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Décodages

Vers la fin du CDI ?

Décodages | Marché du travail | publié le : 01.01.2022 | Lucie Tanneau

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Vers la fin du CDI ?

Crédit photo Lucie Tanneau

 

Le CDI, associé en France à la notion d’exclusivité, attire de moins en moins. Les jeunes, en sortie d’école n’en font plus leur Graal, et dans certaines professions, même moins diplômées, ce contrat longue durée n’a plus de sens alors que tout le monde a intégré qu’une carrière était désormais fragmentée. Le CDI peut-il vraiment disparaître et surtout, comment les entreprises peuvent-elles répondre à ces candidats, que le contrat de travail ne permet plus de retenir ?

Dans l’immobilier, les embauches en CDI se font rares depuis déjà une dizaine d’années. Les agents mandataires, à leur compte, remplacent peu à peu les agents salariés en CDI des agences. Avec l’idée de tester ce métier et leurs compétences, sans forcément l’exercer toute leur vie. Une sorte de liberté et de trajectoire personnelle qui fait rêver, désormais dans bien d’autres secteurs. « Les jeunes soignants qui sont sur des métiers en tension, comme les infirmiers, techniciens de laboratoires ou manipulateurs radio ont pris conscience qu’ils avaient le pouvoir, comme les jeunes dans la tech. Ils ont compris qu’ils pouvaient partir, faire leurs expériences, puis revenir après s’ils en ont envie », analyse Yvan Le Guen. Directeur de l’établissement public de santé mentale de Caen, il remarque que les « jeunes diplômés font jouer la concurrence », et qu’ils ont compris « qu’il y aurait de la place pour eux dans 3 ou 5 ans ». Conclusion ? « Ils ne sont pas intéressés par un CDI ou une perspective d’emploi durable, voire ils sont rebutés par ça », regrette-t-il citant l’exemple d’une assistante sociale à qui il a proposé il y a peu un CDI. « Elle a refusé et préféré signer un CDD jusqu’à l’an prochain, afin de toucher une allocation de retour à l’emploi pour faire une formation. » Yvan Le Guen était prêt à lui financer la formation, « mais elle ne veut pas s’engager, elle veut pouvoir choisir », explique-t-il. « Je ne sais pas si c’est une tendance, mais en tout cas dans le paramédical ou le médico-social, on voit de plus en plus de gens qui s’autorisent des risques ou des postes différés : on veut faire baisser la part d’emploi précaire, mais eux ne veulent pas de ces CDI, jugés trop contraignants », poursuit-il.

Christophe Ducreau, à la tête d’Agentis, un groupe de six agences d’intérim à Poitiers, Châtellerault, Niort, Bressuire, La Rochelle et Tours, et vice-président de Prism’emploi Poitou-Charentes, le syndicat professionnel des agents de travail temporaire, racontait avoir observé en 2018 « un changement de comportement chez les salariés : il y a beaucoup plus de volatilités. Les gens quittent un emploi pour tenter autre chose. On rencontre de plus en plus de personnes qui ne veulent plus s’engager, notamment parmi les personnes qualifiées ». Pour ce professionnel de l’intérim, les temps ont changé : « Le sacro-saint CDI n’est pas le Graal de tout le monde. Avec la multiplication des statuts, intérim, temps partiel, CDD, auto-entrepreneur, intérimaire, on assiste à une nouvelle organisation de la vie. »

Un CDI, mais pas seulement.

La crise du Covid aurait encore renforcé le phénomène, particulièrement parmi les candidats formés à des métiers en tension, comme c’est le cas dans le secteur de la santé, évoqué par Yvan Le Guen. « Dans nos dernières enquêtes sur la génération Z, on constate que le CDI est encore plébiscité, mais recule. La notion de Graal a disparu », confirme Mathilde le Coz, la DRH du cabinet de conseil aux entreprises Mazars. « Les gens anticipent que dans leur carrière ils auront plusieurs statuts et notamment plusieurs passages en tant qu’indépendants, voire plusieurs activités en même temps », note-t-elle. Avec un souci associé au CDI qui apparaît en toile de fond : « En France le CDI est associé à l’exclusivité et on constate un rejet de cette exclusivité », note la DRH qui exerce elle-même, à côté de son métier, une activité de conférencière et formatrice sous le statut d’auto-entrepreur. Jusqu’à 2019 Mazars faisait signer une clause de non-activité parallèle. Une exigence qui a pris fin pour coller à l’époque. « Nous avons de plus en plus de demandes de consultants qui ne veulent plus être à 100 % pour pouvoir monter des activités en parallèle », reconnaît-elle, citant en exemple une consultante – créatrice de vêtements pour enfants. « Les hobbys deviennent des métiers ou des compléments de revenus, les gens ne veulent plus seulement se définir en tant qu’auditeur financier », analyse-t-elle. Certains gardent leur CDI, mais « de plus en plus s’orientent vers l’indépendance, avec un rejet de l’entreprise alors que la crise a mis au jour les dysfonctionnements de celle-ci », analyse la DRH, prenant pour preuve l’explosion des plateformes type MALT (place de marché en ligne qui met en relations entreprises et travailleurs indépendants du numérique) depuis deux ans. 100 000 à 200 000 indépendants pèsent encore peu parmi les 25 millions de travailleurs français, mais le chiffre est en augmentation.

Beaucoup de reconversions.

Si les jeunes diplômés des grandes écoles, et notamment des écoles de commerce, ont été les premiers à s’autoriser un tour du monde ou à oser tenter l’aventure entrepreneuriale, dédaignant le CDI au moins dans un premier temps ou changeant d’emploi beaucoup plus régulièrement que leurs aînés1, « cela ouvre la porte à d’autres », remarque Louise Robitail, la DRH d’Eurecia, une PME toulousaine qui a développé un système d’information des ressources humaines. « Les ouvriers ne vont pas partir voyager six mois, mais l’état d’esprit général de confiance en l’avenir laisse la place à d’autres envies », croit-elle. « Le Covid a poussé encore un peu plus cette quête de sens, et les jeunes n’hésitent plus à se reconvertir même après seulement six ans de parcours », défend-elle. « Ils ne veulent plus subir la posture du recruteur », assure-t-elle citant l’exemple d’un recrutement qu’elle a opéré. « C’était un poste d’assistant commercial en CDI. La personne l’a refusé et a préféré signer un CDD ailleurs car elle a eu un meilleur feeling. Je n’avais jamais connu ça avant, c’est étonnant ! » Et de citer aussi l’exemple de candidats dans le secteur de l’IT qui refusent des CDI, et préfèrent rester en free-lance, avec des missions en entreprises. « Dans la tech, on peut penser que la désaffection du CDI est avérée vu le mal que les entreprises ont à embaucher », confirme Emmanuelle Barbara, avocate spécialisée dans le droit du travail et la protection sociale, qui a rédigé pour le think tank libéral Génération libre une note intitulée « Redéfinir le contrat de travail à l’ère du numérique ». « Dans les autres secteurs, je constate plutôt que les salariés ont moins envie de faire carrière, qu’il y a une rotation plus forte, un effet de zapping », décrit-elle. Les chiffres de la Dares le confirment. « 88 % des salariés (hors intérim) sont en contrat à durée indéterminée (CDI) et 12 % en contrat à durée déterminée (CDD) en 2017. Cette part de CDD dans l’emploi salarié a augmenté fortement entre 1982 et 2002, puis plus modérément. Au sein des flux d’embauches en CDD et CDI, la part des CDD a nettement progressé en vingt-cinq ans, notamment à partir des années 2000, passant de 76 % en 1993 à 87 % en 2017. Cette évolution structurelle dans les mouvements de main-d’œuvre s’accompagne d’une forte hausse des contrats de très courte durée ; en 2017, 30 % des CDD ne durent qu’une seule journée » selon le dernier rapport sur le sujet (juin 2018). Ces chiffres seront sans doute plus importants encore après la crise, même si les employeurs notent aussi que certains salariés reportent leur envie de départ, privilégiant dans ce contexte la sécurité de l’emploi.

Une question d’âge.

La question de l’âge est importante dans ce sujet. « Les jeunes ne réfléchissent plus en termes de CDI avant tout mais regardent le sens, le climat de confiance, le collectif de travail, les valeurs, la considération… », remarque Louise Robitail chez Eurécia. « Mais quand on veut construire une famille ou avoir des enfants, on peut chercher à sécuriser sa situation avec un CDI. C’est très français : le CDI donne accès à un emprunt, un logement… Sans cela je pense que le CDI aurait moins d’attrait. En tout cas aujourd’hui, on adresse ces statuts et contrats en fonction de nos moments de vies et besoins », poursuit Mathilde le Coz chez Mazars. « Les mêmes jeunes qui ont fait le tour du monde sont prêts à venir bosser deux ans en signant un CDI pour avoir un prêt, puis une fois qu’ils ont eu ce qu’ils voulaient ils passent à autre chose », renchérit Louise Robitail, faisant de ces moments de vies des périodes de plus en plus courtes, d’autant que les mutuelles prennent à bras-le-corps la problématique en proposant des assurances de plus en plus fournies pour les indépendants, et que le Gouvernement avance au niveau de la protection sociale des indépendants (notamment pour les femmes enceintes).

« Personne ne voudra la fin du CDI », nuance tout de même Emmanuelle Barbara. « Les grandes entreprises auront toujours besoin de salariés pour construire des fusées mais il y a sûrement des nouveaux modèles de travail à réfléchir, avec des modèles de vie différents et une mobilité professionnelle plus importante. » « Notre système n’est pas fait pour un empilement de statut. On peut à la rigueur passer de l’un à l’autre, mais cela reste compliqué », poursuit-elle. Notamment au moment de faire valoir ses droits au chômage. L’avocate plaide pour repenser le lien qui nous unit à l’entreprise, alors que le contrat de travail induit un lien de subordination, qui implique une hiérarchie « ce qui est contradictoire avec les notions actuelles d’horizontalité, de réseaux, voire d’éloignement ». Elle insiste aussi sur le besoin de repenser la protection sociale pour passer de la société « qui était celle du salariat », « à celle « du travail ». « C’est la société qui dit que sans CDI c’est galère », s’émeut Mathilde le Coz, « les entreprises devraient se questionner sur ce qu’elles ont à offrir », encourage-t-elle en imaginant un nouveau métier d’« agent de talents » pour gérer dans les entreprises le nombre grandissant d’indépendants qui travailleront pour elles. « L’attrait pour les start-up et l’entreprenariat peut faire changer les règles qui sont les nôtres aujourd’hui, il est peut-être nécessaire d’imaginer la suite, en termes de contrat, de collectif de travail, de culture d’entreprise, de dialogue social pour trouver des modalités plus conformes à notre vie sociale individualisée, rapide et qui a tout de même besoin de sécurité », encourage Emmanuelle Barbara. « Les départs et les arrivées font désormais partie de la règle du jeu », conclut de son côté Louise Robitail. « En tant que DRH », elle l’a intégré. « Ce que j’essaie désormais c’est que les managers l’intègrent également : quand on repère un bon potentiel, il faut le suivre pour le garder, mais s’il a d’autres ambitions ou envies, il faut aussi l’accepter sans le prendre comme un échec », conseille-t-elle. « Quand quelqu’un a des envies d’ailleurs, il vaut mieux qu’il parte, plutôt qu’il ne reste pour le CDI ou la rémunération », résume-t-elle. Si les managers ne perçoivent pas toujours le risque de démotivation associée et peuvent se sentir trahis, elle ne veut pas entrer dans « une course aux salaires ». « Ce n’est pas sain pour l’organisation globale : si la culture d’entreprise ne correspond plus à un collaborateur, mieux vaut qu’il la quitte », défend-elle. Le CDI n’est plus un rêve pour tous, ni le lien à vie qui conduisait le jeune salarié jusqu’à sa retraite.

(1) 60 % des diplômés d’école de commerce envisagent ne pas poursuivre leur carrière au sein de la même entreprise et en moyenne ils changent 3 fois d’emploi en 5 ans (étude Vlerick Business School).

Auteur

  • Lucie Tanneau