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Décodages

Renault fait sa révolution industrielle et RH

Décodages | Transformation d’entreprise | publié le : 01.02.2022 | Benjamin d’Alguerre

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Renault fait sa révolution industrielle et RH

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Le 14 décembre dernier, la direction de Renault Group et trois syndicats signaient un accord engageant une transformation profonde et durable pour le constructeur et ses salariés. Politique industrielle, organisation du travail, emploi, compétences, implantation… Décryptage avec Maximilien Fleury, DRH France de la marque au losange.

Quelle est la genèse de l’accord ?

Maximilien Fleury : Cela fait quelques années que l’industrie automobile est confrontée à une transformation historique. Tout change à vitesse grand V : les technologies, les produits, les modes de distribution, le marché, les attentes des clients… En 2035, les constructeurs n’auront plus le droit de vendre de véhicules à moteur thermique en Europe. Comment s’adapter ? C’est l’un des aspects du plan stratégique « Renaulution » impulsé par Luca de Meo dès son arrivée à la direction générale du groupe fin 2020 avec l’ambition de le restructurer pour le préparer à l’avenir. La direction a fait le choix de l’évolution d’une stratégie de volumes vers une stratégie de valeurs. Évidemment, cette transformation s’inscrit également dans un contexte de dégradation économique à la fois pour le groupe mais aussi pour la filière automobile tout entière : la pandémie, la crise des composants ou les problématiques internes propres à Renault ont accéléré le processus. En clair : passer d’un modèle économique qui reposait sur une recherche de croissance et de développement en fonction du nombre de véhicules vendus à un recentrage de l’activité sur les opérations les plus rentables. Le plan d’économies amorcé début 2020 constituait la première étape de la stratégie de restructuration déployée sur la séquence 2020 – 2021. Renaulution arrive après tout cela. Dans ce contexte, plusieurs organisations syndicales nous ont fait savoir qu’elles souhaitaient ouvrir des discussions sur la place et le rôle de la France dans le cadre du nouveau plan stratégique.

Comment la négociation proprement dite s’est-elle engagée ?

M. F. : Le processus a été engagé dès le printemps 2021. Il a débuté par une série de concertations avec les organisations syndicales visant à nous accorder dès le départ pour savoir si la transformation qui s’engageait au sein du groupe devait se traduire par un nouvel accord. À son issue, plusieurs groupes de travail paritaires ont été constitués pour établir un diagnostic partagé sur la situation économique du groupe, son organisation, les orientations stratégiques et les enjeux de cette transformation pour Renault et ses salariés. La réalisation de ce diagnostic nous a occupés pendant un mois et demi au printemps 2021. Cette étape était indispensable au bon fonctionnement du dialogue social puisqu’à son issue, nous sommes tombés d’accord sur le principe d’une négociation. L’été a été consacré à la conclusion d’un accord de méthode très détaillé visant à cadrer la future négociation, établir un calendrier des discussions et déterminer les grands thèmes qui allaient y être abordés. Enfin, la négociation elle-même a débuté au mois de septembre et a duré jusqu’à novembre pour une signature finale le 14 décembre par trois des quatre organisations syndicales représentatives dans le groupe, à savoir la CFE-CGC, la CFDT et FO qui représentent à elles trois 75,8 % de la représentativité. Seule la CGT n’a pas signé.

Quelles dispositions contient cet accord ?

M. F. : L’accord triennal, baptisé « Re-nouveau France 2025 » est un texte global et ambitieux qui vise à replacer la France au cœur de la stratégie de Renault Group et à l’inscrire dans une démarche de transformation et de performance durable. Il s’agit d’un texte particulièrement important dans le panorama actuel. Sur le plan industriel, il s’agira d’orienter la production vers les activités d’avenir. La production de neuf nouveaux véhicules sera affectée à la France, dont une majorité de 100 % électriques avec l’ambition d’en sortir 700 000 de nos chaînes de montage chaque année. C’est une affectation industrielle jamais vue ! Le groupe affectera ainsi au pôle Renault ElectriCity (Douai, Maubeuge et Ruitz, tous les Hauts-de-France) : la Mégane E-Tech Electric, la future Renault 5 électrique, la version électrique de Nouveau Kangoo, un projet de SUV électrique et un projet de nouveau véhicule en cours de définition. En Normandie, l’usine de Dieppe produira un nouveau véhicule Alpine et celle de Sandouville le Nouveau Trafic électrique. En Grand Est, le site de Batilly accueillera le remplaçant de Master ainsi qu’un véhicule partenaire. L’ensemble de la production de véhicules électriques, la ferronnerie et le montage seront assurés en France de A à Z, mais aussi des activités associées comme la production de certaines batteries, c’est un engagement industriel majeur. En parallèle, nos activités de recherche et développement en France seront orientées vers des activités à haute valeur ajoutée comme l’électrification des véhicules, les nouvelles propulsions à hydrogène, l’intelligence artificielle ou l’électronique embarquée.

La négociation a aussi été l’occasion de revoir la politique de la durée et de l’organisation du travail chez Renault. Dans quelle mesure ?

M. F. : Si nous voulons que ces nouvelles activités se développent et deviennent pérennes, il faut les inscrire dans un cadre de performance durable. Cela nous a amenés à travailler, pendant la négociation, sur la durée annuelle du travail et les congés payés dans une optique de variabilisation du temps de travail afin de l’adapter aux variations de l’activité et aux aléas de la production. Jusqu’à présent, la durée légale du travail annuelle était de 1 603 heures, elle sera ramenée à 1 607 heures. Par ailleurs, le temps de travail intégrait divers éléments de pause non travaillée et payée. Cela vaudra encore pour les anciens salariés qui étaient en poste avant la négociation de l’accord mais plus pour les nouveaux entrants dans le groupe. Les heures supplémentaires seront uniformisées et majorées de 25 % là où on comptait des majorations différentes en fonction des établissements auparavant. La politique des congés a également été révisée afin de permettre aux salariés de mieux les consommer. Jusqu’à l’accord, certains congés non pris étaient capitalisés, d’autres perdus. Nous avons mis fin à ce système en instaurant un nouveau système de pose avec deux prérequis : aucune perte de rémunération, aucune perte de congé. Il ne sera plus possible de cumuler des congés non pris. Il ne sera plus question pour les salariés d’en perdre parce qu’ils n’ont pas pu les poser.

Le nouveau projet industriel de Renault implique une large transformation des emplois et des compétences. Que prévoit l’accord sur ce plan ?

M. F. : C’est effectivement un très gros enjeu pour le groupe. En novembre 2020, un précédent accord consacré à la transformation des compétences avait été signé entre la direction et trois syndicats (CFE-CGC, CFDT et FO) pour adapter notre schéma des emplois et des compétences. L’accord prévoyait 2500 départs dans l’ingénierie et les fonctions support du groupe (600 aménagements de fin de carrière plus 1 900 dans le cadre de ruptures conventionnelles collectives). L’accord de l’époque prévoyait aussi la mise en place de « passerelles » de formation entre les métiers menacés d’obsolescence et les emplois du futur correspondant aux évolutions techniques et législatives du secteur de l’automobile. L’accord du 14 décembre poursuit sur cette lancée puisqu’il prévoit 2 500 recrutements sur trois ans (2 000 dans les usines, 500 dans les fonctions ingénierie et tertiaire), 10 000 formations et reconversions fléchées vers les métiers du véhicule électrique, du digital, les nouveaux modes de propulsion ou l’éco-conduite ou l’économie circulaire. Toutes ces formations seront assurées par Re-Know, notre université d’entreprise interne parfois en partenariat avec des établissements de l’enseignement supérieur. Dans le même temps, 1 700 départs sont planifiés, toujours sur la base du volontariat et là encore dans les secteurs technique et tertiaire.

Cet objectif de transformation des compétences passe-t-il par une politique d’abondement du CPF des salariés par l’entreprise ?

M. F. : Les formations planifiées dans le cadre de l’accord seront financées dans le cadre du plan de développement des compétences du groupe. En même temps, nous développons deux dispositifs de co-abondement chez Renault, soit en temps (les formations pouvant être suivies pendant le temps de travail), soit en argent si celles-ci entrent en accord avec les objectifs stratégiques de l’entreprise.

Vous avez également prévu de nouveaux dispositifs sur les salaires, les conditions de travail et l’intéressement. Lesquels ?

M. F. : Pendant la durée de l’accord le groupe s’engage à maintenir des négociations sur les salaires chaque année, en cohérence avec le marché en France et la situation financière de l’entreprise. Une négociation sera ouverte au 1er semestre 2022 sur un dispositif triennal d’intéressement reposant sur la performance du groupe et la performance locale des établissements. Les partenaires sociaux se sont également engagés à ouvrir, au plus tôt fin 2022, des réflexions sur la qualité de vie au travail ainsi que des discussions paritaires sur la santé et la prévoyance afin de moderniser les dispositifs existants.

Reste la question du patrimoine immobilier de Renault que l’accord se propose de revisiter. Dans quelle mesure ?

M. F. : Nous allons revoir notre implantation immobilière tertiaire en Île-de-France à l’horizon 2025 pour nous adapter aux nouveaux objectifs de production inscrits dans le cadre de Renaulution. Cela passera notamment par le regroupement de nos implantations autour de deux pôles : l’un à Guyancourt et l’autre à Boulogne, ce qui devrait nous permettre de réaliser jusqu’à 60 millions d’euros d’économie. Des mesures d’optimisation de l’usage des sites industriels existants sont également à l’agenda.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre