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Le CDD et la loi des exceptions

Idées | Juridique | publié le : 01.02.2022 |

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Le CDD et la loi des exceptions

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« Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail », énonce le Code du travail. Si l’embauche en CDD est devenue le principe (88 % des embauches), ce contrat reste, en droit, l’exception. Une exception elle-même truffée d’exceptions, au point que la législation sur les CDD est difficilement lisible. Ci-après quelques clés de lecture et exemples de ces difficultés rencontrées tout autant par les salariés que par les entreprises, surtout les PME, pour la plupart dépourvues de service juridique.

Clés de lecture

Deux règles générales, d’ordre public, chapeautent le régime du CDD. La première est prévue à l’article L. 1242-1 du Code du travail : « Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. » Il y a là un guide d’interprétation de l’ensemble de la législation sur les CDD. Pour savoir si un CDD peut être valablement conclu avec un cameraman dans une émission de télévision qui revient chaque année, avec un salarié qui a cumulé 50 CDD de remplacement sur un même poste, avec un comptable dans une entreprise appartenant à un secteur d’activité où il est d’usage constant de recourir au CDD, la réponse ne se trouve pas dans les règles techniques de la législation sur les CDD mais dans l’appréciation du caractère temporaire ou non de l’emploi du salarié.

La seconde règle est celle de l’article L. 1242-2 : Le CDD « ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants… ». Il en résulte qu’à l’inverse du CDI, la conclusion d’un CDD n’est possible que dans la limite des cas de recours autorisés par le législateur : remplacement, surcroît temporaire d’activité, contrat saisonnier, CDD d’usage, politiques de l’emploi (contrat de professionnalisation ; CUI-CIE, etc.). Impossible de compléter la liste ! Les juges condamnent ainsi l’embauche en CDD en prévision d’une réduction d’activité probable, par exemple en raison de travaux routiers qui risquent de réduire substantiellement la clientèle d’un restaurant.

Questions autour des cas de recours

Certains cas de recours posent davantage de difficultés juridiques que les autres. Bien circonscrit car fondé sur un critère objectif (l’absence), le motif de remplacement soulève peu de problèmes d’interprétation. Se pose depuis quelques années la question délicate du multi-remplacement. L’embauche d’un « super-remplaçant », chargé de remplacer plusieurs salariés, est en effet le signe d’un déficit structurel de main-d’œuvre dans l’entreprise et donc incompatible avec l’esprit du régime des CDD. La loi Avenir professionnel a cependant autorisé, à titre expérimental (entre le 20 décembre 2019 et le 31 décembre 2020), la conclusion d’un CDD unique de remplacement. Quant au surcroît temporaire d’activité, il constitue du point de vue du droit le cas le plus complexe, le mot « temporaire » étant typiquement une notion juridique à contenu indéterminé. Deux situations bien différentes sont admises. D’abord, l’augmentation temporaire de l’activité habituelle de l’entreprise : augmentation d’activité d’une station-service d’autoroute pendant la période estivale, ou celle des grands magasins pendant la période des soldes ou de la rentrée scolaire. Le recours au CDD est en revanche exclu pour le lancement d’un nouveau produit, l’ouverture d’un magasin… Parce que dans ces situations on ne peut pas savoir, lors de la conclusion du CDD, si l’activité sera ou non temporaire. La seconde situation correspond à l’exécution d’une tâche ponctuelle ne relevant pas de l’activité habituelle de l’entreprise et pour laquelle l’employeur ne dispose pas de salariés avec la qualification adéquate, par exemple des travaux d’informatisation d’un service, la formation d’une catégorie de salariés ou des missions d’expertise comptable.

Le CDD d’usage (CDDU) est controversé depuis que l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a rendu, en 2016, un rapport dénonçant la dérive des CDDU. La taxe sur les CDDU (10 euros par contrat) n’y changera probablement rien, et a d’ailleurs été supprimée (temporairement ?) en septembre 2020 dans le cadre de l’épidémie de Covid 19, les secteurs concernés par le CDDU étant parmi les plus touchés par la crise. Autre réaction, celle de la jurisprudence. Il est aujourd’hui exigé non seulement que l’entreprise se situe dans l’un des secteurs visés par les textes (restauration, spectacle, sport professionnel, etc.) mais aussi que l’emploi occupé par le salarié soit lui-même temporaire. Cette condition, logique au regard de la règle générale de l’article L. 1242-1, a fait l’effet d’une bombe dans certains secteurs, à commencer par le sport professionnel, notamment le rugby et le football où les clubs avaient pris l’habitude de recruter joueurs et, encore plus, entraîneurs en CDDU (requalification du contrat d’un entraîneur de l’AJ Auxerre, du FC Lorient, etc.) pour des emplois qui, de toute évidence, n’avaient rien de temporaires. En réaction à ces requalifications, un CDD spécifique au monde du sport a été créé.

Les frontières floues du CDD

Autre question juridique récurrente : les frontières entre les cas de recours, à commencer par celle entre le CDD saisonnier et le CDD pour surcroît temporaire d’activité. La question est tout sauf théorique puisque le CDD saisonnier est plus attractif pour l’entreprise, du fait de l’absence d’indemnité de précarité et de la plus grande facilité à faire se succéder des CDD saisonniers que des CDD pour accroissement temporaire d’activité. Contrairement à l’accroissement temporaire d’activité, le travail saisonnier est défini par le Code du travail. Sont saisonnières les tâches appelées à se répéter chaque année, à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs, ce qui oblige l’entreprise à se placer sur le terrain de l’accroissement temporaire lorsque ces critères ne sont pas remplis. Ne peut être qualifié de contrat saisonnier le contrat conclu avec une société d’édition, pour faire face à une augmentation du volume d’activité lors des fêtes de Noël et de Pâques, dès lors que l’activité de vente par correspondance se poursuit pendant toute l’année et n’est donc pas saisonnière. De même, lorsque l’activité de l’entreprise varie en fonction de la seule volonté de l’employeur, le CDD saisonnier est exclu. C’est ce qui a été jugé à propos de l’entreprise de maroquinerie dont l’activité ne varie pas en fonction du rythme des saisons, mais de la seule volonté de l’employeur qui a décidé de répartir sa production sur une partie de l’année. Même solution pour la société qui produit et commercialise des pizzas surgelées, car il n’y a pas de saison de la pizza, mais le cas échéant des pointes d’activité qui ne sont pas liées à des événements se répétant chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs.

Les chaînes de CDD, quelles limites ?

Limiter les cas de recours au CDD serait sans intérêt s’il suffisait de les renouveler « ad vitam aeternam ». Les difficultés sont ici aussi importantes, le législateur ayant au fil du temps créé un régime truffé d’exceptions, lesquelles concernent des CDD aussi fréquents que les CDD de remplacement, d’usage et les CDD saisonniers. Des contentieux sont ainsi nés à propos de successions massives de CDD, recouvrant parfois des centaines de contrats avec un même salarié. Les juges ont d’abord réagi en requalifiant en CDI au nom de l’existence d’un « ensemble à durée indéterminée ». La position s’est fortement infléchie depuis que la Cour de justice de l’Union européenne a validé en 2012 une succession de douze CDD sur onze ans pour un même salarié. La Cour de cassation s’est conformée à cette jurisprudence dans un arrêt remarqué du 14 février 2018 qui écarte la requalification malgré une succession de 104 CDD de remplacement en quatre ans. La position est donc très souple : le seul fait de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne suffit plus à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour pourvoir un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Cette jurisprudence et, plus généralement, les incertitudes générées par le régime juridique du CDD devraient encourager les partenaires sociaux à se saisir des possibilités que leur ont offert les ordonnances de 2017. Car, si les partenaires sociaux n’ont pas la main sur la définition des cas de recours au CDD, et donc sur le caractère obligatoirement temporaire du CDD, ils peuvent désormais aménager par accord collectif (seulement une convention de branche étendue1) les règles entourant la durée, le délai de carence et le nombre de renouvellements. Parce que la création d’un contrat unique, serpent de mer dans les débats sur le contrat de travail (L’improbable percée du contrat de travail unique, « Liaisons sociales magazine » déc. 2014), n’est une bonne solution ni pour les salariés qui n’ont rien à gagner à un CDI qui pourrait être rompu sans motif ni pour les entreprises qui ont besoin du CDD pour leur fonctionnement, il va bien falloir continuer à composer avec la complexité du régime du CDD.

(1) Ne sont pas ici évoquées les dérogations spécifiques à la législation Covid