confirmant en cela certaines études récentes qui ont constaté l'absence de lien significatif entre les plans sociaux et la valorisation boursière des entreprises qui y procèdent…
TIENNOT GRUMBACH Avocat-conseil en droit social, directeur de l'ISST de Paris I.
Va-t-on mettre fin au jeu de Monopoly mondialisé auquel se livrent les grands groupes qui ont financiarisé leur gestion au seul profit des détenteurs du capital ? Le législateur doit faire en sorte que le traitement social des « licenciements d'économie » ne puisse être confondu avec le droit des licenciements économiques proprement dit.
C'est à l'aune de cette question que l'on doit observer si les nouvelles propositions qui accompagnent le projet de loi de modernisation sociale seront ou non efficaces. La lecture des travaux parlementaires laisse le praticien sur sa faim tant on reste dans les rails de l'accompagnement procédural du plan social et de l'indemnisation des préjudices subis par les salariés abusivement licenciés, tout en continuant à s'opposer au droit à la réintégration. Renforcer la capacité d'expertise du CE, dans le cadre du livre IV du Code du travail, en cas d'annonce publique de mesures susceptibles d'affecter l'emploi, c'est bien ; mais 85 % des licenciements économiques sont prononcés dans des entreprises dépourvues de représentation du personnel et de capacité de contestation du « monopole d'expertise légitime » de l'employeur. Frapper au portefeuille les employeurs qui ne respectent pas l'obligation de faire que constitue la désignation de représentants du personnel n'est pas une mauvaise mesure, mais se contenter de dire qu'il conviendra alors d'accorder une indemnité au moins équivalente à un mois de salaire, c'est refuser de prendre en compte le rapport entre l'obligation de procédure et l'absence de cause du licenciement que la haute juridiction a pourtant consacré. Élargir les obligations de reclassement et améliorer la procédure de débat du plan social, y compris par le renforcement de l'intervention de l'Inspection du travail en fin de procédure, peuvent améliorer la capacité d'intervention des représentants du personnel pour la sauvegarde des emplois, mais cela ne donne pas toute sa place à l'obligation de négocier avec les syndicats les solutions alternatives, ni ne permet la contestation de l'acte unilatéral de licenciement d'économie par les salariés, sous le contrôle du juge. Ainsi, la mesure efficace et volontaire visant à l'annulation d'une décision irrégulière et illicite n'est toujours pas prise. On en veut pour preuve le rejet des propositions d'amendements visant à limiter le droit de licencier quand l'entreprise fait des profits, à dire qu'il est alors sans cause réelle et sérieuse, ou encore que pouvait être ouverte la possibilité d'un droit à réintégration. Face à ces propositions, le gouvernement, le rapporteur ont énoncé que « charbonnier devait rester maître chez lui ». En se refusant à poser la question du contrôle de la cause du licenciement d'économie et à en tirer toutes les conséquences de droit sur la nullité de la procédure et du licenciement, en ne consacrant pas par ailleurs l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement irrégulier et le droit à la réintégration, le gouvernement ne donne pas aux licenciés par la loi d'airain du profit le signe fort qu'ils étaient en droit d'attendre. Soft story !
HENRI-JOSÉ LEGRAND Avocat en droit social, cabinet H.-J. Legrand.
Coup sur coup, les résultats décevants des municipales et les protestations soulevées par l'annonce de plusieurs restructurations d'envergure ont lancé un défi au gouvernement. Certes, il n'a pas cédé à ceux qui le poussaient à s'engager dans la voie irréaliste de l'interdiction des licenciements effectués par des entreprises bénéficiaires. Il n'ignore pas que les entreprises, comme tout organisme vivant, doivent s'adapter en permanence pour durer et se développer. Donc, opérer des modifications, délocalisations, suppressions d'activités, donc d'emplois, aussi bien que des créations. Qu'à trop entraver celles-là, on s'exposerait au risque de tarir ces dernières. Pour autant, les mesures annoncées montrent combien ces événements l'ont pris de court et illustrent sa réticence à promouvoir l'autonomie des protagonistes sociaux. Dans l'urgence, le gouvernement n'a pas nettement choisi entre le renchérissement des licenciements et la contribution des entreprises à la reconversion des salariés comme des territoires qu'elles délaissent. Pourquoi, du reste, instituer un « congé reclassement », réservé aux salariés des grandes entreprises, sans remettre en vigueur les congés de conversion, tombés en désuétude malgré leur intérêt évident ?
Il n'a pas non plus choisi entre la restauration d'un aval administratif des plans sociaux, qui aurait remis les représentants des salariés hors jeu comme jusqu'en 1986, et un renforcement du rôle des représentants des salariés. À ce titre, il propose de codifier la jurisprudence Sietam, dans son état initial, au risque de faciliter l'évitement des garanties que le livre III du Code du travail offre aux salariés ou de différer dangereusement la discussion du plan de reclassement au préjudice des délais nécessaires à son application. Enfin, la portée réelle d'une obligation de consulter le comité d'entreprise sur l'exécution du plan social paraît trop incertaine pour remettre en cause le caractère unilatéral de sa mise en œuvre par les employeurs. En réalité, la responsabilité des entreprises à l'égard des salariés de qui elles remettent en cause l'emploi est déjà inscrite dans les règles existantes, négociées, législatives et jurisprudentielles. Peu de chose doit y être changé. Sauf la place des représentants des salariés, à la fois dans l'élaboration et dans la conduite des plans sociaux. Le risque de l'annulation, créé par la loi Aubry de 1993, constitue déjà une forte incitation à la négociation.
Mais le législateur s'est arrêté à mi-chemin d'une double réforme indispensable. Les plans sociaux devraient être l'objet d'accords collectifs et d'une médiation ou d'un arbitrage, en cas d'échec de leur négociation. Leur mise en œuvre devrait donner lieu à un pilotage paritaire. À cela, deux raisons essentielles. D'une part, la diversité illimitée des acteurs et des contextes fait obstacle à une définition par des dispositions générales des engagements que les entreprises doivent prendre et des moyens qu'elles doivent déployer. D'autre part, l'implication de tous les protagonistes sociaux conditionne étroitement l'effectivité des reconversions qui doivent être l'objectif primordial de ces plans et, donc, leur crédibilité aux yeux de salariés qui ne peuvent accepter de renoncer à un emploi que si le changement leur profite aussi.