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Les accidentés du travail sortent de l’ombre

Idées | Livres | publié le : 01.01.2022 | Lydie Colders

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Les accidentés du travail sortent de l’ombre

Crédit photo Lydie Colders

Loin des chiffres, cette enquête de la sociologue Véronique Daubas-Letourneux éclaire la réalité des accidents du travail, au travers du vécu d’employés. Des récits révélateurs sur la pression, voir l’attitude peu scrupuleuse de certains employeurs.

Malgré les obligations de l’employeur, les accidents du travail restent massifs en France : sur près de 900 000 cas recensés par la Caisse d’assurance maladie en 2019, on comptait « 12 500 accidents par semaine avec arrêt ». Pire, dans l’indifférence, 733 salariés sont morts d’un accident du travail cette année-là, « soit 14 personnes par semaine », rappelle Véronique Daubas-Letourneux. La France est non seulement mauvaise élève en Europe, mais la sous-reconnaissance connue des accidents professionnels renforce l’invisibilité du problème. Parce que statistiques ne disent rien de « ce fait social » ni de l’organisation du travail, cette sociologue spécialisée dans la santé publique et du travail donne la parole à ces accidentés, légers ou sérieux. Dans cette enquête, elle a suivi pendant trois ans une trentaine d’employés, de leur accident jusqu’à leur reprise du travail. Côté circonstances, les témoignages (instructifs) montrent l’urgence de tenir les délais ou le manque d’effectifs : comme Franck, ambulancier, qui s’est fait un lumbago en soulevant avec un collègue une personne malade lourde « On fait toujours un transfert à deux, ce n’est pas assez ». Ou Frédéric, chef de ligne dans un abattoir, qui a déjà eu quatre accidents du travail, dont une fracture de la main en courant avec un transpalette : « Le Samedi matin, on n’est pas beaucoup » et « il y a toujours autant de travail ». Pour la sociologue, on ne peut se réfugier derrière « les risques du métier ». L’intensification du travail actuelle « aggrave » le danger, quitte à s’affranchir des consignes de sécurité.

La politique des arrangements

Les jeunes ne sont pas épargnés. Véronique Daubas-Letourneux rend compte d’accidents stupéfiants d’apprentis ou de débutants dans l’industrie ou le BTP, manipulant parfois des engins sans permis, au mépris des règles de sécurité. Des infractions claires au Code du travail. La « notion de faute inexcusable », engageant la responsabilité de l’employeur a été maquillée pour quatre des jeunes interviewés, selon la chercheuse. Bien que le système de cotisations à l’AT-MP incite l’employeur à miser sur la prévention, elle dénonce un système « de non-déclaration organisée » des entreprises, même si, parfois, les salariés précaires n’osent pas s’arrêter. D’autres secteurs (distribution) traînent des pieds. Hervé, gestionnaire de stock dans un hypermarché, qui s’est foulé la cheville en tombant d’un escabeau trop petit, évoque une gestion désastreuse des équipements de sécurité, malgré les revendications des syndicats. Alors que certains salariés gardent des séquelles de leur accident des années plus tard, ou les enchaînent « en raison d’un retour trop rapide », la sociologue montre des aménagements de poste à la peine. Si les CSE peuvent lancer des enquêtes, elle s’inquiète de leur manque de moyens depuis la disparition des CHSCT. Sauf accident grave, la priorité de l’Inspection du travail est ailleurs…

« Accidents du travail. Des morts et des blessés invisibles »,

Véronique Daubas-Letourneux, Éd. Bayard, 300 pages, 18,90 euros.

Auteur

  • Lydie Colders