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La traque aux coûts-contrats a commencé

Dossier | publié le : 01.02.2022 | Benjamin d’Alguerre

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La traque aux coûts-contrats a commencé

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

700 000 contrats d’apprentissage signés, record battu. Record battu aussi… pour le déficit de France compétences qui porte le coût financier du succès de la réforme. Les branches professionnelles sont incitées à revoir les tarifs excès à la baisse et à calculer des prises en charge « au coût réel ».

Trois ans après la promulgation de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », la révolution copernicienne de l’apprentissage promis par la ministre du Travail d’alors, Muriel Pénicaud, a-t-elle eu lieu ? Sur le plan quantitatif, les résultats sont indéniables. Avec 700 000 contrats enregistrés en 2021, l’apprentissage a littéralement explosé. Y compris dans des secteurs professionnels où il était traditionnellement marginal. « Dans notre champ, nous tournions à 3 000 ou 3 500 contrats par an avant la réforme : nous en comptons 13 500 aujourd’hui », note Olivier Phelip, directeur général d’Uniformation, l’opérateur de compétences (OPCO) de la Cohésion sociale qui rassemble vingt branches du lien social comme les institutions de retraite et de prévoyance, la mutualité, l’aide à domicile, l’habitat social ou les sociétés coopératives d’HLM. Métallurgie, bâtiment, transports, plasturgie, artisanat… la croissance est générale, portée notamment par la forte augmentation de l’alternance dans le supérieur. Même dans les réseaux habituellement associés aux formations manuelles et aux diplômes de type CAP ou baccalauréat professionnel tel celui des Compagnons du Devoir qui « enregistre une hausse de 40 % des contrats dans les cursus post-Bac », indique Patrick Chemin, leur secrétaire général.

Révision au cas par cas

« Qui aurait pensé que nous serions capables en cinq ans de doubler le nombre de nos apprentis ? » s’interrogeait Emmanuel Macron au soir du 31 décembre dernier lors de ses vœux aux Français pour 2022. Libéralisation du système, transfert du financement des centres de formation des Régions aux branches selon une logique de « coûts-contrats », fin de l’autorisation administrative préalable à l’ouverture d’un CFA, possibilité pour une entreprise d’ouvrir son propre établissement – on en compte une soixantaine à ce jour -, tout le monde s’accorde, même les opposants d’hier, à admettre que la réforme initiée par Muriel Pénicaud a payé en termes volumétriques. « Nous sommes passés d’environ 950 CFA à 1 400 », calculait le député LR Gérard Cherpion (Vosges) à l’occasion de la présentation, mi-janvier, du bilan à trois ans de la loi Avenir professionnel devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Mais ce succès a – littéralement – un coût. En l’occurrence, celui d’une partie conséquente du déficit de France compétences, l’organisme répartiteur des fonds de la formation et de l’alternance. Un peu plus de 7 milliards d’euros sur deux ans d’exercice et deux recapitalisations successives sur les fonds de l’État. Dont la dernière fin 2021 pour près de 2,4 milliards. Certes, l’apprentissage n’est pas seul en cause – le CPF monétisé a aussi sa part de responsabilité – mais « il représente tout de même la principale raison du déficit », reconnaît Catherine Fabre, députée LREM de Gironde et rapporteuse en 2017-2018 du titre 1 (consacré à la réforme de l’apprentissage et de la formation) de la loi « Avenir professionnel » (voir page 40). La faute à un système de financement mis en place « à enveloppe ouverte » sans régulation des niveaux de prise en charge (les « coûts-contrats ») des cursus fixés par les branches, parfois de façon jugée excessivement généreuse. 6 666 euros par an pour un CAP de boulanger spécialisé. 6 759 euros pour un CAP de réceptionniste. 9 000 euros pour un brevet de technicien ascensoriste. 10 275 euros pour une licence pro « développement et test ». 12 500 euros pour un BTS management d’unité de restauration… « Nous avions expliqué en long, en large et en travers dès 2017 que ce système ne serait pas soutenable financièrement. Aujourd’hui, le temps nous a donné raison », tonne David Margueritte, vice-président de la région Normandie et administrateur de France compétences. Pour combler le trou dans la caisse, l’État a décidé de réagir. À l’été 2021, les centres de formation d’apprentis ont été priés de dégainer leurs calculettes pour déterminer les coûts réels des contrats selon le principe de la comptabilité analytique et les faire remonter à France compétences en vue d’un grand toilettage des tarifs par les branches. « C’est un sujet que les branches ont pris à bras-le-corps », lance Pascal Le Guyader, vice-président de l’OPCO de l’industrie (OPCO2i) « La seule chose que l’on demande à l’État, c’est de ne pas faire le choix d’une uniformité des coûts-contrats et de laisser les branches trouver leur propre équilibre financier. Le risque, si les niveaux de prise en charge étaient systématiquement revus à la baisse, serait de stopper net l’appétence pour l’apprentissage ». Car dans certains secteurs de l’industrie, les coûts-contrats reviennent effectivement cher, notamment du fait du matériel et des infrastructures nécessaires à des formations techniques de type joaillerie, bijouterie ou biotechnologies. Les branches vont donc devoir faire de la dentelle, calculer au cas par cas, coût-contrat par coût-contrat. Complexe… mais rassurant. Car en 2019, la mission commune des inspections des finances et des affaires sociales chargée d’étudier les moyens de limiter les dépenses recommandait un coup de rabot massif et général. « Les tableaux que nous a fait remonter France compétences de différentiels entre la prise en charge décidée par les branches et le coût affiché par les CFA allant parfois jusqu’à 30 % », témoigne Laurent Munerot, vice-président de l’U2P, membre du conseil d’administration de France compétences et administrateur de l’OPCO EP, celui des entreprises de proximité. Dans ce genre de situation, pas de pitié : la branche dont dépend le cursus sera fortement encouragée à revoir son prix à la baisse…

L’Éducation nationale à la rescousse (financière)

L’accord-cadre national interprofessionnel (ACNI) signé en octobre dernier par les partenaires sociaux (CGT et FO exceptés) prévoit également d’autres scénarios pour soulager la trésorerie de France compétences. À l’image d’une implication financière de l’Éducation nationale dans le financement de l’opérateur puisque ses établissements peuvent eux aussi accueillir des étudiants en alternance. Dans les premiers mois de l’existence de France compétences, alors que l’aiguille des dépenses commençait déjà à frôler la zone rouge, l’hypothèse d’une prise en charge des contrats d’apprentissage dans les CFA publics sur leurs propres deniers à hauteur de 60 % du coût total avait déjà été évoquée. Autre piste avancée pour remettre au pot de France compétences : supprimer les exonérations de charge dont bénéficient certains secteurs comme l’économie sociale et solidaire ou l’agriculture. Celles-ci seraient donc astreintes à verser chaque année leur contribution équivalente à 0,68 % de leur masse salariale. « Une telle initiative inquiète énormément les branches adhérentes d’Uniformation. Cela entraînerait un relèvement significatif du coût du travail. Les partenaires sociaux ne sont pas opposés au principe, mais estiment indispensable que la mesure, si elle devait entrer en vigueur, se fasse », explique Olivier Phelip. Autant dire que dans les branches potentiellement concernées, le mécano proposé par Bercy sera regardé de très près.

Alerte sur les aides à l’embauche

À trois mois des élections présidentielles, une autre inquiétude taraude les entreprises recruteuses d’apprentis. Quel avenir pour les aides à l’embauche de 5 000 et 8 000 euros que le gouvernement avait mis en place en avril 2020 pour inciter les employeurs à continuer à embaucher des jeunes en apprentissage même pendant la période pandémique. Les employeurs ont répondu à l’appel et l’apprentissage, contrairement à ce qu’on pouvait attendre, ne s’est pas écroulé dans la période. « En dépit du Covid, et malgré des projections pessimistes à l’été, l’exercice 2020 a montré une croissance des effectifs d’alternants de + 9 % et 2021 conforte cette progression avec + 20 % », glisse Stéphanie Lagalle-Baranès, directrice générale d’OPCO2i. Ces coups de pouce au recrutement ont été prolongés jusqu’en juin 2022 afin de maintenir le volontarisme des entreprises. Mais après ? Certaines associations comme la Fédération nationale des directeurs de CFA (Fnadir) ou des organisations comme le Medef réclament leur maintien, voire leur pérennisation. Et pourquoi pas définitive… « Pour les TPE, c’est un enjeu majeur. Un reste à charge de 1 000 ou 1 500 euros peut être rédhibitoire pour le chef d’entreprise », avertit Laura Taisne, responsable alternance chez Constructys, l’OPCO du bâtiment. « Il existe effectivement un risque de décrochage des entreprises, mais il ne faudrait pas que l’apprentissage devienne totalement gratuit non plus. Ce qui est gratuit est déprécié. Il y a un équilibre à trouver entre investissement des employeurs et aides à l’embauche pour les plus petites entreprises », tranche Patrick Chemin. Et de préférence avant les échéances électorales.

Pro-A ne décolle pas

Il promettait beaucoup… et pour l’instant, a donné peu. Le dispositif de reconversion ou de promotion par alternance (Pro-A) a déçu. Conçu pour remplacer la période de professionnalisation, il a fait l’objet de nombreux accords de branches qui ont mis parfois plus d’un an à être étendus par le ministère du Travail. « Il s’agissait déjà d’un dispositif difficile à mettre en œuvre et la crise sanitaire n’a pas facilité les choses », soupire Pascal Le Guyader. Tuée dans l’œuf, la Pro-A ? « Le dispositif reste très confidentiel », confirme le président du Leem. Dans le périmètre de la Cohésion sociale, le dispositif monte en puissance lentement. « Nous en avons financé sept en 2020, mais nous sommes passés à six cent vingt-quatre en 2021 », compte Olivier Phelip. Un espoir : ce dispositif limité par un refinancement de France compétences plafonné à 3 000 euros seulement a été boosté fin 2021 dans le cadre du plan France Relance. Laura Taisne explique : « Elle peut désormais être financée dans le cadre du FNE-Formation. Grâce à ce renfort, nous espérons multiplier le nombre de Pro-A dans notre secteur même si pour l’instant, notre principale branche, le bâtiment, n’a pas encore négocié d’accord », poursuit la responsable alternance de Constructys. L’aube d’une nouvelle chance pour un dispositif mal installé ?

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre