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Troubles dys : pas si handicapants que ça

Décodages | Santé au travail | publié le : 01.01.2022 | Valérie Auribault

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Troubles dys : pas si handicapants que ça

Crédit photo Valérie Auribault

 

Les troubles « dys » (dysorthographie, dyslexie) engendrent de vraies difficultés au quotidien pour tout salarié qui y est confronté. Mais des aménagements existent pour permettre aux collaborateurs de révéler leurs vraies compétences.

« Si tu continues à faire des fautes, tu n’iras pas loin. » Souffrant de dyslexie et de dysorthographie, David, 29 ans, a entendu ces bons encouragements de la part de professeurs tout au long de sa scolarité. Pourtant, ses troubles ont été détectés et reconnus dès la moyenne section, en école maternelle. « À l’oral, je confonds certains sons. En lecture, certaines lettres sont difficiles à détecter. Et à l’écrit, je fais plein de fautes. Cela me demande beaucoup de concentration et engendre de la fatigue. Heureusement, au lycée, j’ai eu deux très bons enseignants qui m’ont encouragé. Je me suis donc accroché », raconte-t-il aujourd’hui. Il s’oriente alors vers une prépa puis intègre l’école d’ingénieurs Enseirb-Matméca à Bordeaux. En 2017, son BAC+5 en poche, il est recruté par l’entreprise de commerce en ligne Cdiscount, sur un poste d’ingénieur en informatique. « Je n’ai pas signalé ces troubles sur mon CV, explique David. Mais je les ai signalés rapidement à mon manager car j’étais plus lent que mes collègues. Et je peinais pour lire l’anglais. J’étais en période d’essai, j’avais peur pour mon poste. »

Reconnaître la qualité de travailleur handicapé.

Embauché au sein d’une entreprise bienveillante qui sensibilise tous ses salariés au handicap via des campagnes régulières, David a très vite contacté la responsable diversité de la société après avoir pris connaissance d’un mail collectif sur le handicap. Orienté vers un médecin du travail qui a réalisé un bilan d’orthophonie, David a obtenu une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Cette reconnaissance a permis d’équiper son poste d’un logiciel de correction grammaticale et d’aide à la rédaction en français et en anglais pour pallier ses difficultés. Il a aussi bénéficié de deux jours de repos supplémentaires par an. Très proche de ses collègues, David a également vu son manager s’adapter à sa situation. « Au lieu de m’envoyer des mails comme aux autres collaborateurs, il m’appelle. C’est plus rapide. »

Permettre l’expression des compétences.

Les troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA), communément appelés troubles dys, représentent 80 % des troubles neurodéveloppementaux (TND), selon la Fédération française des dys (FFDys). 6 à 8 % de la population, soit environ 7 millions de personnes, présente un ou plusieurs troubles dys. Ces troubles cognitifs sont, de nos jours, détectés lors de la petite enfance, en fin d’école maternelle ou durant l’école primaire. Ils sont multiples : dyslexie et dysorthographie (troubles spécifiques du langage écrit), dysphasie (trouble spécifique du langage oral), dyspraxie (trouble du développement de la coordination), dyscalculie (trouble des fonctions logico-mathématiques), TDAH (troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité). L’entreprise Cdiscount est signataire de la charte de la diversité. Ce texte d’engagement est proposé à tout employeur qui souhaite agir en faveur de la diversité au-delà du cadre légal et juridique de la lutte contre les discriminations. En 2019, le leader français du e-commerce a également signé le manifeste pour l’inclusion des personnes en situation de handicap. « Nos managers et collaborateurs sont sensibilisés et formés à ces handicaps invisibles que sont les « dys ». Nous pouvons aménager les horaires du salarié concerné, réorganiser son travail, mettre à disposition du matériel de bureau spécifique et l’accompagner dans ses démarches auprès de la médecine du travail et de cabinets externes spécialisés, indique Sabrina Ribeiro, responsable diversité et inclusion au sein de Cdiscount. Cette prise en compte est nécessaire si l’on veut que le salarié puisse exprimer toutes ses compétences et son talent et pour que ses idées fassent avancer la société. » Chaque année, lors de la Journée internationale du handicap, certaines entreprises organisent des ateliers, des animations et des mises en situation pour sensibiliser sur ces troubles cognitifs multiples et encore méconnus. « Lors de ces journées, les échanges sont très riches et très constructifs et soulèvent beaucoup de questions, constate Marine Legrand, référente Handicap au sein de l’entreprise Wordline, qui s’appuie, à cette occasion, sur deux intervenants de la FFDys. Lors de la dernière session, l’une de nos salariées a témoigné sur son handicap. Elle était contente de pouvoir en parler. Certains se sont reconnus dans ces troubles même si c’était à un moindre niveau », note-t-elle. Cap emploi et Pôle emploi interviennent auprès des entreprises pour analyser les besoins du salarié et faciliter son intégration ainsi que son maintien dans l’emploi. « Tout l’enjeu est de recruter les personnes parce qu’elles sont compétentes et non pas parce qu’elles ont un handicap », prévient Pierre Privat, directeur de la sécurisation des parcours au sein de l’Agefiph, et qui met en garde contre le handicap-washing. L’Agefiph accompagne mais aussi finance les outils mis en place pour répondre aux besoins du salarié : des logiciels de dictée vocale ou synthèse vocale pour répondre aux troubles de la lecture, de l’orthographe ou du graphisme ; des outils scanner ou logiciels favorisant la prise de notes ; des alarmes ou agendas pour aider à la planification ou mémorisation… « Il arrive que les personnes cumulent les difficultés. Il est nécessaire d’adapter les postes de façon individuelle, rappelle Pierre Privat. Pour deux personnes atteintes du même « dys », vous n’aurez pas le même niveau de difficulté et donc pas les mêmes aménagements à apporter. Il est également important d’envisager le projet professionnel en fonction du trouble. » Pourtant, les personnes « dys » possèdent des difficultés communes : la lenteur, les difficultés pour gérer le temps et l’organisation. L’objectif de leur prise en charge par les organismes spécialisés est de passer du sentiment de dévalorisation et d’introversion à la découverte d’un talent.

Accompagner et aménager.

Encore faut-il que le salarié en informe son entreprise. « Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales1, si le handicap est signalé sur le CV, vous n’avez plus qu’une chance sur 15 d’être reçu en entretien. Est-ce qu’une hôtesse d’accueil a besoin de préciser qu’elle souffre de dyscalculie ? », interroge Denis Lhomme, responsable de la mission Handicap à la Banque de France qui applique une politique Handicap bienveillante depuis quarante ans. Il est nécessaire de poser le pour et le contre. Tout dépend du type de handicap et du poste. « En France, 80 % des handicaps sont invisibles. Lorsque vous souffrez de lombalgies chroniques, ce n’est pas inscrit sur votre tête », souligne Pierre Privat. Mais comment introduire la notion de handicap lors d’un entretien d’embauche ou lors d’un recrutement non accompagné par le Cap emploi ? « Nous conseillons de signaler le trouble dès l’entretien si celui-ci est important pour éviter que la période d’essai ne se passe mal, préconise Nathalie Groh, présidente de la FFDys. Au sein d’une équipe, celui qui fait moins que les autres, qui rend son travail en retard et dont les objectifs sont en baisse, n’est pas vu d’un bon œil. Si le poste est adapté, la personne sera aussi performante que les autres. » Une vision partagée par Marine Legrand : « Si l’entourage professionnel proche n’est pas averti, il peut y avoir de l’incompréhension face à la lenteur de la personne. Des tensions peuvent survenir jusqu’à aller au clash. Ce genre de situation peut entraîner une demande de changement d’équipe, voire d’emploi, alors qu’un aménagement aurait été possible. » Voilà un peu plus d’un mois, Wordline a recruté une collaboratrice souffrant de dyspraxie. L’entretien a été réalisé en présence d’une ergonome. « La candidate a évoqué ses besoins et précisé les outils mis en place sur ses postes précédents », se souvient Marine Legrand. Un écran 24 pouces, plus grand que les autres habituellement mis à disposition, un bras d’écran et un rehausseur de PC portable lui ont été alloués.

Des points réguliers.

« Mais l’accompagnement peut se faire sur le long terme. Des points réguliers peuvent s’avérer pertinents pour savoir si d’autres ajustements sont nécessaires », poursuit la référente Handicap. Parfois, l’outil le plus simple peut se révéler un véritable atout. « Nous avions un jeune homme cumulant la dyspraxie et la dysgraphie sur un poste administratif. Une ergonome a prescrit l’utilisation d’une tablette qui lui a été d’une grande aide. Désormais, il donne entière satisfaction, se montre organisé et évolue parfaitement au sein de son équipe », relate le Docteur Gisèle Birck, directrice médicale au sein de l’Arihm, cabinet expert dans le domaine de la santé psychique au travail. Tout au long de la collaboration, la FFDys préconise de respecter certaines règles : favoriser les processus de travail (cadre de référence précis, points réguliers…), expliquer les imprévus et les urgences, favoriser un environnement de travail favorable (favoriser la concentration, éviter l’open space…), laisser davantage de temps.

Des troubles méconnus.

Cependant, si l’on parle de plus en plus de ces troubles cognitifs, ils demeurent encore « insuffisamment connus dans les entreprises », estime Denis Lhomme. Pour éviter toute stigmatisation, les personnes souffrant de ces troubles ont pris l’habitude de les cacher et ont mis en place des stratégies de contournement. Promouvoir un discours de bienveillance, sensibiliser les managers, faire connaître ces troubles, c’est éviter le stress. « Il arrive parfois que la personne, elle-même, ignore qu’elle est « dys » ». « Certains n’ont jamais été dépistés, souligne Gisèle Birck. J’ai eu le cas d’une personne de 45 ans qui ignorait son trouble. Ce sont des personnes qui, certes, connaissent des difficultés dans leur quotidien mais elles ont des capacités et une intelligence normales. » « Pour un même résultat, un salarié va déployer un effort supplémentaire mais il sera peut-être le moteur d’un groupe malgré tout », ajoute Denis Lhomme. « Pour être dépistés, les salariés peuvent se tourner vers des neuropsychologues, des orthophonistes ou des ergothérapeutes pour réaliser des bilans. Ou encore vers des conseillers de Pôle emploi, Cap emploi ou des missions locales en amont de l’emploi, précise Virginie Mattio, psychologue-neuropsychologue et directrice de l’association Coridys. Au sein des entreprises, nous sensibilisons au maximum la médecine du travail, encore trop peu formée sur ces troubles, ainsi que les employeurs et les DRH. » Pour autant, il n’est plus honteux d’avouer aujourd’hui son trouble dys comme autrefois « car c’est une vraie force qui mobilise tellement d’efforts pour réussir », constate Denis Lhomme. De plus en plus, des célébrités, telles que Steven Spielberg, révèlent leur trouble « dys ». Et Gisèle Birck rappelle que « Albert Einstein était dyslexique ». Tout comme Winston Churchill et Léonard de Vinci.

(1) Rapport thématique 2019-2020 Handicaps et emploi

Auteur

  • Valérie Auribault