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La Seine-Saint-Denis réanime sa politique d’insertion

Décodages | Insertion | publié le : 01.02.2022 | Catherine Abou El Khair

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La Seine-Saint-Denis réanime sa politique d’insertion

Crédit photo Catherine Abou El Khair

Confronté à une hausse continue du nombre d’allocataires du revenu de solidarité active depuis plusieurs années, le département de la Seine-Saint-Denis va doubler ses moyens consacrés à l’insertion. L’objectif est aussi d’inciter davantage les bénéficiaires du RSA à reprendre un travail.

Au pic de la pandémie, un record inquiétant a été battu en Seine-Saint-Denis. En 2020, le nombre d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) a dépassé la barre des 90 000. Si la vague a légèrement reflué depuis1, le problème de fond demeure : après le département du Nord, le « 93 » est le second territoire métropolitain comptant le plus de personnes vivant de ce minimum social. Et leur nombre a encore augmenté de 6 % entre octobre 2017 et octobre 2021. Mitoyenne de Paris, la Seine-Saint-Denis compte autant de bénéficiaires du RSA que les deux autres départements de la petite couronne réunis. Contraint de verser toujours plus d’allocations devenues, avec les années, de moins en moins compensées par l’État, le département a conclu un accord de « renationalisation » du financement du RSA avec le Gouvernement. Son principe ? Que l’État couvre intégralement les dépenses excédant les 520 millions d’euros, moyenne annuelle versée entre 2018 et 2020. Une première pour un territoire de la métropole, qui la demandait de longue date.

De quoi permettre au département de doubler son budget dédié à l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, qui passera de 23 à 46 millions d’euros d’ici à 2023. « Au fil des ans, à la fois la montée en charge de l’allocation et le nombre d’allocataires nous ont empêchés de développer des politiques d’insertion, de les adapter, de les renouveler, de les mettre davantage en lien avec le monde de l’insertion et de l’emploi », a reconnu son président, Stéphane Troussel. Ces investissements seront toutefois associés à une vaste réforme. Aux manettes de la collectivité depuis 2012, le socialiste s’est montré direct sur sa propre politique. « Je vous le dis sans fausse pudeur, notre modèle actuel n’est pas satisfaisant tant en matière d’organisation que de résultats », a-t-il reconnu mi-décembre devant les acteurs de l’emploi et de l’insertion du territoire.

Le département peine en effet à trouver des solutions pour ses allocataires du RSA, qui sont 44 % à recevoir ce minimum social depuis plus de cinq ans. Concentré sur les publics jugés les plus proches du monde du travail, Pôle emploi n’accompagne que 38 % d’entre eux en 2020. Une proportion en baisse depuis 2015. Le reste de ces allocataires, suivi par le département, ne se réinsère guère. Ainsi, seules 7 % des personnes suivies par les « projets insertion emploi » retrouvent du travail. L’accompagnement dit « socioprofessionnel » dispensé par ces structures spécialisées du département, présentes dans une trentaine de communes, est remis en question. « Pendant des années, le département a fait du traitement social, avec pour objectif de lever d’abord les freins périphériques à l’emploi. N’ayant pas développé de liens avec les entreprises, le nombre d’allocataires du RSA a augmenté », critique Frank Cannarozzo, conseiller départemental Les Républicains.

Sourcer des candidats.

Un reproche en partie entendu par le département, qui a engagé un rapprochement avec le monde économique pour capter par lui-même davantage d’opportunités professionnelles. Notamment avec le secteur du BTP, très occupé en Seine-Saint-Denis avec les travaux du Grand Paris, les Jeux olympiques 2024 comme les gros programmes de rénovation urbaine. Dans le cadre du projet de « service public de l’emploi et de l’insertion » initié par le Gouvernement pour améliorer le retour à l’emploi des publics en difficulté, le département s’est engagé à pourvoir 500 emplois dans ce secteur en y orientant des personnes suivies par ses propres conseillers, ceux de Pôle emploi ou encore issus des missions locales. Une attente ancienne de la part des entreprises, qui peinent à recevoir des CV de la part des institutions. « Beaucoup d’agences d’intérim d’insertion nous disent qu’elles ne recevaient pas de candidats », constate Sarah Kibansu. Chargée de mission au Club régional d’entreprises partenaires de l’insertion d’Île-de-France, réseau d’entreprises emmené par le groupe de BTP Eiffage, elle suit de très près les candidatures envoyées par le département afin de s’assurer qu’elles aboutissent.

Recruter des candidats constitue en effet une course de fond pour le service emploi et formation du département. Il faut d’abord faire connaître les opportunités professionnelles aux chercheurs d’emploi. Sur l’ensemble du territoire de la Seine-Saint-Denis, une centaine de référents, issus de Pôle emploi, des missions locales ou des services du département, sont mobilisés. « Toutes les offres d’emploi et de formation que l’on peut capter, on se les partage », explique Marion Le Dantec, chargée de projets de développement économique du département. Grâce au réseau établi, conseillers en insertion et travailleurs sociaux peuvent aussi se renseigner sur les métiers souvent complexes du BTP. Mais le plus dur reste encore à faire. « Sur 100 personnes orientées par les prescripteurs, 50 vont se rendre aux informations collectives », poursuit la chargée de projets.

La déperdition de prétendants, fréquente, est aussi liée aux problèmes de garde d’enfants ou de logement qui peuvent empêcher de suivre une formation à la dernière minute. Pour déminer ces difficultés, souvent passées sous silence par les candidats, les référents ont pour mission de se coordonner avec les services compétents pour les résoudre. « Plusieurs personnes vont étudier la situation en même temps, ce qui permet de réduire les délais et de ne pas décourager les personnes », explique Karima Siline, conseillère du « projet insertion emploi » de Rosny-sous-Bois. Accompagnant une mère de deux enfants, menacée d’expulsion, en réinsertion, elle a, par exemple, fait remonter le dossier à une collègue au sein du département afin de s’arranger avec le bailleur…

Scepticisme des travailleurs sociaux.

Au nombre de 170 aujourd’hui, le nombre de conseillers chargés du suivi des allocataires va doubler à 340 d’ici à 2026. Selon la Cour des comptes, chaque professionnel suit en moyenne 144 bénéficiaires du RSA. Des « agences locales de l’insertion » vont être créées pour « porter des solutions sur le sujet du retour à l’emploi ». Cette politique, annoncée en décembre, suscite pourtant un certain scepticisme de la part des chargés d’insertion. « Il ne faut pas s’obstiner sur l’accès à l’emploi, estime Abdel Bellili, directeur du projet insertion-emploi de Drancy. On reçoit des femmes enceintes, des personnes qui ont des problèmes de santé, d’invalidité ou de langue, qui ont dépassé les 50 ans… Ces profils ne sont pas proches de l’emploi. » Certaines situations sont selon lui inextricables : que dire à une femme attendant la scolarisation de ses enfants pour recommencer à travailler, faute de pouvoir avancer des frais de garde ou d’obtenir une place en crèche ? Jusqu’à présent, son agence parvenait à réinsérer 10 % des publics, sans que le département n’y trouve rien à redire. Faire davantage pression sur les allocataires pour qu’ils cherchent du travail lui pose un problème éthique. « Nous sommes là pour aider les personnes », poursuit-il. Comprendre : non pour les contraindre.

La question se pose avec encore plus d’acuité au niveau des 33 circonscriptions de service social du département, antennes locales qui enregistrent plus de 360 000 passages chaque année. Ces services polyvalents composés de travailleurs sociaux reçoivent les publics les plus en difficulté. « Certaines personnes sont au RSA depuis cinq, dix, voire vingt ans, insiste Christine Bailly, syndicaliste FSU au conseil départemental de la Seine-Saint-Denis. Il leur faudrait un coach pour leur dire de s’habiller, de sortir, de se soigner les dents, d’acheter des vêtements… », ajoute l’assistante sociale de métier. Un niveau d’accompagnement impossible à atteindre tant les travailleurs sociaux sont surchargés. « L’insertion, c’est très intéressant, mais il faut d’abord mettre un toit sur la tête des personnes », ajoute la syndicaliste.

D’autant qu’en matière de politiques emploi-formation, « les actions proposées aux allocataires sont en nombre très réduit », selon un rapport de la Cour des comptes publié mi-janvier. Or les besoins des publics sont massifs, en raison, par exemple, d’un faible niveau de français. « On a une vraie difficulté d’accès des allocataires du RSA aux programmes de formation régionaux, qui vont viser les personnes les plus proches de l’emploi dans toute l’Île-de-France. Et notre public ne bénéficie que marginalement du plan d’investissement dans les compétences, davantage ciblé vers les jeunes », estime Bruno Henon, chef du service emploi formation du département. Depuis des années, la collectivité finance des actions d’insertion « maison ». D’ici à 2026, elle compte doubler le nombre de places disponibles, qui passera de… 6 300 à 12 600. Il était temps.

(1) En octobre 2021, le département comptait 88 200 bénéficiaires du RSA

Auteur

  • Catherine Abou El Khair