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“2020 a marqué la fin des leaders technocratiques”

Actu | Entretien | publié le : 01.01.2022 | Laurence Estival

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“2020 a marqué la fin des leaders technocratiques”

Crédit photo Laurence Estival

 

Mise en place d’un « pacte social » au niveau mondial, révision des modèles de leadership, diffusion d’une culture propre à l’entreprise… Sur un marché du travail tendu, Solvay trace son sillon pour attirer et retenir les talents grâce à la mobilisation de quelques dispositifs capables de faire la différence. Une stratégie en révision permanente afin de s’adapter aux changements. Entretien avec Hervé Tiberghien, DRH monde du groupe.
 
Vous venez de lancer un programme d’actionnariat salarié. Une première pour Solvay… Quel est à travers ce dispositif votre objectif ?

Hervé Tiberghien : C’est une décision qui s’inscrit dans notre histoire. Solvay a été une des premières entreprises à proposer des logements sociaux pour ses salariés. Nous avons, plus récemment, pendant la crise sanitaire, créé un fonds garantissant pendant trois mois 70 % de leur salaire à nos salariés partout dans le monde, y compris dans des pays où il n’y a pas de loi pour faire cela. Début 2021, nous avons mis en place un congé parental et d’adoption de seize semaines, pour tous les hommes et les femmes, dans tous les pays où nous sommes présents. Nous avons aussi imaginé le programme Solvay One Dignity qui met l’accent sur la diversité, l’équité et l’inclusion et incite chacun à être soi-même. L’idée de l’actionnariat salarié, c’est d’ajouter la notion de partage à celle de protection. C’est pourquoi, nous avons voulu que ce nouveau programme s’adresse à tous. Il n’était pas question d’en faire quelque chose d’élitiste alors que nous comptons 40 % d’ouvriers. Pour que tout le monde puisse y participer, nous avons proposé une décote de 10 % sur le prix d’achat et si vous restez plus de deux ans, pour trois actions, nous vous en donnons une en plus. En ce sens, cela encourage les salariés à rester dans l’entreprise.

Cela facilite-t-il aussi le recrutement ?

H. T. : C’est difficile à dire car nous n’avons pas de recul… Mais je pense que ce programme s’inscrit dans notre raison d’être et dans notre ADN : Solvay, c’est 160 ans d’existence. Nous avons des racines mais aussi une feuille de route ambitieuse : être toujours là dans 100 ans. Nous souhaitons construire quelque chose qui dure, qui va attirer des talents dans un marché compétitif. Le socle de notre politique d’attractivité, c’est la promesse que nous faisons à nos salariés : premièrement être soi-même. Ensuite leur offrir des avantages comme l’actionnariat salarié, le congé parental, la protection sociale… Mais nous travaillons aussi beaucoup sur la durabilité. J’aime rappeler que si nous sommes en effet une partie du problème, la chimie fait aussi partie de la solution. Et nos salariés participent à ce travail pour une planète plus verte. Nous essayons de réconcilier la planète, le profit et les individus. C’est l’un et l’autre et pas l’un ou l’autre.

C’est-à-dire ?

H. T. : Nous avons mis en place cet ensemble de mesures sociales en passant dans certains pays par-delà la législation quand elle n’existe pas. Et cela intéresse les candidats, notamment aux États-Unis où la culture du travail est en train de s’effriter. Les salariés sont de plus en plus sensibles à cette notion de bien-être. C’est aussi le cas en Chine. Nous avons par exemple lancé notre politique « Work from anywhere » au début de 2021 qui autorise les salariés qui le peuvent à travailler de là ou ils sont le plus productifs. Nous avons été surpris du succès remporté dans des pays comme la Chine ou le Japon. Mais il y a aussi, au-delà de ce pacte social commun, pour attirer des talents notre capacité à nous adapter à des réalités très différentes. En Chine, par exemple, jusqu’à récemment, travailler dans une entreprise étrangère était un accélérateur de carrière. Aujourd’hui ce n’est plus le cas et nous sommes en compétition avec des entreprises chinoises pour attirer les meilleurs talents. Pour les jeunes chinois, l’avantage de ces entreprises est de proposer des parcours où tout va plus vite, où ils vont avoir rapidement plus de responsabilités, où ils vont bénéficier du fait que les centres de décision sont en Chine… Pour nous, cette concurrence suppose de réfléchir à la manière de modifier les équilibres : comment sommes-nous capables de prendre des décisions plus vite, d’être plus réactifs, plus agiles ? Nous avons tout le temps de nouveaux territoires à explorer, de nouveaux progrès à réinventer.

Comment fait-on justement le lien entre l’identité d’une entreprise et la nécessité d’être présent dans des environnements et des cultures différents et de s’adapter en permanence à de nouvelles tendances que peu ou prou toutes les entreprises adoptent. Quel est le socle commun ?

H. T. : C’est l’idée que nous appartenons tous à la même famille. Toutes les entreprises partagent cette ambition, mais chacune le fait avec ses propres outils. Chez nous, cela passe par la mise en avant d’un modèle de leadership que partagent les 8 000 leaders que nous avons identifiés au sein de nos implantations. 2020 a marqué la fin des leaders technocratiques. Un leader, ce n’est plus celui qui jusqu’à maintenant était le plus compétent techniquement. Son job, c’est d’inspirer et de coacher les équipes. Il ne doit pas seulement avoir des savoir-faire mais aussi des savoir-être. Solvay part de loin car nous sommes une entreprise dans laquelle travaillent de nombreux ingénieurs. Nous les formons pour les aider à passer d’un modèle « command and control » basé sur le savoir technique à un modèle basé aussi sur le savoir-être. Nous leur donnons des références mais ils doivent aussi se construire en fonction de ce qu’ils sont. Ils doivent réfléchir à ce qu’ils veulent faire, à la manière dont ils veulent avoir un impact, à ce qu’ils souhaitent que les autres retiennent d’eux… Chacun a son modèle et chez Solvay, nous n’aimons pas les clones, comme en témoigne notre initiative en faveur de la diversité.

Mais qui choisit ces leaders ? Comment sont-ils repérés ?

H. T. : Ce sont des salariés qui ont un impact sur d’autres salariés, des personnes qui ont des décisions à prendre, des plus simples – valider des demandes de congés – aux plus compliquées : comment, par exemple, renouveler ses équipes. Il y a des responsables de départements mais aussi des chefs d’équipes, dans les usines. La difficulté pour eux est de trouver leur place par rapport à leurs anciens collègues d’atelier. Nous les accompagnons dans ce parcours.

Ces leaders avec ce modèle de leadership commun suffit-il à créer cette culture commune à une époque où les multinationales ont de moins en moins d’expatriés ?

H. T. : En 2022, il y aura une notion différente sur la mobilité. Nos salariés peuvent travailler de là où ils sont les plus productifs. Nous avons par exemple un centre technique à Lyon avec des équipements en réalité virtuelle qui permettent de voir, sans se déplacer, ce qui se passe dans une usine chinoise. Je crois en effet que ce qui reste, c’est la culture, notre capacité à nous réinventer en permanence. Prenons par exemple l’initiative que nous avons lancée en matière de dialogue social. Nous voulons aller plus loin que la loi. Nous cherchons à faire preuve de plus de transparence par anticipation sur les transformations inévitables dont certaines sont parfois très douloureuses. Traditionnellement, nous attendions d’avoir tout préparé pour aller voir les partenaires sociaux et discuter avec eux. Mais pourrait-on dialoguer préalablement pour intégrer leurs commentaires avant que tout soit bouclé ? Ne pas penser que ce sont des empêcheurs de tourner en rond mais que nous pouvons apprendre les uns des autres, sans naïveté mais aussi dans une vraie authenticité ?

C’est possible même au niveau international avec des cultures syndicales différentes ?

H. T. : Il y a des postures mais nous devons élever les gens au-delà. Est-ce que nous sommes capables de dire, c’est quoi votre objectif dans dix ans ? Et d’embarquer tout le monde pour réfléchir à ce que cela implique ? Nous avons créé un forum mondial pour cela et nous efforçons de construire ce futur tous ensemble. Prendre de la hauteur, réfléchir sur le long terme modifie la perception du dialogue social.

Quelle est pour vous la prochaine étape dans cet agenda social multinational ?

H. T. : Garder cet esprit d’entreprendre et la capacité à changer de direction presque instantanément sera sans doute indispensable et c’est ce que nous cherchons à promouvoir là où nous sommes présents.

Hervé Tiberghien, DRH monde de Solvay

Hervé Tiberghien est le DRH groupe de Solvay depuis septembre 2019. Il était auparavant chief human resources officer, vice-président ressources humaines de la société chimique américaine PPG, après avoir commencé sa carrière au siège de cette entreprise en Suisse. De nationalité française, il est titulaire d’un master RH.

Auteur

  • Laurence Estival