L’annonce fin 2018 de la création de l’index égalité hommes-femmes a braqué les projecteurs sur un biais ancré de longue date dans les entreprises françaises. Avec des résultats mitigés trois ans plus tard.
« Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage », disait Nicolas Boileau. Il en est ainsi pour l’égalité hommes-femmes dans le monde du travail. L’idée chemine dans la société et les textes de loi depuis 1972. Lentement. Selon l’Insee, les femmes, en 2019, gagnaient en moyenne 16,9 % de moins que les hommes en équivalent temps plein (ETP). Annoncé fin 2018, et porté par Muriel Pénicaud et Marlène Schiappa, l’Index égalité hommes-femmes devait enfin faire bouger les lignes…
« Le sujet m’agace et m’enchante, commente Pascal Grémiaux, président fondateur d’Eurécia, une entreprise toulousaine spécialisée dans les systèmes d’information pour les ressources humaines, dont les effectifs sont composés à 52 % de femmes. Pour les grandes boîtes, cela s’est révélé être une vraie usine à gaz. Entre la paie, la comptabilité, il a fallu packager les données différemment. On a passé cinq jours sur le sujet. » Cet outil doit permettre aux entreprises de mesurer les écarts de rémunérations, d’augmentations et de promotions entre les salariés des deux sexes à travers un système de points. Avec cinq critères à renseigner : 1/ rémunérations moyennes pour 40 points maximum ; 2/ augmentation dans l’année pour 20 points ; 3/ évaluation des promotions pour 15 points ; 4/ augmentation au retour d’un congé maternité pour 15 points au total ; 5/ nombre de femmes dans les dix plus hautes rémunérations, avec 10 points à décrocher. « Avoir défini des indicateurs est une bonne idée, souligne Laurence Dubois, directrice des ressources humaines chez Prodware, société spécialisée dans les solutions logicielles, car un grand nombre d’entreprises ne savaient pas toujours comment illustrer cette inégalité, ni sur quel levier travailler. » Un exercice imposé donc depuis 2019 à toutes les entreprises de plus de 250 salariés et, depuis 2020,à celles de plus de 50 salariés.
En prime, une communication du score global sur le site Internet de l’entreprise constitue une figure imposée. En deçà de 75/100, c’est un carton rouge ! Un délai de trois ans est laissé pour corriger le tir. À défaut, le dispositif a prévu des pénalités financières à hauteur de 1 % de la masse salariale. Avec un index à 90 sur 100, Eurécia ne compte pas parmi les entreprises pointées du doigt. Loin de là. Mais, Pascal Grémiaux dénonce le coût de l’opération. « Un coût administratif, explique-t-il. J’aurais préféré consacrer ce temps à développer une vraie valeur ajoutée. Le coût financier : entre 2 000 et 3 000 euros. » Un point de vue partagé par Thomas Germain, directeur associé chez Human &Work. : « Certaines entreprises ne disposaient pas des logiciels RH pour s’y atteler. Cela a laissé des traces. Il leur fallait entrer dans un autre monde. »
« Au début, cela a créé une émulation, se remémore Sylvie Girbal, directrice rewards consulting et gender pay au sein de Gras Savoye – Willis Towers Watson. Avec beaucoup de demandes sur le sujet. »
Bien mais peut mieux faire. Ce commentaire de fin de trimestre vaut aussi pour ce bilan trisannuel. « Les entreprises ont joué le jeu, souligne Sylvie Girbal. Les résultats ont tendance à s’améliorer, mais sans pour autant pouvoir parler d’une révolution. L’intention était bonne mais cela manquait d’ambition ! » Que disent les chiffres publiés en 2021 ? Le pourcentage des entreprises, toutes catégories confondues, ayant décroché le score de 75 sur 100, a progressé de 55 % pour atteindre les 56 %. Et deux indicateurs sur cinq sont toujours à la traîne. Le premier ? Le retour de congé maternité. Près de 3 000 entreprises ont obtenu 0 (pointé) sur cet indicateur. Laurence Dubois bat sa coulpe. « L’augmentation après la naissance d’un enfant n’était pas systématique, ou pas effectuée tout de suite. On a progressé ! » Le second point faible ? Un quart des entreprises seulement respectent la parité ou quasiment. 43 % des entreprises ont moins de deux femmes dans les dix plus hautes rémunérations. Le poids du plafond de verre. « Les plus grosses entreprises se savent plus regardées, détaille Jenny Chammas, à la tête de Coachappy, master coach de femmes leaders, aussi se posent-elles plus de questions. Dans les petites, il y a peut-être moins de discussions sur des pratiques ancrées, mais à modifier. »
« Il y a des effets de bord, précise Thomas Germain. Ce n’est pas le meilleur outil ! » « On peut avoir une bonne note si on travaille le sujet, assène Jean-Marc Morel, associé chez RSM, en charge du pôle social et paie en Rhône-Alpes. Evidemment, je ne conseille pas de tricher avec les chiffres, ce ne serait pas entendable. Mais, une augmentation de 10 euros au retour d’un congé maternité permet d’engranger des points. Pour autant, cela ne change pas le fond du problème. Une équipe composée de neuf femmes et un homme ne permet pas non plus de parler de parité. Certains filous créent des sociétés ad hoc ou une catégorie distincte fictive pour avoir une meilleure répartition. Les entreprises ont modifié le calendrier des augmentations … Arrêtons de vendre de la sueur. Les entreprises commencent à avoir conscience de la marque employeur. Ceux qui ont la meilleure sont celles qui vont pouvoir embaucher. » Dans un marché de l’emploi tendu, le point est loin d’être négligeable. Selon un sondage publié à l’occasion des assises de la parité, en mai 2021, 81 % des Français estiment que la recherche de la parité est incontournable.
Un élément d’attractivité ? Pierre-Alain Corget, directeur des affaires sociales de Capgemini, entreprise de services du numérique, en est convaincu. « Les candidats s’intéressent à la mission, aux conditions de travail. Et la politique en matière de diversité arrive en troisième position. Si l’entreprise est inclusive ou pas. » Et même un biais pour capter de nouveaux marchés ? « Cet élément commence à être pris en compte lors d’appels d’offres. Ce n’est pas systématique, poursuit Pierre-Alain Corget, mais c’est en passe de se développer. Mais, pour être vertueux, on doit s’adresser aux jeunes dès le lycée, voire le collège pour faire connaître nos métiers, car l’index ne tient pas compte de la proportionnalité H/F par métier. »
« Quelle est l’étape d’après, interroge Pascal Grémiaux. Un index de la séniorité ? De la religion ? Des origines géographiques ? Ou bien encore l’index des préférences sexuelles ? J’invite tous ceux qui ont une fausse bonne idée de la tester dans une entreprise avant d’en faire une loi qui s’applique à tous… Pourquoi ne pas s’atteler au sujet de la pénibilité ? C’est un sujet à faire progresser dans les entreprises. » L’étape d’après ? « Le mouvement MeToo a été dix fois plus efficace pour libérer la parole, déplore Thomas Germain, directeur associé chez Human & Work. Finalement, l’Index a été révélateur qu’une autre étape s’avérait nécessaire. »
« Il aurait fallu placer la barre plus haut, regrette Sylvie Girbal. À l’étranger, cela va plus loin. Ainsi, en Allemagne, pouvez-vous demander, à la direction, à connaître les salaires à un poste comparable au vôtre. » La compensation entre indicateurs s’attire les foudres de tous les interlocuteurs. Les sujets lourds comme l’absence de femmes dans les dix plus hautes rémunérations font du sur place. « Les mères ont 60 % de chances en moins que les pères, argumente Laurence Dubois, d’accéder au 1 % des emplois les mieux rémunérés. »
Pour Jenny Chammas, master coach de femmes leaders, l’évolution dépend beaucoup aussi du e vocabulaire tenu aux entreprises. « Elles perçoivent cette mutation comme un coût, mais pas comme un investissement. Pourquoi ne pas parler de performance ? Pourquoi ne pas souligner l’intérêt de la diversité en entreprise, créatrice de plus de valeur ? Il faut leur parler investissement et retour sur investissement. Il faut les faire les rêver ! » « Un indicateur ? C’est une mécanique. Il ne travaille pas sur les préjugés, déplore confie Lionel Prud’hommes, directeur de l’IGS-RH, école des ressources humaines. Le temps d’infusion est lent. »