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Religion au travail : le rôle de la fonction RH pour réduire l’écart entre les paroles et les actes

Idées | Recherche | publié le : 01.02.2022 |

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Religion au travail : le rôle de la fonction RH pour réduire l’écart entre les paroles et les actes

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L’expression religieuse au travail pose des défis aux managers, mais aussi aux directions d’entreprise. Il y a parfois un écart entre ce que les grandes entreprises disent faire en la matière et ce qu’elles font réellement. Cet écart peut être réduit par les acteurs de la fonction RH.

L’Observatoire du fait religieux en entreprise (Ofre) publie annuellement un baromètre de l’expression religieuse au travail1. Si le phénomène est en stabilisation ces dernières années, depuis 2013 et le premier opus de cette étude pilotée par Lionel Honoré, la tendance est clairement à la hausse et plus de deux répondants sur trois (66,5 %) y sont confrontés de manière occasionnelle. Regroupant les actes, comportements et attitudes liés à l’appartenance religieuse des salariés, le fait religieux au travail se traduit par exemple par des demandes d’absence pour observer des fêtes religieuses ou encore des demandes liées à la prière. Il peut également s’agir de discriminations liées à la religion dans le contexte du travail, ou encore du port d’un signe religieux. Les situations sont complexes, car elles invitent l’identité au travail et qu’elles sont parfois mal interprétées par l’ensemble des acteurs en présence (manager, collègue, salarié exprimant). Le sujet peut donc rapidement devenir sensible, en particulier dans le contexte sociétal actuel, et parce que le modèle français de laïcité est parfois mal compris, voire utilisé contre lui-même, alors même qu’il ne dit rien sur l’entreprise privée.

Une liberté laissée aux entreprises par le législateur, et des critères

Pour réguler ce phénomène, les entreprises peuvent s’appuyer sur quelques éléments de droit. Si dans le secteur public, c’est la neutralité des personnels qui prime, dans le privé, c’est un principe de liberté qui est applicable, malgré quelques limites prévues en droit et affinées par la jurisprudence. Concrètement, les restrictions doivent être justifiées par la nature de la tâche, et proportionnées au but recherché. Elles doivent aussi être insérées au sein du règlement intérieur pour pouvoir être opposables, ce qui a été rendu possible par la loi de 2016 dite loi El Khomri2. Ces restrictions peuvent être motivées par cinq grands critères : (1) hygiène ; (2) sécurité des biens et des personnes ; (3) fonctionnement de l’entreprise ; (4) intérêt commercial et image de l’entreprise ; et enfin (5) interdiction du prosélytisme. Aussi, elles ne doivent pas avoir de portée générale et absolue. Par exemple, l’interdiction du port d’un signe religieux, motivée par des raisons de sécurité ne peut se faire que pour les situations où le salarié est effectivement exposé au risque. De plus, les interdictions ne peuvent pas viser une religion en particulier, car les restrictions ne sont pas motivées par la religion en particulier, mais bien par les contraintes de l’entreprise en général.

Des positionnements d’entreprise hésitants et des managers en quête de repères

Se positionner au sein de ces critères, organiser des formations, définir le champ des possibles en la matière, revient pour les organisations à se doter d’une « posture » face au fait religieux. L’enjeu est ensuite d’en garantir le déploiement et l’application. Sinon, risquent d’apparaître des droits et des interdits différents sur les sites d’une même organisation, voire au sein d’un même site, selon le manager qui fixe les règles, et son interprétation de celles-ci. En effet, les recherches sur ce sujet montrent que le manager joue un rôle majeur dans la régulation de l’expression religieuse.

Entre le marteau et l’enclume, son rôle est d’appliquer, expliquer et faire adhérer au positionnement de son organisation sur ce sujet (et sur d’autres sujets d’ailleurs). Le problème est que les entreprises sont minoritaires à se positionner clairement sur le sujet (moins de 30 % à en parler dans leur règlement intérieur par exemple ; Ofre, 2021). Sans règles officielles, claires, ou en l’absence de communication large de ces règles, les managers peuvent se trouver isolés, et construire leur propre positionnement qui expose l’entreprise juridiquement, et ne garantit pas le respect des droits des personnels. Cela peut également affecter la crédibilité de la marque employeur de l’entreprise, qui par exemple proclamerait vers l’externe une politique inclusive, sans pour autant tenir la promesse en interne, sur l’ensemble des sites. Les salariés contesteraient une absence d’alignement diversité.

Le rôle de la fonction RH pour l’alignement diversité

Dans une recherche récente3, nous avons montré que l’ambiguïté du positionnement des entreprises, ou encore son caractère non formalisé empêchait l’alignement entre ce que proclament les entreprises et ce que les salariés vivent réellement en situation. De même nous montrons que l’absence de formations pour les managers opérationnels peut entraîner leur immobilisme, ou encore des erreurs de droit. Ces constats sont encore plus marqués lorsque l’entreprise est étendue, et dispose de nombreux sites : les sièges sociaux respectent davantage la posture que les autres sites ! Par ailleurs, les acteurs RH peuvent être de véritables supports aux managers en quête de réponses, en leur fournissant un conseil sur la construction de leurs arguments pour répondre à une demande, ou encore en rappelant la posture définie par l’organisation (si elle existe). C’est aussi la fonction RH qui doit, si ce n’est impulser, au moins contribuer aux outils qui permettent d’accompagner les managers (chartes, guides internes, etc.), ou d’être le relais vers le top management, lorsque cette posture n’est pas claire, ou qu’elle ne l’est plus. Cela semble être un premier pas vers une régulation encore plus apaisée de l’expression religieuse au travail. Et puis, ne nous en cachons pas, il y a ici un levier de « ré-empowerment » de la fonction ! Les entreprises souffrent d’un écart entre ce qu’elles disent faire en matière de régulation de l’expression religieuse. Cela s’explique notamment par l’isolement du manager opérationnel dans ce cadre, et la relative apathie de la fonction RH. Pourtant, cette dernière aurait tout intérêt à former ses membres, puis à se positionner en relais d’une posture affirmée et conforme avec le droit, pour permettre l’alignement entre les paroles et les actes en matière de diversité. Aux DRH de pousser les Comex à y travailler, et aux RH de demander à être formés sur la posture qui sera retenue, pour en devenir demain les relais.

(1) Dernier rapport publié en mai 2021, en partenariat entre l’Ofre et l’Institut Montaigne, sous la direction de Lionel Honoré, professeur des universités et directeur adjoint de l’IAE de Brest. URL : https://www.institutmontaigne.org/publications/religion-au-travail-croire-au-dialogue-barometre-du-fait-religieux-en-entreprise-2020-2021

(2) Article L1321-2-1 introduit au Code du travail par la loi travail du 8 août 2016.

(3) Gaillard, H. (2021), « Managing religion at work : a necessary distinction between words and deeds. A multiple case study of the postures facing religious expression in French organizations », Employee Relations. URL : https://doi.org/10.1108/ER-02-2021-0053