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En 2022, négocier le télétravail au long cours ?

Idées | Juridique | publié le : 01.01.2022 | Jean-Emmanuel Ray

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En 2022, négocier le télétravail au long cours ?

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Belle année 2022 ! Un chiffre emblématique pour les spécialistes de droit du travail. L’expression « 22, v’là les flics » n’a en effet rien à voir avec la maréchaussée, mais tout avec les « corps de police » utilisés par les linotypistes de nos quotidiens des années 1920, utilisant les corps 12 ou 14 pour les articles courants, et 22 pour les événements exceptionnels. Entendre dans l’atelier le puissant cri « 22 ! » prévenait les camarades qu’un chef arrivait…

Mais dans l’immédiat, tous les DRH se demandent comment ils vont faire face en 2022 à la croissance du « travail hybride » (en résumé : les problèmes habituels, mais au carré), devenu la norme dans les entreprises où le télétravail est possible.

Car au-delà du « stop and go » des contraintes sanitaires gouvernementales à chaque arrivée d’un « variant » portant décidément bien son nom, le télétravail au domicile continue son chemin. Car comment imaginer un retour à la situation antérieure quand 5 millions de collaborateurs télétravaillent depuis deux ans, découvrant au fur et à mesure les avantages, mais aussi les inconvénients de cette révolution organisationnelle sur leur vie professionnelle, mais également leur petit écosystème personnel et familial ? Revenir sur des pratiques « entrées dans les mœurs » sociales n’est pas facile. Qui le souhaite vraiment aujourd’hui ?

Deux signes ne trompent pas.

Sur LinkedIn, la part des offres d’emploi mentionnant le télétravail est passée de 0,5 % en février 2020 à 6,3 % en septembre 2021 : une multiplication par 12, même si le résultat final reste modeste.

Près de 3 000 accords d’entreprise relatifs au télétravail ont été signés en 2021. Comme la plupart d’entre eux sont mis en ligne par le ministère du Travail, leur lecture amène de précieuses informations.

Mais constat premier : la massification du télétravail oblige les entreprises à commencer par revisiter la pyramide de Maslow. Base de toute cette pyramide : les besoins physiologiques (faim, soif, sommeil). Or selon l’étude de fin 2021 par Harris Interactive auprès de 500 cadres du secteur privé, un sur deux se dit gêné par des problèmes informatiques…

Pour un télétravailleur, mais aussi pour les membres de son équipe, un équipement informatique de bon niveau remplace donc aujourd’hui les besoins physiologiques. Le travail au domicile étant installé dans notre quotidien, la technologie doit suivre pour que toute l’équipe ne soit plus perturbée par la connexion aléatoire d’un collaborateur pas vraiment geek : connexion très haut débit, ordinateur adapté au télétravail, et donc sécurisé. Avec une courte formation, si possible commune, pour mettre tout le monde à niveau.

Avec de petits détails qui changent tout : ainsi le fond d’écran automatique et obligatoire en cas de visioconférence : ce qui permet d’obliger les collaborateurs à allumer leur caméra, seule solution pour éviter des réunions mortelles. Sinon une réunion téléphonique, nettement moins intrusive, suffit.

I. Un prudent accord « 4 S »

L’idéal ? L’accord d’entreprise « 4 S » : Simple, Sur mesure, Souple, et Sécurisé, ne cherchant pas à tout prévoir. En confiant donc sa négociation à de vrais juristes-RH, pas des « petits juristes » façon petit chef Javert, avec une tête en forme de Code et pour lesquels « peu importe l’ivresse » (organiser au mieux le télétravail, cette pratique nécessairement très individualisée impactant le collectif), « pourvu qu’on ait le flacon » (des règles détaillées).

Après l’enthousiasme de certains dirigeants à l’été 2020 voyant demain les trois quarts de leurs collaborateurs en télétravail, nombre d’accords estimant que la situation n’est pas stabilisée sont aujourd’hui nettement plus prudents (voir la remarquable enquête de l’Anact sur 40 accords : « Installer le télétravail dans la durée », décembre 2021).

Accord donc à durée déterminée d’un an ou de 18 mois, ce qui permet d’éviter la délicate révision, voire la très explosive dénonciation d’un accord à durée indéterminée si l’opération n’est pas concluante. Parfois qualifié d’expérimental, ce qui met la pression. Il prévoit deux jours maximum par semaine, un comité de suivi paritaire avec des réunions rapprochées dans les premiers mois afin de régler les questions rapidement. Et un rapport trimestriel transmis au CSE qu’il faut évidemment mettre dans la boucle.

Un bel exemple de flexibilité programmée ? S’agissant de la très sensible prise en charge des coûts, une clause d’alignement automatique sur les règles fixées par l’Urssaf.

II. Une réversibilité renforcée

Télétravailleur un jour, télétravailleur toujours ? Travailler depuis presque deux ans à la maison a montré les limites de l’exercice pour certains collaborateurs : pour des raisons professionnelles, mais parfois aussi personnelles (déménagement, arrivée du troisième) : les accords sont donc plus offensifs sur la réversibilité côté patronal.

L’accord Framatome du 31 juillet 2020 ne se cache pas derrière son petit code : « Le télétravail est une forme d’organisation du travail ; à ce titre, il est réversible et évolutif. Un délai de prévenance d’un mois doit être respecté. Si nécessaire, il pourra être mis fin à la situation de télétravail de manière immédiate et unilatérale en cas de modification importante des conditions de travail, ou de changement de poste de travail devenant incompatibles avec la situation de télétravail ; de non-respect des règles relatives au télétravail. »

Signé le 15 septembre 2021, l’accord CapGemini France est le plus précis : « L’exercice de la réversibilité par le manager hiérarchique devra être motivé par écrit et justifiée par une raison objective et non discriminatoire. Les motifs de réversibilité du manager sont les suivants :

• manque d’autonomie (rencontre des difficultés à prendre des initiatives et/ou à adopter des décisions, a besoin de l’appui régulier de ses collègues ou de sa hiérarchie, difficulté à s’organiser, etc.) ;

• absence de réactivité (délais de réponse trop longs ou absence de réponse) ;

• manque d’implication/motivation (négligence, niveau d’exigence du salarié moins important que lorsqu’il travaille sur site, etc.) ;

• sur-connexion (incapacité à faire un usage raisonnable des outils mis à sa disposition par l’entreprise pour travailler, non-respect des repos quotidiens et/ou hebdomadaires de manière récurrente, etc.) ;

• risque psychosocial (risque d’isolement perçu, stress éventuel généré par le travail à distance, etc.).

Mais les rédacteurs de l’accord prendront bien garde de préciser qu’une éventuelle liste n’est pas limitative, en ajoutant systématiquement « notamment »…

Sans oublier, sur le plan individuel, d’être attentif à la rédaction du contrat. Car une stipulation générale indiquant « Madame X pourra travailler à son domicile à compter du… » sera interprétée par les juges comme une contractualisation du travail à la maison, avec ses conséquences : « Ayant constaté que les parties étaient convenues que la salariée effectuerait son travail à son domicile deux jours par semaine, la cour d’appel a pu décider que le fait pour l’employeur de lui imposer de travailler désormais tous les jours de la semaine au siège de la société constituait, peu important l’existence d’une clause de mobilité, une modification du contrat de travail que la salariée était en droit de refuser » (Cass. soc., 12 février 2014).

III. L’indispensable référent télétravail

« Les Français n’aiment pas la liberté, en réalité : l’égalité est leur seule idole » (Chateaubriand). Au-delà des nécessaires règles collectives, cette nouvelle organisation exige une grande coordination. De plus en plus nombreux sont donc les accords créant, au sein des services RH, un unique « référent télétravail » vers lequel convergent toutes les questions : juridiques, techniques, organisationnelles souvent très pratico-pratiques. Pour éviter jalousies, chaos, voire contentieux en inégalité de traitement lorsque sa mise en place donne des réponses divergentes selon les services ! Signé le 12 juillet 2001, l’accord Keria prévoit que ce référent est chargé de garantir la bonne application de l’accord, de répondre aux difficultés et aux questions des collaborateurs, garantir le respect des obligations légales en matière de santé-sécurité et conditions de travail. Mais aussi, faire un point semestriel sur le nombre et les raisons des refus à des salariés de télétravailler, et les éventuels échecs et demandes de retour en présentiel. D’autres accords prévoient aussi sa présence lors du nécessaire entretien individuel de fin de télétravail, afin que cette décision soit conforme à la politique de l’entreprise en matière de télétravail. Après parfois une petite explication de gravure manager/référent avant l’entretien…

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray