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Les introvertis, révélés par le télétravail

Décodages | Santé au travail | publié le : 01.02.2022 | Irène Lopez

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Les introvertis, révélés par le télétravail

Crédit photo Irène Lopez

Ils manquent de confiance en eux, détestent déjeuner avec leurs collègues, et les pauses autour de la machine à café leur donnent des sueurs froides. Ce sont les collaborateurs timides, les introvertis, ceux qui souffrent de phobie sociale. Les experts reconnaissent que ce sont de super professionnels. Pourtant, on les remarque à peine dans l’entreprise. Et si le travail à distance rebattait les cartes et mettait toutes les personnalités sur un pied d’égalité ?

Sébastien est graphiste dans une agence de communication. Il travaille dans un bureau partagé et peine à se concentrer quand tous ses collègues sont présents. De nature discrète, il n’élève jamais la voix. C’est bien simple, on ne l’entend pas de la journée. Son responsable dit de lui « qu’il se met en retrait ». Ses collègues le trouvent « solitaire ». C’est vrai que, le lundi matin, il ne fait pas partie de ceux qui racontent leur week-end à la machine à café. En réunion, il prend rarement la parole. Sébastien fournit un travail impeccable mais personne ne le remarque. Le télétravail a été un soulagement pour lui et pour tous ceux qui sont mal à l’aise en société. C’est le cas des timides, des introvertis, des personnes qui ont des troubles obsessionnels compulsifs (TOC), de celles qui souffrent d’un trouble du spectre autistique (TSA) ou de phobie sociale, les agoraphobes, etc.

Déborah Romain-Delacour, coach et psychologue du travail, commente : « Ces différentes personnalités ont en commun plusieurs traits de caractère : elles détestent les imprévus qui leur génèrent une véritable angoisse, elles n’aiment pas les relations informelles et ont besoin de contrôler leur environnement. À l’inverse, dès que l’on attend quelque chose d’elles et qu’elles sont dans leur rôle, elles sont capables d’être très efficaces. »

Dès qu’il s’agit de se retrouver autour de la machine à café, de participer aux repas le midi, entre collègues, ces personnalités atypiques ne savent pas se positionner et ne comprennent pas « le jeu ». La psychologue du travail ajoute : « Celles qui sont capables de gérer leur stress vont à la cantine avec leurs collègues mais elles se font violence. Pour être avec les autres, cela reste un acte non naturel. Pour le dépasser, elles doivent se plier à un apprentissage social qui a pour but de développer une compétence sociale. Cette peur disparaît ensuite progressivement. Quant aux introvertis les plus extrêmes, ils ne se rendront jamais à la cantine et ne participeront jamais aux événements, comme boire un verre le soir, après la journée de travail. »

Sylvie Seksek est autiste (NDLR : elle revendique ce terme et le préfère à TSA) et professionnelle de l’autisme. Elle a longtemps été salariée avant de devenir conseillère et médiatrice autisme en entreprise. Elle déclare : « Pour un salarié autiste, le télétravail n’a que des avantages : fini les stimuli agressifs dans les transports en commun, les difficultés de concentration et les interruptions non sollicitées. En travaillant chez lui, l’autiste n’est plus obligé de se justifier quand il ne va pas déjeuner avec ses collègues. » De fait, Sylvie Seksek avoue que pendant le confinement, beaucoup d’autistes étaient satisfaits de la situation.

Les écueils.

Déborah Romain-Delacour explique : « Il faut savoir que, pour un introverti, la gestion des relations sociales a un coût cognitif énorme. Cela est une charge. En télétravail, cette énergie est mise à profit pour gérer ses missions professionnelles. On peut affirmer que ces collaborateurs sont bien souvent plus performants que les autres. Le contexte de l’entreprise est pénalisant et celui du télétravail leur devient favorable. »

Autre exemple, celui de l’apparence vestimentaire, ce que l’on dégage… Pour ces personnalités, ils sont une source d’angoisse et de stress car ils ont peur d’être jugés sur la façon dont ils sont habillés. La psychologue du travail explicite : « Pour eux, tout est jugement social. Prendre la décision des vêtements à choisir le matin est stressant. Il ne faut pas oublier que ce sont des hypersensibles : ils ressentent tout ce qui n’est pas exprimé. En télétravail, il n’y a plus ces contraintes. Nous pouvons même travailler en pyjama pour peu que nous n’ayons pas à assister à une visio conférence. »

Les vertus du télétravail.

« Le télétravail a mis tout le monde sur un pied d’égalité, ajoute Laurie Hawkes, psychologue clinicienne. Tous les salariés sont derrière leur écran. Le salarié qui ne cesse de se promener dans les couloirs avec des dossiers à la main pour montrer qu’il est débordé, qui parle fort et qui aime être le centre d’attention, se retrouve dans la même situation que le salarié discret. En télétravail, son côté solaire ne fait plus la différence. Seuls les livrables et le travail produit comptent. » Benoît Serre, DRH de L’Oréal France et vice-président délégué de l’ANDRH, complète : « La réalité du travail est davantage effective. Le télétravail a un contexte positif car les liens informels n’existent pas. Les relations sont cadrées et les collaborateurs travaillent en autonomie. Les échanges peuvent avoir lieu via des messageries en ligne. Chacun a son rôle. »

Le télétravail possède un autre bienfait pour les introvertis. En face-à-face, la timidité peut faire perdre tous ses moyens à celui qui passe un entretien.

Benoît Serre poursuit : « Avant, ils pouvaient être désavantagés. À distance, s’ils font preuve de bonnes capacités de gestion du temps, ces profils s’en sortiront. Ils seront même un avantage pour l’employeur. Les interactions sociales ne leur manqueront pas. Ils mettront leur énergie dans le travail réel et seront plus productifs. Ce sera un atout pour les entreprises qui ont instauré le full remote. Dans ce cas précis, j’encourage les DRH à faire passer des tests de personnalité pour déceler ces personnalités gagnantes du télétravail. »

À l’inverse, si l’employeur emploie en full remote un extraverti qui a besoin d’événements, de machine à café et de repas le midi, il vivra très mal la situation du full remote. Ce sera une souffrance, voire un échec pour lui et pour son employeur.

Conseils.

Comme ces personnalités n’aiment pas l’improvisation, il convient de préparer les interactions. De même, un ordre du jour détaillé des réunions limitera leur anxiété.

Laurie Hawkes avance : « Lorsqu’un timide est en réunion, il laisse la place à ceux qui sont sûrs d’eux. Bien souvent, il ne dit rien. Celui qui dirige la réunion doit alors veiller à ce que tout le monde prenne la parole mais, dans les faits, ça ne se passe pas toujours comme cela. À distance, lors d’un échange sur une plate-forme de type Teams ou Zoom, les participants ne parlent pas en même temps. C’est une règle. D’un clic, nous notifions notre envie de prendre la parole. Et chacun s’exprime l’un après l’autre. Les personnes moins à l’aise peuvent même s’affranchir de la caméra. En télétravail, nous ne sommes pas sous le regard des autres. »

Romain Giunta, porte-parole du site de recherche d’emploi Monster, déclare : « Chez Monster, nous accordons beaucoup de place aux échanges. Chaque lundi, nous avons pour habitude de réunir les 80 salariés de l’entreprise. Cette réunion est un temps de parole pour qu’ils puissent poser leurs questions. Lors de ces échanges à distance, nous essayons de mettre en lumière les salariés qui sont davantage dans l’ombre. Nous donnerons, par exemple, la parole à un commercial discret qui a signé un gros contrat ou à un comptable qui a mis en place un nouveau logiciel… Nous nous efforçons de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. La parole est difficile à prendre pour certains. C’est le rôle du manager de veiller à n’oublier personne dans la prise de parole. »

Les qualités d’un introverti.

Autre conseil pour bien communiquer : lorsqu’un manager appelle un collaborateur à la personnalité anxieuse, il doit développer un climat positif et préciser l’objet de son appel. Cette façon de faire est primordiale sinon le salarié introverti peut avoir des ruminations mentales. Il s’imaginera toujours le pire scénario catastrophique. Face au manager, il pourra ressentir des tremblements, avoir la bouche sèche, bégayer, avoir un débit trop rapide ou trop lent, baisser les yeux, etc.

Les salariés timides ou introvertis sont des perfectionnistes. Ils sont extrêmement méticuleux. Ils ont le sens du détail et ne sont jamais dans l’approximatif. Ils sont, en outre, très bons à l’écrit car ils ont le temps de prendre le recul, de réfléchir et choisissent le terme précis et juste. Certains possèdent même une excellente capacité de planification.

Benoît Serre modère l’enthousiasme que pourrait provoquer la présence de tels profils en entreprise : « Il faut de tout pour créer de la cohésion dans une entreprise. Les imposteurs de bureau, ceux qui brassent beaucoup d’air, sont aussi nécessaires que ceux qui sont rivés à leur bureau en travaillant sans arrêt. Les premiers créent indéniablement une ambiance. »

Il est vrai que le passage par la machine à café a son importance. N’est-ce pas à cet endroit et lors de ces pauses informelles que les salariés se tiennent au courant des postes qui se libèrent ? De plus, n’est-ce pas à la machine à café que se signent les contrats ? Romain Giunta conclut : « Certains timides peuvent se révéler avec le télétravail. J’en suis convaincu. Mais lorsqu’un collaborateur est timide, il le reste et peut avoir tendance à s’isoler. Le rôle des managers et des DRH sera de leur donner de la visibilité. Chaque salarié doit se sentir inclus dans l’entreprise. Par conséquent, le rôle du DRH évolue. Il devient davantage coach et moins gestionnaire administratif. »

Auteur

  • Irène Lopez