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Décodages

De la bonne utilisation du numérique

Décodages | RSE | publié le : 01.01.2022 |

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De la bonne utilisation du numérique

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La surconsommation des outils numériques entraîne des conséquences environnementales, sociales et sanitaires. Les experts du Green IT tirent la sonnette d’alarme : il est temps d’envisager le numérique autrement.

Peut-on polluer la planète sans sortir de chez soi et sans prendre sa voiture ? Envoyer des mails, transférer une photo, liker, changer de téléphone portable ou d’ordinateur tous les trois ans… toutes ces actions ont des conséquences sociales, sanitaires et environnementales bien réelles. La consommation numérique croît de 6 % chaque année. Les données « virtuelles » de nos outils numériques sont stockées au sein des data centers. Des centres alimentés à l’électricité (10 % de l’électricité mondiale), produite, celle-ci, par du charbon ou du pétrole. Ces lieux de stockage, eux, sont refroidis par climatisation et sont responsables de près de 4 % des émissions globales de CO2. Or, aujourd’hui, tout le monde possède son profil Facebook, son compte Twitter, utilise les réseaux sociaux, compte un téléphone portable personnel, voire deux pour ses activités professionnelles. Chaque jour, chacun réalise 2 617 interactions, en moyenne, avec son smartphone, selon une étude du collectif Green IT. Une surconsommation numérique qui pourrait bien être remise en cause dans les prochaines décennies. « Le numérique est une ressource critique, non renouvelable, qui s’épuise inéluctablement. Au rythme actuel, cette ressource sera épuisée dans trente ans », met en garde Frédéric Bordage, fondateur du collectif d’experts Green IT et auteur du livre « Tendre vers la sobriété numérique » (éditions Acte Sud). Des experts qui pointent du doigt la COP 26 qui semble avoir remis le sujet à plus tard. Et pour cause. Le numérique est l’outil incontestable du XXIe siècle. Celui qui nous permet d’être en communication permanente avec nos proches, d’être plus réactif au travail, d’affronter les crises majeures et de limiter nos déplacements pour répondre aux impératifs du changement climatique. Pour autant, ne peut-il pas être utilisé à bon escient ? Selon les chiffres du collectif Green IT, la France compte 651 millions d’équipements. Chaque foyer standard détient entre 15 et 45 appareils numériques. Le monde du travail n’est pas épargné par la surconsommation des outils numériques.

Un numérique durable et recyclé.

En 2018, ce même collectif s’associait à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), la Fondation Internet nouvelle génération (Fing) et le WWF France pour contribuer à la discussion sur les actions que les pouvoirs publics pourraient envisager pour faire de la transition numérique un levier de la transition écologique. « Après la diffusion de notre Livre blanc, nous avons constaté une forte accélération de la prise en compte du grand public et des entreprises, explique Frédéric Bordage. Les entreprises ne se sont jamais autant intéressées au sujet du numérique responsable. Celles-ci, issues du privé comme du public, demandent de plus en plus à être accompagnées concernant la gestion des postes de travail, les achats responsables et leurs conditions de fabrication, les décisions sociales et environnementales. » L’exploitation des enfants et des personnes vulnérables dans des pays tels que la République démocratique du Congo, la Chine ou le Mexique pour extraire, dans des conditions désastreuses, les minerais nécessaires à la fabrication et à l’assemblage de nos outils numériques du quotidien est la première conséquence néfaste du numérique. « La meilleure des actions est de ne pas renouveler son parc informatique, de le faire durer, de l’entretenir et de le réparer. Les entreprises doivent réduire leurs besoins. C’est fondamental », insiste Vincent Courboulay, maître de conférences et directeur scientifique de l’Institut du numérique responsable. Celui-ci forme ses étudiants au sein de l’université de La Rochelle, au numérique responsable et à l’écoconception des services numériques. « L’obsolescence programmée, la non-mutualisation des équipements, sont un frein à la sobriété numérique », souligne encore Frédéric Bordage. « Il faut que les collaborateurs acceptent de conserver un équipement moins performant. Il y a également un travail important à réaliser auprès des éditeurs, estime Tristan Labaume, président de l’Alliance Green IT. Lorsque Microsoft déploie Windows 11, les entreprises ont l’obligation de remplacer tous les ordinateurs qui ne seront alors plus compatibles alors qu’ils sont en parfait état de marche. » Gare également au greenwashing pour se donner bonne conscience. Supprimer les mails, changer de moteur de recherche n’apportent pas d’amélioration conséquente. De la poudre aux yeux qui pourrait être sanctionnée par les postulants lors du recrutement. « De plus en plus, les collaborateurs souhaitent donner du sens à leur vie et à leur travail et tentent d’influencer la stratégie de l’entreprise », remarque Tristant Labaume.

Des entreprises plus engagées.

Pour certaines d’entre elles, cet engagement fait sens. « Avant d’engager notre démarche d’accessibilité numérique sur PagesJaunes en 2019, nous avions aussi procédé à une refonte du site en 2015 et construit, dans ce cadre, une démarche d’écoconception autour d’optimisations techniques : adaptation de la taille et de la résolution des images aux capacités du terminal cible, compression pour limiter le poids des transferts…, indique Maxime Duclaux, secrétaire général adjoint de Solocal Group. En parallèle, nous avons réalisé une analyse du cycle de vie multicritères et orienté notre stratégie en conséquence. Les terminaux des utilisateurs, leur type et les durées de connexion ont été pris en compte afin de modéliser finement les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’eau par utilisateur, visite, page… » L’entreprise a réduit de 43 % le nombre de requêtes http et le poids moyen des pages d’un tiers. Les émissions de gaz à effet de serre ont été réduites de 15 %, la consommation d’eau de 21 % « tout en améliorant le parcours utilisateur. » Solocal Group a aussi développé une politique d’optimisation de la durée d’utilisation du matériel IT. « Nous nous employons à l’allongement de la durée de vie de nos outils informatiques par le biais d’un contrat de leasing avec la société Econocom. Nous faisons également don de notre matériel à l’association Les Ateliers du Bocage afin qu’il soit recyclé et pour permettre son réemploi, tout comme nos cartouches d’impression et nos déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). Nous procédons au décommissionnement des serveurs et applicatifs obsolètes », poursuit Maxime Duclaux. Ainsi, en 2020, 7,15 tonnes de DEEE ont été collectés et recyclés.

Penser global.

De son côté, la start-up toulousaine WeatherForce, spécialisée dans les données météorologiques et climatiques, a choisi de coupler le high-tech et le low-tech notamment pour transmettre les conditions météo aux agriculteurs d’Abidjan en Côte-d’Ivoire. « Le but était de mettre à leur disposition une solution numérique afin qu’ils puissent cultiver leurs champs grâce à une réponse à tiroirs, explique Julien Soursou, directeur technique de la start-up. La diffusion de l’information a été pensée pour viser la sobriété technologique, et s’appuie d’une part sur l’envoi de SMS, mais aussi sur la diffusion via des relais locaux : des techniciens agricoles qui transmettent l’information de vive voix aux agriculteurs. « Il ne faut pas viser les solutions techniques là où il n’y en n’a pas besoin et valoriser les échanges humains autant que possible. Enfin, il faut désormais penser global et intégrer les contraintes environnementales aux services numériques », souligne Julien Soursou. L’autre revers du numérique, c’est son impact sur la santé des salariés. Répondre sans délai aux sollicitations via le biais de divers outils appelle d’autres sollicitations encore. La distinction entre vie privée et vie professionnelle est de plus en plus inexistante. « La cyberdépendance n’est pas reconnue comme une addiction à part entière, regrette l’addictologue Alexis Peschard, fondateur du cabinet GAE Conseil. Pourtant, il s’agit bien d’une addiction comportementale. Et à être sans cesse sollicité, le collaborateur perd en productivité. » D’autant que d’un point de vue cognitif, notre cerveau n’est pas fait pour traiter cette masse d’informations tout au long de la journée. « Cette sursollicitation participe aux burn-out des salariés. Il est urgent de se désintoxiquer et de se tourner vers une utilisation plus sobre du numérique », insiste Frédéric Bordage qui met en garde contre l’instauration de la 5G « dont on ne connaît pas encore les impacts sanitaires et environnementaux alors que l’ADSL couvre tous les besoins des foyers et que la plupart des entreprises nous disent qu’elles ne savent pas de quelle façon elles l’utiliseront. » La 5G engendrera, de fait, la mise au rebut prématurée de millions d’appareils pourtant parfaitement fonctionnels.

Loi REEN : pour réduire l’empreinte environnementale du numérique en France

Lundi 15 novembre 2021, le président de la République, Emmanuel Macron, a promulgué la loi REEN (Réduire l’empreinte environnementale du numérique). En effet, les prévisions annoncent, depuis 2017, un doublement de la consommation d’énergie par le numérique jusqu’en 2025. La production des équipements est la partie la plus consommatrice d’énergie (plus de 40 % de la consommation totale du secteur). Le numérique totaliserait 7,6 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2025, selon France Stratégie. En comparaison, le secteur aérien, particulièrement polluant, représente 2 % de ces émissions. La loi REEN entend faire converger transition numérique et transition écologique tout en responsabilisant tous les acteurs en présence : consommateurs, professionnels du secteur et acteurs publics.

À commencer par les plus jeunes. Dès la rentrée scolaire 2022, les enfants devraient bénéficier d’une formation à la sobriété numérique. Un module sur l’écoconception des services numériques sera dispensé lors des formations d’ingénieur en informatique.

Haro sur l’obsolescence programmée

La loi prévoit également de limiter le renouvellement des appareils numériques (smartphones, ordinateurs, tablettes…). Leur fabrication représente 70 % de l’empreinte carbone du numérique en France. Il est ainsi prévu de rendre plus opérationnel le délit d’obsolescence programmée, de renforcer la lutte contre l’obsolescence logicielle et d’informer le consommateur des caractéristiques essentielles de chaque mise à jour de son appareil numérique. La loi interdit notamment aux fabriquants de rendre impossible la restauration de l’ensemble des fonctionnalités d’un terminal réparé ou reconditionné. Le texte envisage également des objectifs contraignants de recyclage, de réemploi et de réparation pour certains biens numériques ainsi que la mise en place d’opérations de collecte nationale d’équipements numériques menées par les producteurs ou leurs éco-organismes. Enfin, dans le contexte du déploiement de la 5G, la loi promeut des data centers et des réseaux moins énergivores.