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La digitalisation des CFA : engagée par la réforme, accélérée par la pandémie

Dossier | publié le : 01.02.2022 | Murielle Wolski

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La digitalisation des CFA : engagée par la réforme, accélérée par la pandémie

Crédit photo Murielle Wolski

Facteur « d’emmerdement » général, le Covid serait aussi un facteur de progrès. Pour preuve, les centres de formation des apprentis (CFA) se sont engagés massivement – mais souvent dans la douleur – dans la digitalisation des enseignements. L’amorce d’une transformation durable ?

Les lois du 8 août 2016, du 5 septembre 2018, complétées par un décret du 28 décembre 2018 ont rebattu les cartes de l’apprentissage : les Régions ont perdu la main, au profit des OPCO (opérateurs de compétences) ; les conditions pour la création d’un CFA ont été allégées, générant une concurrence exacerbée, voire une course pour atteindre une taille critique ; le recours à la formation à distance a été autorisé. « Aussi, le confinement du printemps 2020 n’a pas vraiment donné le top départ, commente Noria Larose, directrice associée chez Nell &Associés, agence de formation digitale, qui accompagne notamment les organismes de formation. Mais cet évènement sanitaire a permis à des établissements de rattraper leur retard. Les freins viennent souvent de l’humain. Et le degré de digitalisation variait d’une région à l’autre, de la volonté politique de la développer ou non, détaille encore Noria Larose, mais souvent avec le réflexe de penser d’abord équipement, mais pas contenu, ni accompagnement des équipes pédagogiques. C’est ce qui s’était passé en Île-de-France. Contact n’avait pas été pris avec les éditeurs. Les enseignants se sont alors retrouvés le bec dans l’eau. »

« Mars 2020, les CFA ont été privés de face-à-face, plus de public, commente Aurélia Bollé, déléguée générale du FFFOD (Forum des acteurs de la transformation digitale) et ont dû imaginer une continuité. Non sans difficulté. On était quand même loin de la transformation digitale. Un coup d’accélérateur s’est opéré pour tester un certain nombre de choses, pour garder le lien avec les apprenants, se poser les questions de l’ingénierie. Beaucoup tester, beaucoup bricoler. » D’après la Fédération nationale des directeurs de CFA (Fnadir), 92 % de ses adhérents avaient déployé une solution de formation à distance alors qu’avant le confinement, 25 % d’entre eux n’en disposaient pas. « Avec le recul, on peut parler d’un formidable accélérateur, assure Pascal Picault président de la Fnadir, avec des moyens hétérogènes. »

Changement de « business model »

« Cette statistique cache en effet de vraies disparités, souligne Aurélien Cadiou, président de l’Association nationale des apprentis de France (Anaf). Pour certains, la digitalisation se limitait à l’envoi en PDF des cours, ou à la simple visio, sans mise en place d’un suivi, sans LMS (learning management system), outil qui accompagne le processus d’apprentissage. Sur quels critères ce pourcentage a-t-il été obtenu ? En réalité, les CFA ont fait avec les moyens du bord. » De retour du CES Las Vegas 2022, Yannig Raffenel, CEO expert chez SAS Blended learning, co-président de EdTech confirme : « Contrainte, la bascule s’est faite dans de mauvaises conditions, et a fait subir aux apprenants la pire des expériences. Une catastrophe pédagogique ! »

« La transformation numérique nécessite du temps, rappelle Aurélia Bollé. On ne peut pas faire cette économie du temps long. Les questions sont nombreuses : quels investissements sont nécessaires ? Quel est le public visé ? Comment l’atteindre ? Quelles nouvelles compétences doivent être mobilisées ? Faut-il internaliser ou pas les ressources ? Ou s’équiper d’une plateforme ? » La digitalisation est aussi une question de chiffres. Ainsi, Yves Georgelin, directeur général du CFA Afia, spécialisé dans les domaines de l’informatique et du numérique, annonce-t-il un budget de 100 000 euros pour digitaliser une année du bachelor marketing digital, par exemple. « Trois années seront nécessaires pour amortir l’investissement sur une cohorte de 100 jeunes ». Entre 150 000 et 300 000 euros, c’est aussi la fourchette avancée par Jean-Philippe Leroy, directeur du CFA IGS. « De nombreux paramètres entrent en ligne de compte, précise-t-il, les techniques mobilisées, le management… Notre groupe compte actuellement 10 diplômes digitalisés, avec l’ambition d’en proposer deux à quatre supplémentaires par an. » Un travail mené en partenariat avec l’éditeur historique Nathan. Le coût peut vite s’envoler, d’où des économies d’échelle à dégager en s’associant, en mutualisant. À défaut, il risque d’y avoir de la casse, « des annonces de fermetures de CFA, pourtant des institutions, plombées par une inertie certaine, pas assez agiles ». Telle est la prédiction de ce début d’année de Noria Larose. Produire à tout prix du contenu ne paraît pas être la bonne stratégie à adopter. C’est le point de vue de Yannig Raffenel. « Dupliquer ce qui existe probablement déjà ne sert à rien. Les formateurs avaient peur d’être déshabillés, mais mieux vaut se concentrer sur l’accompagnement, la valeur ajoutée, l’activité pédagogique. »

À la recherche de nouvelles compétences ?

Et le sujet de la compétence ne vise pas uniquement l’ingénierie pédagogique ou la « gamification » des contenus, la production de pastilles scénarisées. « On a pu vivre en direct l’acceptation des personnels, commente Pascal Picault. Les formateurs partants sont plus nombreux, mais pas forcément dotés des bonnes compétences. Un autre exemple : la gestion d’un parc informatique est un vrai métier. Une tâche lourde ! Je vais avoir 1 500 ordinateurs à gérer, avec le service après-vente d’une certaine manière. Le CFA est responsable de la maintenance. »

TikTok au CFA

« Le XXe siècle a été celui des experts, résume Stéphane Diebold, président de l’Association des responsables de formation (Affen), le XXIe sera celui des apprenants, avec le développement des podcasts qui leur sont dédiés, le Learner generated content (LGC). Est-ce que ce n’est pas le moment de développer la classe inversée ? De ré-enchanter le contenu ? D’avoir des modalités bottom up ? De regarder ce qui se fait sur TikTok ? L’âge moyen de l’utilisateur de cette application mobile est de 21 ans, comme celui de l’entrée en entreprise. On sait que la société est là. La formation ne doit pas être hors du monde. On ne pourra pas revenir à « la normale », maintenant il est temps de faire une vraie stratégie numérique. »

Les 300 millions de Deffinum (pour dispositifs France formation innovante numérique), mis sur la table par l’État dans le cadre d’un appel à projets pour accélérer la digitalisation, devraient aider. Éviter que l’amorce de digitalisation ne retombe comme un soufflet. Deffinum ? Un nom que tous les interlocuteurs sollicités – ou quasiment tous – répètent en boucle, comme pour invoquer les dieux du digital ! « L’opportunité pour les CFA de s’approprier le meilleur du digital, explique Yannig Raffenel, d’apprendre à travailler ensemble mais à distance. De dégager du temps pour individualiser le contenu, mais aussi apprendre le savoir-faire, et pas apprendre tout court. À compter de 2023, la réalité augmentée viendra apporter les moyens d’apprendre les gestes. On rentre dans une nouvelle dimension. » Mais, jusqu’où aller ? De la visite de l’établissement à l’inscription et jusqu’au livret de l’apprenti, une phase administrative 100 % dématérialisée, pourquoi pas. Mais l’objectif est-il d’atteindre les 100 % de cursus digitalisables ? Aurélien Cadiou n’en veut pas. « Les apprentis ont eu de réels problèmes de concentration », dit-il. Un avis partagé par Yves Hinnekint, directeur général du groupe Talis Business School, président de l’association Walt pour We Are Alternants, qui regroupe des acteurs majeurs de l’alternance : « Si cela élargit la boîte à outils, si les jeunes sont des « geek native » pour surfer, ils ne sont pas forcément à l’aise avec les outils pédagogiques. Aussi, le 100 % en e-learning, je n’y crois pas. » Et Noria Larose d’enfoncer le clou : « Il y a même plus de freins de ce côté-là que du côté des professeurs ! Aux enseignants d’être malins ! »

L’objectif de Pascal Picault ? 25 % des formations digitalisées d’ici 2025. « Il y a aussi un enjeu écologique, assène-t-il. Est-il raisonnable de faire déplacer tous les jeunes. » Et, même prudente, même balbutiante, la digitalisation progressive des CFA, mais aussi de tous les organismes de formation, élargit la zone de chalandise. « Avec 400 millions de francophones dans le monde, le calcul ne serait pas idiot, indique Stéphane Diebold. La France a beaucoup de retard. C’est un vrai enjeu de souveraineté nationale. » Mesdames, messieurs les candidats à l’élection présidentielle….

Auteur

  • Murielle Wolski