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Un cours de négociation salariale, réservé aux femmes, pour « se préparer au combat »

Dossier | publié le : 01.01.2022 | Lucie Tanneau

 

Depuis quatre ans, la chaire Impact positif de l’école de commerce nantaise Audencia propose des cours de négociation salariale, gratuits, réservés aux femmes. Un accompagnement pour tenter de combattre les inégalités salariales en France. 3 000 femmes ont déjà suivi la formation. Reportage à Cholet.

« Qu’est-ce que vous attendez de cette formation ? J’imagine que vous avez autre chose à faire de votre soirée… » Il est 17 h 15 dans la salle de l’université de Cholet. La formation Négotraining commence. Créée en 2017, suite aux conclusions d’un groupe de travail sur l’égalité professionnelle femmes-hommes porté par la plateforme RSE de la métropole nantaise et piloté par la chaire impact positif de l’école de commerce nantaise Audencia, la formation propose des sessions de 3h, gratuites. Le but : donner des clés aux participantes pour négocier leurs salaires et/ou conditions en l’entreprise. « Qu’est-ce que le mot négocier évoque pour vous et comment est-ce que vous vous sentez ? », poursuit Astrid Le Fur, ancienne ingénieure devenue coach, spécialiste du burn-out et auteure du blog Partage ton burn-out), la formatrice du soir aux côtés de Thiphaine Monfort, ancienne responsable RH également consultante au sein du cabinet Capsule de sourire. Pour les neuf participantes, l’entrée en matière est abrupte. Leurs attentes s’affichent sur des post-it affichés au tableau : « gagner en confiance en moi », « avoir des arguments pour négocier », « des méthodes ». Leur état d’esprit prouve l’intérêt de la formation « négocier me stresse », « je ne me sens pas légitime », écrit l’une d’entre elles. Une autre évoque un « combat » auquel elle « se prépare », tandis que sa voisine de table avoue une tendance « à laisser tomber » de peur de perdre. « Rien que le fait d’y penser me rappelle les injustices », reconnaît une troisième. « J’avais prévu une colonne pour le ressenti positif, mais il n’y a que du négatif », s’étonne faussement Astrid Le Fur. Alors que « l’égalité salariale sera atteinte en 2288 au rythme des évolutions actuelles », rappelle la formatrice, pas étonnant que les femmes présentes soient un brin fatalistes. Et pourtant si elles ont choisi d’assister à la formation, c’est bien qu’elles croient (même sans se l’avouer !) à un changement possible.

Depuis 2017, plus de 3 000 femmes ont assisté à une session de Négotraining. À Nantes principalement, mais aussi à Angers, Cherbourg, Rennes, Laval ou Cholet. Depuis le Covid, des séances ont aussi été dispensées à distance, permettant à des femmes de d’autres régions de participer. 27 % des « élèves » ont par la suite souhaité devenir formatrice. C’est pourquoi la formation est toujours gérée par deux femmes : une expérimentée et une junior.

Habituées à ne rien demander

Passé le rappel des chiffres – que certaines des participantes découvrent ahuries – sur les écarts de salaire entre hommes et femmes (« 300 000 € sur l’ensemble d’une vie »), ou l’aisance à négocier (60 % des hommes le font lors de l’embauche contre 25 % des femmes), les formatrices entrent dans la pratique. « Pour bien se préparer, il faut se connaître soi-même, et connaître ses compétences », commence Thiphaine Monfort. « Si tu n’es pas préparée, prépare-toi à te faire oublier », synthétise-t-elle avant d’inviter les femmes présentes – ici une majorité de cadres, quadragénaires, mais aussi une étudiante – à préparer un argumentaire de 2 minutes pour se présenter. Les participantes ont du mal à entrer dans l’exercice dit de « l’elevator pitch » (comme le temps d’une rencontre en ascenseur où on aurait à convaincre un supérieur de nous accorder de l’importance, ndlr). « C’est difficile de parler de soi, je considère que tout ce que j’ai fait est juste normal », justifie l’une d’elles. « On s’est habitué à faire les choses sans rien demander », résument les formatrices, appuyant ce trait plus féminin. Après une vidéo ludique, histoire de marquer une pause après ce premier dévoilement d’intimité un peu difficile, Négotraining se poursuit par des outils pratiques pour savoir quoi négocier. Les sites d’emplois permettent de connaître l’état du marché et des entreprises sur son secteur et dans sa région afin d’évaluer si la rémunération actuelle est conforme à la moyenne, ou bien en dessous. Regarder les intitulés de postes et à quoi ils correspondent permet de voir à ce que sous-entend chaque terme. Au fur et à mesure de la présentation, quelques participantes régissent. Une cheffe de produit, tout juste nommée responsable marketing, évoque un sentiment « d’injustice » alors qu’elle a mis sept ans à voir son intitulé changer, là où un collège homme, fraîchement arrivé et sans expérience, a immédiatement eu le même échelon qu’elle. « Je me suis sentie humiliée », reconnait-elle, amère. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui l’ont poussé à assister à la séance du jour. Une cadre de santé reconnaît, elle, ne jamais utiliser ce mot de « cadre ». « La négociation passe aussi par l’utilisation des bons mots : « « chargée de » est beaucoup plus réducteur que « directrice », ne l’oubliez pas mesdames », encourage ainsi la formatrice.

Après 1h30 et beaucoup d’informations à retenir, la pause gouter est appréciée et permet de se dévoiler un peu, mais les formatrices ont pris du retard et après seulement 5 minutes les choses sérieuses reprennent avec l’explication du moment propice pour négocier.

Alors que 7 femmes sur 10 ayant suivi la formation ont utilisé des outils depuis, plus de la moitié ont obtenu une amélioration de leur situation (une augmentation pour 41 % d’entre elles, une prime pour 9 % ou des avantages en nature pour 4 %). Mais 36 % n’ont pas négocié car certaines ont tendance « à attendre le moment de l’entretien annuel » révèle la troisième étude d’impact de la Chaire Impact positif d’Audencia. « Il faut avant tout être dans un état d’esprit favorable », avance une formatrice. La rancoeur très forte évoquée par la responsable marketing plus tôt ne semble pas tout à fait propice à une négociation sereine. « L’étude montre que la formation a un fort impact sur le niveau de confiance en soi de ces femmes, et cela reste vrai un an après la formation », encourage André Sobczak, co-titulaire de la chaire Audencia, à l’origine de Négotraining. « Sachant que le but est aussi de leur faire prendre conscience que la rémunération est un package global », comprenant le salaire, mais aussi les primes, le télétravail, le nombre d’heures travaillées, les conditions… « Souvent les entreprises peuvent refuser une augmentation, notamment en période de crise, mais il faut rebondir » et négocier par exemple du télétravail qui peut générer des économies, ou une semaine de quatre jours au même tarif, encourage-t-il.

Les chiffres, un tabou français

Retour dans la salle de classe. Les femmes se mettent par deux pour un jeu de rôle. Camille, chargée de compte dans une agence de communication, doit négocier une possibilité de développement auprès de Dominique, son dirigeant. Tout le monde se prend au jeu, mais les difficultés à parler de soi, à parler d’argent, à se mettre en valeur, transparaissent immédiatement, dans chacun des binômes. Une des « Camille » négocie une revalorisation pour son équipe, mais pas pour elle. Une autre parvient à changer l’intitulé de son poste, mais rien d’autre. Une dernière obtient 600 euros et de nouvelles missions. « Wahou, mais il faut que tu fasses ça en vrai ! », l’encourage sa voisine au moment du débriefing. « C’est facile quand ce n’est pas soi », sourit-elle. La formatrice synthétise les choses à retenir : présenter ses atouts, rappeler ce que l’on apporte à l’entreprise et les derniers succès, laisser le temps à la personne en face de se convaincre de sa valeur. Autant de conseils pour ne pas devenir agressif ou aigri.

Des points essentiels avant d’aborder la question des chiffres, tellement taboue en France, et encore plus pour les femmes. « Pratiquer l’évitement », conseille Astrid Le Fur. « Si on vous demande un montant, donner une fourchette, ou demandez une fourchette », encourage-t-elle avant de donner des conseils pour fixer cet écart. Avec un mot-clé : oser ! Véronique*, responsable marketing et communication dans une société industrielle note consciencieusement les bonnes pratiques sur le livret de formation distribuée à toutes. Ancienne diplômée d’Audencia, elle a vu passer l’annonce de Négotraining sur Linkedin et s’est inscrite sur « un coup de tête ». Elle est venue avec une collègue de son service, « même parcours, même âge, même ras-le-bol face aux injustices et inégalités » dans leur entreprise. « J’ai déjà négocié lors des entretiens annuels », raconte Véronique, « mais ce n’était pas facile ». Si elle assure qu’elle avait préparé la discussion, elle reconnaît qu’elle « manquait d’assurance ». « J’avais surtout parlé du contenu de mon poste et timidement du salaire, et alors que mon manager ne parle jamais d’argent c’était compliqué », se souvient-elle. « J’avais obtenu une augmentation sur trois ans, mais sans montant chiffré : je découvrais à chaque fois en mars le nouveau salaire, c’est hallucinant quand même ! ». À l’issue de la formation Négotraining, elle se sent revigorée. Elle sourit largement et assure que cette fois – elle ne sait pas quand encore (« peut-être après les entretiens ») – elle va aller demander une augmentation. « J’ai les arguments », se félicite-elle. « C’était seulement 3h mais je me sens armée, j’ai une méthodologie », assure celle qui retient surtout un chiffre pour se motiver : « j’ai découvert qu’il pouvait y avoir 480 000 euros d’écart entre un homme et une femme, à des postes élevés sur une vie ! Ça fait une belle maison, non ? ! », répète-elle comme pour s’encourager. Si elle regrette que la formation n’ait « pas été un peu plus longue » pour pouvoir « davantage s’exercer », et découvrir « comment où en est arrivé là », Véronique a aussi envie d’en parler autour d’elle. « J’ai une fille de 7 ans, et j’aimerais avoir des armes à lui donner pour qu’elle ne vive pas cela », anticipe-t-elle. Véronique va aussi partager les documents avec son mari, car les conseils sont les mêmes pour tous. Avec une différence dont elle a bien conscience : « c’est difficile de parler d’argent et plus difficile encore de parler de soi et de ses qualités, surtout quand on est une femme et que l’on n’a pas l’habitude de montrer les crocs », assure-t-elle.

À Audencia Nantes, l’ensemble des étudiantes devraient bientôt recevoir le module Négotraining. De quoi leur permettre de prendre conscience de la réalité, puis de se présenter en entreprise avec une posture nouvelle, plus offensive, pour ne pas faire des différences salariales une fatalité. Un cours est aussi en réflexion pour les hommes, afin qu’ils puissent être également et davantage des acteurs de l’égalité.

(1) Le prénom a été changé

Auteur

  • Lucie Tanneau